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En 1943, Rommel a connu Stauffenberg en Tunisie. Cet officier y était arrivé de Russie. Il semblait révolté par les exterminations massives de civils, de Juifs, dont il avait eu connaissance. Issu d'une famille aristocratique, catholique fervent, il était déterminé à agir pour renverser Hitler.

Mais le 7 avril 1943, sa voiture avait sauté sur un champ de mines et il avait été grièvement blessé, perdant l'œil gauche, la main droite, deux doigts de la main gauche ; son oreille et son genou gauches avaient été atteints. Guéri, il avait demandé à être admis dans le service actif avec un seul but : tuer Hitler.

Il avait confié à sa femme, la comtesse Nina, mère de ses quatre enfants :

« Je dois faire quelque chose pour sauver l'Allemagne. Nous autres, officiers de l'état-major général, nous devons tous prendre notre part de responsabilités. »

La première tentative d'attentat avait donc échoué le 26 décembre 1943.

La résolution de Stauffenberg n'avait pas faibli.

Un proche de Rommel, Karl Stroelin, avait, dès février 1944, évoqué avec le Feldmarschall cette conspiration des généraux contre Hitler.

« Vous êtes notre plus grand général, le plus populaire aussi, a-t-il dit à Rommel, et le plus respecté à l'étranger. Vous êtes le seul à pouvoir empêcher cette guerre civile en Allemagne. Il faut que vous prêtiez votre nom au mouvement. » Rommel, après quelques instants d'hésitation, répond :

« Je crois qu'il est de mon devoir de venir au secours de l'Allemagne. »

Mais Rommel est hostile à l'assassinat de Hitler. Tuer le dictateur en ferait un martyr.

« Il faut le faire arrêter par l'armée, et le faire comparaître devant un tribunal allemand pour les crimes commis contre son propre peuple et contre les populations des pays occupés. »

Le Feldmarschall von Rundstedt, auquel Rommel fait part de l'existence d'un « mouvement » parmi les généraux et de son intention d'y participer, l'approuve :

« Rommel, vous êtes jeune, vous connaissez et vous aimez le peuple. C'est donc à vous d'agir. »

Le général Speidel, à la fin du mois de mai 1944, expose à Rommel les principaux points du programme qui serait appliqué après l'arrestation de Hitler et le renversement du gouvernement nazi :

« Pas de dictature militaire, mais un gouvernement représentatif des forces de résistance. Armistice immédiat avec les Alliés occidentaux. Pas de reddition inconditionnelle. Préparation d'une paix constructive dans le cadre d'États-Unis européens.

« À l'Est, continuation de la guerre. Maintien d'un front défensif raccourci entre l'embouchure du Danube, les Carpates, la Vistule et Memel.

« Des troupes allemandes s'empareraient du secteur de Munich et encercleraient Hitler dans son réduit de l'Obersalzberg. »

Personne parmi ces généraux et ces personnalités civiles - Cari Goerdeler, Karl Stroelin - n'imagine que les Trois Grands restent unis.

Et Rommel note avec satisfaction dans son Journal, le 27 avril 1944 :

« On dirait que les Anglais et les Américains vont nous faire la grâce de s'abstenir encore un certain temps. Ce délai a une valeur capitale pour l'état de nos défenses côtières. Nous nous renforçons quotidiennement sur terre tout au moins, car dans les airs nous ne pouvons en dire autant. Cependant, le moment venu, les choses tourneront là aussi à notre avantage... »

Le 15 mai, il se félicite du nouveau délai :

« Nous sommes déjà à la mi-mai et rien ne se produit. Pourtant, il semble qu'en Italie l'ennemi ait lancé une offensive en tenailles qui pourrait être le prélude aux grands événements du printemps ou de l'été.

« Je viens de faire une tournée de quelques jours et je me suis entretenu avec les officiers et les soldats. Le travail accompli au cours des dernières semaines est considérable. Je suis convaincu que l'ennemi en subira les conséquences s'il attaque, et qu'en définitive il n'obtiendra pas le succès qu'il escompte. »

Rommel n'apparaît guère comme un conspirateur anxieux qui a hâte de chasser Hitler et les nazis du pouvoir.

Il « passe le temps, fai[t] une promenade à cheval mais aujourd'hui m'en voilà fortement courbaturé. »

Il joue avec ses chiens qui le distraient.

Il est préoccupé par l'évolution du front italien.

Dans la nuit du 11 au 12 mai 1944, les Alliés ont lancé leur offensive générale sur le front du Garigliano.

Les succès remportés là par le corps expéditionnaire français du général Juin aboutissent en quelques jours à la rupture du front défensif allemand. Cassino, devant lequel on se bat depuis six mois, tombe le 18 mai entre les mains du corps polonais. Rome est à portée de main.

« Avant-hier, écrit Rommel le 19 mai, j'ai téléphoné au Führer pour la première fois. D'excellente humeur, il n'a pas ménagé ses louanges pour le travail que nous avons accompli à l'Ouest. J'espère bien continuer à un rythme plus rapide que précédemment. Il fait toujours froid, et enfin, il pleut. Voilà qui va forcer les Anglais à se montrer patients. J'attends encore pour savoir si je pourrai m'absenter quelques jours dans le courant du mois de juin. Pour le moment, il n'en est pas question. Malheureusement, la situation en Italie est inquiétante : l'énorme supériorité ennemie en artillerie et, surtout, en aviation a permis d'ouvrir une brèche dans notre front. »

Ce conspirateur, fort heureux des louanges que le Führer lui prodigue, se désole les jours suivants de ne pas disposer d'autant de moyens que l'ennemi.

« Hier, écrit-il le 11 mai 1944, grande activité dans le ciel. Nous autres, nous sommes livrés à nos seuls moyens. Aujourd'hui, c'est plus calme, jusqu'à maintenant tout au moins. Les succès remportés par l'ennemi en Italie sont déplorables. La situation sur le champ de bataille ne nous était pas défavorable, mais leur supériorité en avions et en munitions est écrasante, comme c'était le cas en Afrique. J'espère que les choses se passeront mieux à l'Ouest. Jusqu'ici, l'adversaire ne s'est encore livré à aucune préparation aérienne véritable et les dégâts provoqués par ses appareils, il y a quelques jours, ont été vite réparés... »

Rommel semble seulement reprocher à Hitler de ne pas lui donner les moyens d'être vainqueur !

Et c'est bien la défaite annoncée qui transforme en conspirateurs ces généraux, si enthousiastes en 1940, quand Rommel et Guderian à la tête de leurs blindés s'enfonçaient dans le corps meurtri de la France vaincue.

Le 29 mai, Rommel note :

« Reçu hier la visite de von Rundstedt. »

Le Feldmarschall, sans s'engager personnellement, soutient le complot des généraux.

Rommel ne laisse aucune trace écrite de leur conversation mais ajoute ce jour-là, dans son Journal :

« Dans l'après-midi, j'ai eu un entretien avec un officier anglais prisonnier, un homme aimable et sensé. »

14.

Rommel n'a rien appris de cet officier anglais.

D'ailleurs, le Feldmarschall n'a pas cherché à l'interroger avec insistance.

L'officier n'a évoqué que ses missions de bombardement, mais sans rien révéler qui puisse préciser le lieu de ce débarquement allié, sa date si proche, mais que les services de renseignements allemands sont incapables de situer.

Le colonel Georg Hansen, qui est passé de l'Abwehr au service de renseignements de Himmler - et qui est en relation avec Stauffenberg, - a seulement fait état de sa certitude que l'« invasion » pourrait avoir lieu n'importe quel jour en juin.