Pucheu meurt avec courage, commandant lui-même le peloton d'exécution, accusant Giraud de l'avoir trompé.
« Je ne veux qu'aucun gradé français, autre que le général Giraud, commande ce crime. »
L'exécution de Pucheu signifie qu'il n'y aura pas de compromis, de transition concertée entre Vichy et la République, réussissant à écarter de Gaulle au bénéfice de Giraud.
Giraud, et la plupart des officiers de l'« armée d'Afrique », qui ont été fidèles au maréchal Pétain, sont, de fait, hostiles à de Gaulle et espèrent donc cette transition de Pétain à Giraud. Ils espèrent l'appui de Churchill et de Roosevelt.
Une lettre de Giraud, interceptée par les services secrets « gaullistes », confirme ses intentions.
« Actuellement, la situation est claire. Le général de Gaulle est le dictateur de demain, avec un état-major de communistes, de socialistes et de Juifs. Il sera constamment obligé de donner des gages à gauche, en attendant qu'il soit dévoré par ses partisans.
« Le général Giraud n'a pas voulu se solidariser avec un pareil personnel. Il est convaincu que la France ne veut ni d'un dictateur ni du Front populaire. Il est très sincèrement républicain, mais avec une république à base de gens propres et sans juiverie. Si un gouvernement non asservi à l'Allemagne se forme en France sur cette base, il est tout prêt à lui apporter son expérience et son activité. »
Mais il est trop tard pour le général Giraud.
L'arrestation de Pucheu, et sa condamnation, les propos tenus par l'ancien ministre de l'Intérieur de Vichy devant le peloton d'exécution accusant Giraud de ne pas avoir tenu ses engagements ont discrédité le général.
Les communistes qui le soutenaient discrètement pour affaiblir de Gaulle ne protestent pas quand, le 4 avril 1944, de Gaulle le démet de ses fonctions de commandant en chef. Giraud refuse l'inspection Générale des Armées que lui propose de Gaulle, et se retire.
L'éloge que de Gaulle fait de Giraud, lors d'une conférence de presse tenue à Alger le 21 avril 1944, ne trompe personne.
Ces couronnes de mots magnifiques - carrière militaire, évasion légendaire de la forteresse allemande de Koenigstein - sont déposées sur le cercueil d'une ambition politique.
Et chacun voit bien que de Gaulle a écarté un dernier obstacle dans sa marche vers le pouvoir d'après la Libération.
Les journalistes lors de cette conférence de presse l'interrogent à ce sujet :
« On a prétexté, au sujet des réserves et des réticences alliées sur le Comité Français de Libération Nationale (CFLN) et son président, la crainte de voir s'établir votre dictature en France après la Libération ?
- C'est là une vieille histoire ! répond de Gaulle. Quelques-uns ont dit que le général de Gaulle veut être dictateur. D'autres que le général de Gaulle veut rétablir la IIIe République avec les hommes du passé. D'autres encore affirment que le général de Gaulle va livrer la France au communisme. Quelques-uns disent que le général de Gaulle est l'homme des Américains ou des Anglais ou de Staline. Peut-être un jour toutes ces contradictions s'accorderont-elles. En attendant, je ne me fatiguerai pas à leur répondre. Les Français n'accepteraient aucune dictature française, a fortiori, je vous le garantis, aucune dictature étrangère. Mais les Français veulent que leur gouvernement les gouverne. C'est ce qu'il s'efforce de faire. »
9.
De Gaulle ne s'illusionne pas. Il n'est pas homme à se payer de mots.
De Gaulle sait, en ce printemps 1944, que ce n'est pas le Gouvernement Provisoire qu'il préside à Alger qui gouverne la France.
Le pouvoir de fait, ce sont les divisions de la Wehrmacht et des SS, et la Milice de Joseph Darnand qui le détiennent.
Dans l'ombre certes, les Forces Françaises de l'Intérieur (FFI) - groupes francs, francs-tireurs et partisans, maquisards - tissent leur toile et se préparent à soutenir les forces alliées qui débarqueront en déclenchant l'insurrection nationale.
C'est ce mouvement qui embrasserait tout le pays que veut empêcher l'occupant en déportant, en tuant, en brisant les maquis. En serrant la France à la gorge afin qu'elle ne puisse même pas pousser un cri de révolte.
Jamais la répression n'a été aussi féroce.
Le 25 mars, les habitants de la zone côtière méditerranéenne sont chassés par les Allemands et des convois d'évacués partent vers le Massif central.
« Je comprends et je partage leurs soucis, leurs inquiétudes », déclare Pétain qui n'est plus qu'un fantoche de 88 ans qui a capitulé.
Le conseiller diplomatique du Führer présente chaque jour au Maréchal de nouvelles exigences, lui répète que le Feldmarschall von Rundstedt et le ministre Ribbentrop lui demandent d'enregistrer une allocution aux Français afin qu'elle soit radiodiffusée le jour du Débarquement allié.
Pétain refuse d'abord puis, comme à l'habitude, se soumet et accepte de lire ces phrases « allemandes ».
« Français, quiconque parmi vous, fonctionnaire ou simple citoyen, participe aux groupes de résistance compromet l'avenir du pays. »
De la même voix chevrotante, Pétain prononce ces mots qui arrache tous les masques, et montrent qu'il n'est plus qu'une marionnette des nazis :
« Quand la tragédie actuelle aura pris fin et que, grâce à la défense de notre continent par l'Allemagne et aux efforts de l'Europe, notre civilisation sera définitivement à l'abri du danger que fait peser sur elle le bolchevisme, l'heure viendra où la France retrouvera et affirmera sa place. »
Cette collaboration avec l'Allemagne, en 1944, les Français savent ce qu'elle implique.
Au mois de mars, la police parisienne arrête 4 746 personnes, soupçonnées d'appartenir à des réseaux de résistance. Et nombre d'entre elles seront remises aux nazis. La Gestapo arrête de hauts fonctionnaires (13 préfets), déporte les familles des personnalités de la Résistance. Et la Wehrmacht, les divisions SS, les miliciens de Darnand fusillent, pendent après avoir brûlé fermes et villages.
Ils sont des centaines, ces Français qu'on assassine. Ainsi ces habitants du village de Frayssinet-le-Gélat, dans le Lot, dont 10 hommes sont fusillés et 3 femmes pendues.
Cependant, Pétain recevant le secrétaire d'État au Maintien de l'ordre, Darnand, par ailleurs Waffen-SS, chef de cette Milice qui torture et tue, lui déclare sur un ton paternel :
« Vous agissez comme moi avec les mutins de 1917. »
De son côté, Laval, réunissant des chefs de la Milice, exalte leur action :
« Ce que j'aime en vous, c'est la franchise de votre attitude, dit-il. Je marche en plein accord, en accord total avec Darnand... Quelle que soit votre origine, je veux que vous soyez fondus dans une même cellule milicienne. »
Laval s'avance vers les chefs miliciens, bras écartés.
« Je veux avoir conscience quand je tomberai dans l'oubli éternel que je n'ai pas fait de mal à la France et que je l'ai bien servie, déclare-t-il, d'une voix vibrante. Je l'ai servie au maximum, au risque de ma vie. »
Il noue ses mains sur sa poitrine, comme pour une prière : « La France est un grand pays, il faut qu'il reste un beau pays, dit-il. Je voudrais, si cela était possible, totaliser, à moi tout seul, le sacrifice de nous tous pour que vive la France. »
Pendant que Pierre Laval présente sa politique de collaboration, de répression, de trahison comme si elle était une mystique, les miliciens, les mercenaires des Groupes Mobiles de Réserve (GMR), associés à des unités de la Wehrmacht, achèvent les maquisards blessés du plateau des Glières.