Ils encerclent ces 467 hommes depuis la mi-février.
Ils sont près de 20 000, lourdement armés. Les officiers « français » des GMR ont fait mine de conclure un accord avec les maquisards. Ils ne l'ont pas respecté et le chef du maquis, le lieutenant Tom Morel, est abattu traîtreusement par un commandant des GMR.
Au même moment, la Royal Air Force parachute sur le plateau 90 tonnes d'armes avec munitions : de quoi équiper 4 000 hommes !
Parachutage « trop abondant, analyse un chef maquisard... Nous perdons, en refusant d'abandonner cet arsenal, notre liberté d'action et de mouvement, c'est-à-dire la principale force d'une troupe de maquisards, agiles par définition ».
Le 18 mars, le capitaine de chasseurs alpins, Anjot, est désigné par le commandant de l'Armée secrète pour prendre la relève de Tom Morel.
Les Allemands ont engagé près de 15 000 hommes, appuyés par la Luftwaffe. La Milice participe à l'assaut.
Le 26 au soir, Anjot donne l'ordre de « décrochage ». Il sera tué le 27, et avec lui la plupart des officiers.
Après neuf jours de bataille, Allemands et miliciens commencent une impitoyable chasse à l'homme.
Il n'y aura que peu de survivants, mais, comme le dit le chef des maquis de l'Ain, Romans-Petit, « si l'épopée des Glières est une défaite des armes, elle est une victoire des âmes ».
10.
« Allô, ceux des Glières, merci ! »
Maurice Schumann, d'une voix vibrante, vient d'exalter à la BBC le courage, l'héroïsme et le sacrifice de ces jeunes combattants tombés face aux Allemands et aux miliciens de Darnand.
Il ne dira pas que ce responsable du Maintien de l'ordre, ce Waffen-SS qui a prêté serment à Hitler, et dont les miliciens qu'il commande ont perpétré tant de crimes déjà, vient de faire parvenir à Londres la proposition de rejoindre une unité de la France Combattante !
C'est le temps des troubles. Les hommes qui ont choisi la collaboration, parfois par l'effet d'un patriotisme dévoyé, aveuglés qu'ils étaient par la haine des Juifs et des communistes, tentent de retirer leurs mises en rejoignant ceux qu'ils ont dénoncés, pourchassés, torturés, tués.
Pierre Pucheu, devant ses juges, dit :
« Celui-là qui porte aujourd'hui l'espérance suprême de la France, ce général de Gaulle, si ma vie peut lui servir dans la mission qu'il accomplit, qu'il prenne ma vie, je la lui donne. »
« Si je l'avais gracié, commente de Gaulle, les criminels de cette nature prendraient tous le chemin d'Alger. Nos prisons se rempliraient et leurs locataires attendraient paisiblement la fin de la guerre et l'oubli ! »
Il faut juger les hommes non à leurs intentions mais à leurs actes, pense de Gaulle.
« Quoi qu'ils aient cru, quoi qu'ils aient voulu, dit-il, il ne saurait, aux uns et aux autres, être rendu que suivant leurs œuvres. Mais ensuite ? Ensuite ? Ah ! que Dieu juge toutes les âmes ! Que la France enterre tous les corps ! »
Il faut se souvenir d'abord des martyrs de la Résistance, un Jean Moulin, un Brossolette, ceux des Glières, le lieutenant Tom Morel et le capitaine Anjot, et tant d'autres tels le philosophe Jean Cavaillès, l'historien Marc Bloch et ceux qui - comme la nièce de Charles de Gaulle, Geneviève de Gaulle - survivent peut-être encore dans les « camps de la mort ».
De Gaulle monte à la tribune de l'Assemblée consultative à Alger et, d'une voix émue, il dit :
« La Résistance française, dans la nuit de son cachot, dans les ténèbres de la clandestinité, peut dire ce que disait le martyr devant le tyran : "Ma nuit n'a pas d'ombre." »
Mais il y a tous ceux qui n'ont pas choisi l'engagement, qui ont vécu au jour le jour, emprisonnés par les contraintes de la vie quotidienne : se nourrir, protéger les siens. Ceux-là ont cru longtemps à tous les mensonges. Beaucoup y croient encore.
« On ne gouvernera jamais qu'avec les Français », dit de Gaulle à Georges Boris, l'un de ses premiers compagnons.
Il hésite, puis il ajoute :
« Ils ont été pétainistes. »
Les badauds, à Vichy, applaudissent le dimanche le maréchal Pétain quand il assiste à la relève de la garde, sur le seuil de l'hôtel du Parc, puis au lever des couleurs.
Des jeunes filles s'avancent, lui offrent de jolis bouquets - exprimant de façon touchante la vénération de la population « tout entière », peut-on lire dans les journaux.
Un autre article décrit avec des accents martiaux la parade militaire de la garde du Maréchal : « ... venaient en tête les motocyclistes, leurs mitrailleuses pointées, le chef debout dans le side-car... »
Images factices, scènes d'opérette : la France est bombardée chaque jour. Le peuple a faim. La mort rôde. Et Pétain joue son rôle avec de brefs instants d'agacement, de mauvaise humeur qui ne vont jamais jusqu'à la résistance déterminée aux Allemands.
« J'en ai assez de cette vie, confie-t-il. Il me faudrait une semaine de calme. Je ne pourrai durer indéfiniment. Je suis en prison, je ne peux pas réfléchir. Je ne comprends plus ce que je lis. Ce n'est pas une vie. »
Il est vrai que l'hôtel du Parc est une forteresse. Chaque soir, des gardes armés vérifient et ferment toutes les issues. Les Allemands redoutent que les maquisards n'enlèvent Pétain. Ils ne savent pas que Pétain a refusé de fuir Vichy.
Ils ignorent aussi - comme Laval et les ministres - que Pétain veut gagner Paris pour assister à la messe que le cardinal Suhard célébrera en souvenir des nombreuses victimes des bombardements alliés.
Une foule de plusieurs milliers de personnes s'est rassemblée le 26 avril sur la place de l'Hôtel-de-Ville où se rend Pétain après la messe à Notre-Dame.
Ovations. Émotion. Pétain improvise un bref discours. La foule est saisie par cette voix tremblante et fragile qui touche en ces temps de violence. Et la faiblesse de Pétain garantit sa sincérité.
« Mesdames, messieurs, commence Pétain.
« Je viens vous faire une visite. Je ne peux pas m'adresser à chacun de vous en particulier, c'est impossible, vous êtes trop nombreux, mais je ne voulais pas passer à Paris sans venir vous saluer, sans venir me rappeler à votre bon souvenir.
« Je suis venu ici pour vous soulager de tous les maux qui planent sur Paris, j'en suis encore très attristé.
« Mais c'est une première visite que je vous fais... J'espère bien que je pourrai venir facilement à Paris sans être obligé de prévenir mes gardiens. Je viendrai tout à l'aise... Je pense beaucoup à vous... Soyez sûrs que dès que je pourrai, je viendrai et alors ce sera une visite officielle. Alors, à bientôt j'espère... »
Une hésitante et timide Marseillaise s'élève quelques instants puis retombe.
Les Allemands fabriquent la version « officielle » de ce discours. Ils y ont glissé le nom de Pierre Laval.
Et ils tirent la leçon de ce voyage, qui a permis à Pétain, en quelques mots, de se présenter en « prisonnier », de réorganiser son espace politique. Ils veulent isoler le Maréchal de ses conseillers, et le dimanche 7 mai 1944, un long cortège de 19 voitures - 12 chargées de policiers allemands - le conduit au château de Voisins, en Île-de-France.
Désormais, il n'est plus maître du choix de sa résidence.
Il négocie avec les Allemands le texte d'un communiqué qui marquera son opposition à ce déplacement.
« Le motif invoqué est la sûreté de sa personne... Devant l'exigence qui lui est présentée et en raison des circonstances, le Maréchal se rendra cependant dans les environs de Paris. Mais le siège du gouvernement reste toujours à Vichy où le Maréchal reviendra dès que les circonstances qui motivent son éloignement auront cessé d'exister. »