Dans cette guerre, il n'y a plus qu'une seule règle : on tue. Les miliciens se présentent dans les prisons - ainsi à Toulouse, - choisissent les détenus, constituent une cour martiale, jugent et tuent.
Et des milliers d'autres martyrs meurent pour la France, dans les camps de concentration d'Allemagne - Dachau, Mauthausen, Buchenwald et tant d'autres, dont en Alsace celui du Struthof. Ils disparaissent dans ces abîmes où l'on survit par miracle, dans cette Nacht et ce Nebel - cette Nuit et ce Brouillard.
D'autres sont décapités à la hache, dans les prisons de Berlin ou de Cologne.
Et d'autres, comme le poète Max Jacob, meurent d'épuisement, de faim et des milliers tombent sous les coups de gourdin des kapos et des SS.
Et il y a ceux qui disparaissent à Auschwitz.
Le 6 avril 1944, la Gestapo de Lyon, que commande Klaus Barbie, arrête à Izieu 44 enfants et 7 adultes juifs. Ils sont internés à Drancy avant d'être exterminés à Auschwitz.
En ce début d'année 1944, alors qu'on est persuadé que le Débarquement aura lieu dans quelques mois, chacun comprend qu'il faut s'unir, se battre, que là est le devoir, là est le salut.
Les différentes organisations de la Résistance armée se regroupent en des Forces Françaises de l'Intérieur (FFI). À leur tête, à Londres, le général Koenig, le héros de la bataille de Bir-Hakeim.
Nombreux sont les Juifs qui se battent dans la Résistance au sein de la Main-d'Œuvre Immigrée (MOI). D'autres créent l'Organisation Juive de Combat (OJC). Et les différentes institutions juives se regroupent en un Conseil Représentatif des Israélites de France (CRIF).
La France ainsi se rassemble.
1944 n'est pas l'année de la guerre civile entre deux fractions du peuple français, mais la lutte de la France contre la poignée de ceux qui servent l'ennemi.
À Alger, le Comité Français de Libération Nationale (CFLN) s'élargit à tous les courants politiques du pays, des modérés aux communistes.
De Gaulle déclare le 4 avril 1944 :
« Tous sont groupés autour de moi pour faire une seule et même politique, dont les articles sont : la guerre aux côtés de tous nos alliés, l'indépendance souveraine, l'indépendance complète du pays, la libération totale et la grandeur de la France...
« Achevons de nous unir dans cette sainte et juste guerre ! Alors notre victoire française nous paiera de ce que nous aurons souffert. »
8.
À Vichy, en ces premiers mois de 1944, Pétain, Laval, leurs entourages et les hommes qui prétendent encore être ministres d'un gouvernement français mesurent leur isolement.
Ils n'osent même plus proclamer qu'ils souhaitent la victoire de l'Allemagne, ou qu'ils la croient possible. Laval répète d'un ton las :
« Je ne dis pas que l'armée allemande battra les autres, je dis qu'elle ne sera pas battue. »
Et il échafaudé de mirifiques manœuvres qui conduiraient à une paix de compromis.
En même temps, il annonce, si les Français se révoltent contre l'occupant, des « ripostes cruelles ».
Il félicite Joseph Darnand pour les actions de la Milice. Et Pétain ne désavoue pas ces complices des SS, ces tueurs.
Laval est informé des instructions envoyées par le Sturmführer SS Leicht, commandant général de la police militaire, à tous les officiers de la police militaire secrète. En cas de danger de guerre, la Gestapo arrêtera immédiatement tous les suspects. Tous les civils de 16 à 50 ans doivent être affectés à une formation de travail. Ceux qui s'y refusent seront arrêtés, déportés ou exécutés.
Le dernier point de ces directives précise :
« Prendre contact avec la Milice et prise de commandement de ses chefs dans leur grade de la Waffen-SS ou le grade qu'ils peuvent avoir comme agents appointés de la Gestapo. »
La Kommandantur prépare le texte des affiches à apposer s'il y a débarquement.
Mesures draconiennes :
« Il est interdit de quitter son domicile sans l'ordre des autorités militaires... Tout civil qui en quelque façon que ce soit prêtera assistance à l'ennemi sera traité en franc-tireur. »
C'est-à-dire exécuté.
Pétain, mis au courant de ces préparatifs allemands, oscille devant les exigences allemandes. Les nazis veulent aussi que Marcel Déat entre au gouvernement.
Pétain refuse.
« Déat a tout sali, dit le Maréchal, armée, marine, religion. Il traite Vichy de pourrissoir. »
Mais le conseiller diplomatique du Führer, Renthe-Fink, reçu par le Maréchal est hautain et intraitable :
« J'ai des choses déplaisantes à vous dire aujourd'hui, monsieur le Maréchal. Le gouvernement allemand attache une grande importance à l'entrée de M. Déat dans le ministère.
- Mais c'est un homme universellement détesté en France. S'il entre au gouvernement, je me retire », répond Pétain.
« On ne retient pas le Maréchal », confie Renthe-Fink.
Averti, le Maréchal change d'opinion.
« Si je me retire, les Allemands ne me laisseront pas longtemps libre, ils m'emmèneront en Allemagne.
« Et ce serait faciliter les exactions nazies », analyse Pétain.
Donc, il s'incline, mais il ne signera pas la nomination de Marcel Déat, qui devient secrétaire d'État au Travail et à la Solidarité nationale.
Le gouvernement Laval, accepté de fait par Pétain, est celui des ultras de la collaboration, du Waffen-SS Darnand, chargé du maintien de l'ordre, au national-socialiste Marcel Déat, et au milicien Philippe Henriot.
Jacques Doriot n'en fait pas partie, mais il a été décoré sur le front de l'Est, de la croix de fer de la 1re classe !
En 1944, le choix est radical : pour ou contre les nazis. Et c'est sa vie qu'on met en jeu.
À Vichy, on apprend que Pierre Pucheu, ancien ministre de l'Intérieur de Pétain, ayant choisi dès 1943 de gagner l'Afrique du Nord afin de s'enrôler dans l'armée française et de combattre les Allemands, a été condamné à mort et exécuté le 20 mars 1944.
Le général Giraud avait donné son accord à Pucheu sous condition d'anonymat et de discrétion de la part de l'ancien ministre arrivé au Maroc le 6 mai 1943.
Pucheu n'a pas respecté cette condition. Et la Résistance s'enflamme. Pucheu a joué un rôle décisif dans la répression vichyste. Il aurait, assurent les communistes, participé au choix des otages fusillés par les Allemands en sélectionnant les communistes. Le Conseil National de la Résistance exige sa condamnation à mort et son exécution.
La Cour - qui n'a pu produire des preuves accablantes - demande de surseoir à l'exécution. Le général Giraud prêche pour la clémence en rappelant que Pucheu n'est venu en Afrique du Nord qu'avec son accord.
De Gaulle qui détient le droit de grâce convient qu'il s'agit d'« un procès politique ».
« L'État a besoin d'exemples rapides », dit-il.
Il écrit à Giraud après avoir refusé la grâce.
« La décision a été prise d'après la raison d'État dont le gouvernement responsable de l'État est le seul juge qualifié. »
De Gaulle a assuré aux avocats :
« J'ai des enfants. Je ferai personnellement, j'insiste, personnellement, tout ce que je pourrai humainement faire pour assurer l'éducation morale et physique de ses enfants, je ferai tout pour qu'ils n'aient pas à souffrir trop de la décision que je peux être appelé à prendre. »