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De Gaulle va et vient dans le jardin de la villa. Il a besoin de se retrouver seul.

Il a accepté, ce matin du 2 juin, de recevoir Duff Cooper, l'ambassadeur de Grande-Bretagne en France. À la condition que les communications soient rétablies entre Londres et Alger. L'ambassadeur a accepté. Il a été conciliant, insistant. Il a transmis un message du Premier ministre. De Gaulle le relit :

« Venez maintenant, je vous prie, ici avec vos collègues aussitôt que possible et dans le plus grand secret, écrit Churchill. Je vous donne personnellement l'assurance que c'est dans l'intérêt de la France. Je vous envoie mon propre York ainsi qu'un autre York pour vous. »

L'avion personnel du Premier ministre, a insisté Duff Cooper. « Vous serez l'hôte du gouvernement de Sa Majesté », a-t-il précisé.

Bien sûr, cela signifie que le Débarquement est pour dans quelques jours, peut-être quelques heures. Mais il ne faut pas céder à ce qui peut être aussi une manœuvre, car aucune négociation n'a abouti à propos de l'administration des territoires libérés.

Il faut convoquer le Gouvernement Provisoire. L'atmosphère est tendue. Les commissaires divisés.

« Ce n'est qu'une machination pour m'amener à prononcer un discours qui fera croire aux Français que je suis d'accord avec les Anglais et les Américains alors qu'en fait je ne le suis pas », dit de Gaulle.

Longs débats. Peut-on être absent alors que le Débarquement a lieu ? On vote. Seuls quatre commissaires sont opposés au voyage.

« Je n'ai pas l'honneur d'avoir la majorité », dit de Gaulle.

Il partira donc pour Londres.

Il n'a pas encore donné sa réponse à Duff Cooper. Jusqu'au bout, il faut soupeser, faire sentir aussi que l'on ne cède pas.

À 10 heures, il reçoit l'ambassadeur britannique.

À 11 heures, il serre la main de chacun des membres du gouvernement.

Il se sent ému, grave. Il approche du moment où l'espoir qu'il avait eu en juin 1940 va enfin devenir réalité.

Mais il faut déjà voir au-delà.

« Il faut regarder loin dans l'avenir, celui des relations franco-britanniques, dit-il aux ministres. Il ne faut pas qu'on puisse dire que la France était absente du quartier général dans l'assaut de l'Europe. »

Il ne veut pas qu'un ministre l'accompagne afin de pouvoir refuser à Churchill toute négociation.

Il partira avec quelques proches : Palewski, le général Béthouart, Billotte, ainsi que Geoffroy de Courcel et Teyssot, Hervé Alphand et Soustelle.

En arrivant sur l'aéroport d'Alger-Maison-Blanche, il devine le soulagement de Duff Cooper qui se tient près de l'échelle du York de Churchill.

Puis c'est l'envol, une escale à Casablanca, et l'entrée dans cette grisaille qui couvre la Manche et les îles britanniques.

Il pleut, ce 4 juin au matin, quand de Gaulle regarde par le hublot cette fanfare qui se tient au pied du hangar devant lequel s'immobilise le York. Elle joue La Marseillaise.

Il se souvient de son arrivée ici, le 17 juin 1940. Et dans la voiture qui le conduit vers l'hôtel Claridge, à chaque regard, un souvenir revient. Si longues, ces années de solitude et de combat !

Il lit les messages qu'on lui remet. Le premier est du général Juin. Les troupes françaises sont entrées à Rome !

Il a une bouffée de joie et d'orgueil. Il dicte, tout en allant et venant, les mots qui surgissent d'un seul élan :

« L'armée française a sa large part dans la grande victoire de Rome. Il le fallait ! Vous l'avez fait ! Général Juin, vous-même et les troupes sous vos ordres sont dignes de la patrie. »

Il se sent renforcé. Dans un message, Eisenhower parle de la « courageuse action du corps expéditionnaire français », de la « tenue superbe des troupes ».

Tout cela est de bon augure, mais de Gaulle contient aussitôt son optimisme. On essaie peut-être aussi, avec cet accueil en fanfare, de le préparer à accepter ce qu'il a déjà refusé : AMGOT et monnaie étrangère.

Il lit le dernier message. Il est écrit par Winston Churchill. Dieu qu'il est aimable !

« Mon cher général de Gaulle,

« Bienvenue sur ces rivages ! De très grands événements militaires vont avoir lieu. Je serais heureux que vous puissiez venir me voir ici, dans mon train qui est près du quartier général du général Eisenhower, et que vous ameniez une ou deux personnes de votre groupe. Le général Eisenhower espère votre visite et vous exposera la situation militaire qui est extrêmement importante et imminente. Si vous pouvez être ici pour 13 h 30, je serais heureux de vous offrir à déjeuner. Nous nous rendrions ensuite au quartier général du général Eisenhower. Faites-moi parvenir de bonne heure un message par téléphone de façon à ce que je sache si cela vous convient ou non.

« Sincèrement à vous. »

Il donne son accord. Les voitures partiront vers 11 heures. Il invite Béthouart et Billotte, Koenig et Viénot à l'accompagner. Une ou deux personnes, a dit Churchill. Ce sera quatre !

On roule vers Portsmouth. La pluie parfois, le ciel bas et gris toujours. À Droxford, un train.

De Gaulle aperçoit Churchill, le corps serré dans un uniforme de la Royal Air Force, qui avance sur le ballast, les bras ouverts.

Il voit aux côtés du Premier ministre le maréchal Smuts, le gouverneur de l'Afrique du Sud, qui, il y a quelques semaines, a affirmé que la France ne retrouverait plus sa grandeur passée et n'aurait pas d'autre choix que d'entrer dans le Commonwealth ! Comment être chaleureux ?!

Dans le wagon-salon, de Gaulle s'assied en face de Churchill. Une table recouverte d'un tapis vert les sépare.

Il observe Churchill qui semble surexcité, les joues rouges, l'œil brillant. Et naturellement, il serre son cigare éteint entre ses dents.

« Je prends sur moi de vouloir vous mettre dans le secret, commence Churchill. Le Débarquement, l'opération, devait avoir lieu ce matin, mais le mauvais temps nous en a dissuadés. »

Il se lève, gesticule devant une carte, parle des sites choisis entre la Seine et le Cotentin. De Gaulle se souvient du plan identique que Billotte avait esquissé en 1942, et qu'il avait soumis en vain aux généraux américains.

« Il ne reste plus beaucoup d'espoir de commencer l'opération avant le jour J + 3, explique Churchill, mais la situation sera réexaminée toutes les vingt-quatre heures. »

« Bien entendu, je n'ai pas été informé de la date au préalable, répond de Gaulle. Quoi que les événements prochains doivent coûter à la France, elle est fière d'être en ligne aux côtés des Alliés », continue-t-il.

Il sent un « souffle d'estime et d'amitié » unir un instant tous les présents.

Il dit son admiration pour cette opération d'une importance exceptionnelle.

On échange encore quelques informations, puis, à 14 h 15, on passe dans le wagon voisin pour le déjeuner.

En attendant le déclenchement du Débarquement, dit Churchill au dessert, « nous pourrions parler politique ».

De Gaulle se raidit. Il fixe le Premier ministre. C'est le moment. Peut-être la vraie raison de cette réception, de ces amabilités. Lui faire accepter les solutions américaines.

« Voilà un certain temps que je corresponds avec le Président », commence Churchill.

De Gaulle ne répond pas quand le Premier ministre, puis Eden, puis le leader travailliste Bevin insistent pour que de Gaulle se rende aux États-Unis afin de rencontrer Roosevelt. Ils veulent aussi commencer ici même les conversations politiques.

« C'est la guerre, faites-la, on verra après, répète de Gaulle.