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Ces mots jetés pour paraître disposer encore de l'Italie, ce sont, dans les rues de Gênes et de Rome ou dans les villages de la plaine du Pô, des Italiens embarqués de force dans des camions.

Ces mots, ce sont aussi des milliers d'hommes qui gagnent la montagne pour éviter les départs pour l'Allemagne.

Le mouvement partisan va puiser là le gros de ses troupes. Plus de 100 000 hommes tiennent au début de l'été 1944 les Alpes et les Apennins. Mais poussés vers la lutte par la nécessité, ces hommes mûrissent vite, ils se politisent et découvrent auprès de vieux antifascistes l'envers, qu'ils ignoraient, de l'ère fasciste.

Revelli, ancien membre des organisations fascistes, officier sur le front russe, écoute, sur les sommets des Alpes, Livio, un politique aux idées nettes :

« Quand il me parle des Italiens qui, dès 1936, en Espagne ont combattu contre Franco, de l'antifascisme militant, il me transporte dans un monde que j'ignorais, écrit Revelli, ou un monde que je connaissais mal. Mais le monde de mon fascisme, de ma guerre en Russie, était en grande partie inconnu de Livio. »

C'est ainsi, à travers les hommes et par la Résistance, que se reconstitue une Italie de bonne foi. L'écrivain Carlo Levi, un ancien confinato - assigné à résidence dans le sud de l'Italie, - peut écrire :

Nous avons vécu ensemble,

Ensemble devenant des hommes.

Dans le monde divisé

Unis étaient nos cœurs.

Nous nous sommes reconnus,

Un peuple neuf...

Naissait avec des noms nouveaux,

C'était la Résistance.

Le soir, autour des feux de camp dans les hautes vallées, cependant que près des baite (granges), quelques hommes montent la garde, les chansons s'élèvent, chœurs spontanément harmonieux que ces anciens des divisions d'Alpini, ces montagnards et ces bûcherons reprennent, mêlant la mélancolie à la violence :

Là-haut sur la montagne, Drapeau noir,

Un partisan est mort en faisant la guerre,

Un Italien de plus s'en va sous la terre.

Il y trouve un Alpino mort en Russie.

Allemands et fascistes, hors d'Italie !

Morte est la pitié, morte est la pitié.

6.

« Partisan » : ce mot que chantent les résistants italiens, on l'entend aussi, en ces premiers mois de 1944 en France, dans les maquis d'Auvergne, de Dordogne, de l'Ain, sur le plateau des Glières, dans le massif du Vercors.

Les jeunes gens qui fuient le Service du Travail Obligatoire entonnent ce Chant des partisans, écrit par Maurice Druon et Joseph Kessel à Londres.

Ils sont tous deux d'origine russe et le mot évoque la « guerre » des partisans en Russie.

Ami, entends-tu

Le vol noir des corbeaux

Sur nos plaines ?

Ami, entends-tu

Les cris sourds du pays

Qu'on enchaîne ?

Ohé ! partisans [...]

À la balle ou au couteau

Tuez vite.

« Morte est la pitié », comme disent les partisans italiens. Car l'occupation allemande se fait de plus en plus lourde. Le Gauleiter Sauckel, chargé du recrutement de la main-d'œuvre dans les pays soumis, exige de la France 2 millions d'hommes, dont 300 000 doivent être transférés immédiatement dans ces premières semaines de janvier 1944. Il faut s'y opposer :

Montez de la mine,

Descendez des collines,

Camarades !

Mais les maquis sont en difficulté.

Un rapport de la Résistance souligne la « lassitude » des maquisards.

« Les chefs manquent - conséquence de la trahison des officiers. Les armes manquent. On constate le relâchement de la discipline, l'accroissement des coups de main inutiles, la dislocation de nombreux camps. »

Tom Morel - officier de chasseurs alpins - sent l'étreinte des Allemands se resserrer autour du plateau des Glières.

Les miliciens de Darnand, les GMR (Groupes Mobiles de Réserve), les gendarmes sont aux côtés des troupes allemandes.

Tom Morel est résolu à se battre.

« L'heure est venue en effet d'agir, écrit-il dès le 4 janvier 1944. Les événements se précipitent. Nous avons donc à passer encore de dures journées ; mais cela prouve que l'aurore s'éclaire et que le fameux jour ne va pas tarder à arriver. »

Deux semaines plus tard, lors de l'attaque d'une voiture allemande, Morel se trouve avec son pistolet enrayé en face d'un SS armé. Il bondit, roule sur le sol avec son adversaire, essaie de le désarmer, un maquisard se précipite, tue le SS à bout portant.

Une colonne blindée allemande, attaquée à son tour, réussit à progresser, à tuer trente maquisards, et subit des pertes.

En représailles, elle brûle hameaux et villages, exécute les maquisards faits prisonniers.

Jamais la répression n'a été aussi impitoyable.

Les Allemands veulent détruire cette Résistance armée, ces maquis, qui le « fameux jour », celui du débarquement allié, peuvent couper les voies de communication, prendre les Allemands à revers.

Alors, d'un bout à l'autre de la France, les Allemands - leurs soldats et leur Gestapo, - les miliciens, les GMR, les tortionnaires de la bande « Bonny-Lafont » (la Gestapo française installée à Paris, rue Lauriston) arrêtent, saccagent, torturent, déportent, tuent.

La Gestapo et la Milice sont bien renseignées.

Les rafles se multiplient à Lyon, à Paris.

« Pour nous tous, un coup de massue, dit un chef de la Résistance, au moins 70 arrestations. »

Darnand tient à Lyon une conférence de presse, pérorant, annonçant que « les forces du maintien de l'ordre ont décapité l'état-major du terrorisme en Zone Sud... Les patrons des terroristes étaient deux Juifs communistes qui se faisaient passer pour gaullistes. »

Mensonges : il s'agit du capitaine Fould et de l'historien Marc Bloch, professeur à la Sorbonne, tous deux sans attaches avec le Parti communiste.

Marc Bloch, arrêté début mars, sera fusillé le 16 juin 1944.

Ainsi, durant les trois premiers mois de 1944, la Résistance est frappée comme elle ne l'a jamais été depuis l'arrestation de Jean Moulin et du général Delestraint, en juin 1943.

Le 3 février 1944, Pierre Brossolette est arrêté, alors qu'à bord d'une grosse embarcation il tente de gagner l'Angleterre. La tempête a contraint l'équipage de cet esquif - Jouet des flots - à s'échouer.

Les gendarmes les arrêtent. Ils sont emprisonnés à Rennes.

Brossolette réussit d'abord à cacher son identité, mais l'arrestation d'un « courrier » à la frontière espagnole portant sur lui le récit du départ en bateau de Brossolette permet aux Allemands de l'identifier.