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18.

C'est la nuit du 5 au 6 juin.

Le diplomate anglais, Charles Peake, explique à de Gaulle que tous les chefs d'État en exil prendront la parole demain matin à l'aube, puis viendront la proclamation d'Eisenhower et enfin le général de Gaulle.

De Gaulle secoue la tête, refuse.

« Je paraîtrai avaliser ce qu'il aura dit et que je désapprouve et je prendrai dans la série un rang qui ne saurait convenir. Si je prononce une allocution, ce ne peut être qu'à une heure différente, en dehors de la suite des discours. »

La France a près de 130 000 hommes engagés dans la guerre. Elle est la quatrième puissance belligérante dans le camp des Alliés. De Gaulle ne se laissera pas traiter comme la grande-duchesse de Luxembourg ou la reine des Pays-Bas !

On lui rapporte que Churchill, fou de rage, s'est écrié :

« Qu'on mette de Gaulle en avion et qu'on le renvoie à Alger, enchaîné si nécessaire. Il ne faut pas le laisser rentrer en France. Tant que le général de Gaulle restera à la tête des affaires, il n'y aura pas de bonnes relations entre la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis. Le général de Gaulle est un ennemi. »

De Gaulle hausse les épaules. Puis il écoute le diplomate Viénot présenter à nouveau les arguments d'Eden. Il faudrait, selon le secrétaire d'État, que les officiers français de liaison administrative puissent débarquer avec les Alliés, que de Gaulle s'y engage.

Viénot ne comprend donc pas qu'il s'agit de notre avenir !

De Gaulle tempête. Il va et vient dans le salon de l'hôtel Connaught, puis tout à coup il s'apaise.

Cette nuit est celle où les premiers parachutistes vont toucher la terre de France, et parmi eux les Français du 2e régiment de parachutistes de l'air.

Bientôt prendront pied avec la première vague d'assaut les hommes du bataillon de choc du commandant Kieffer, qui vont se jeter hors des barges de débarquement.

Il retrouve le petit appartement de Seymour Place où Philippe l'attend. Il veut passer cette nuit avec lui. Il observe son fils qui a choisi, pour participer aux combats de la Libération, d'être versé dans un régiment de fusiliers marins.

Dîner en tête à tête. Prendre le temps de le regarder, de lui parler en cette nuit décisive. Évoquer les héros : Moulin, torturé à mort ; Fred Scamaroni, délégué de la France Libre en Corse, et l'un des premiers résistants, Jacques Blingen, qui, il le sait maintenant, se sont suicidés après avoir été arrêtés. Comme Brossolette.

« Les Anglo-Saxons, dit-il d'une voix sourde, s'apprêtent à traiter les Français comme des autochtones à administrer ! »

Ce n'est pas pour ce résultat-là que ces héros sont tombés.

Il aime ce silence recueilli qui s'établit avec son fils, puis cette évocation grave de leur famille, de ceux qui sont entre les mains des nazis, Marie-Agnès, Alfred Caillau, Pierre de Gaulle et Geneviève de Gaulle.

Le temps passe. De Gaulle regarde la pendule.

« Ça y est, dit-il. Maintenant, c'est le débarquement. »

Peu après, il reconduit son fils.

« J'ai confiance en la réussite du débarquement, dit-il. Les Alliés disposent de forces considérables. »

Il s'interrompt. Si une première opération ne réussissait pas, il y en aurait une seconde, une troisième...

« Mais comme nous le pensions dès le début, les Allemands perdront la guerre, quoi qu'il en soit. »

C'est le matin du 6 juin.

Les premières nouvelles sont encourageantes. De Gaulle reçoit Charles Peake.

« Tout le monde a parlé, dit le diplomate. Il faut vous adresser au peuple français à votre tour », insiste-t-il.

Maintenant qu'il sera seul à l'antenne, de Gaulle peut accepter. Il enregistrera son émission vers midi. Il n'en communiquera pas le texte, naturellement.

Il mesure l'hésitation et les craintes de Peake et, au-delà de lui, celles du Foreign Office et sans doute de Churchill. Mais ils vont s'incliner parce que la France s'est rassemblée, parce que la Résistance montre déjà son efficacité, paralysant les divisions allemandes.

Parce que Pétain vient de déclarer que les Français doivent s'abstenir de participer aux combats qui commencent.

À 12 heures, il entre dans les studios de la BBC de Bush House.

Il marche lentement le long des couloirs. Une émotion intense lui serre la gorge.

Il se souvient de l'appel du 18 juin 1940 à partir duquel tout a commencé. Ce qu'il va dire, ces phrases qui se pressent en lui, est issu de ce jour-là.

Il s'assied. On règle le micro. Il se remémore chaque mot. Il doit appeler au combat au nom du gouvernement français, et il doit faire comprendre que cette bataille sera dure.

Lampe rouge. Geste du technicien derrière la vitre. Il commence :

« La bataille suprême est engagée... C'est la bataille de France et c'est la bataille de la France. [...] Pour les fils de France, le devoir est simple et sacré : il s'agit de détruire l'ennemi, l'ennemi qui écrase et souille la patrie... Cette bataille, la France va la mener avec fureur. Elle va la mener en bon ordre. C'est ainsi que nous avons depuis quinze cents ans gagné chacune de nos victoires... [Il faut] que les consignes données par le gouvernement français et par les chefs français qu'il a qualifiés pour le faire soient exactement suivies... [Il faut] que l'action soit conjuguée avec celles que mènent de front les armées alliées et françaises... L'action des armées sera dure et sera longue. C'est dire que l'action des forces de la Résistance doit durer jusqu'au moment de la déroute allemande... La bataille de France a commencé. Il n'y a plus dans la nation, dans l'Empire, dans les armées, qu'une seule et même volonté, qu'une seule et même espérance. Derrière le nuage si lourd de notre sang et de nos larmes, voici que reparaît le soleil de notre grandeur. »

Les heures, les jours.

C'est comme si d'avoir prononcé ces phrases l'avait épuisé, peut-être s'est-il laissé jouer ?

Il prépare un télégramme pour Alger. Il faut que le Gouvernement Provisoire soit averti de ce qui se passe ici.

« Mon voyage a pour principal objet de couvrir la marchandise... »

Il hésite à poursuivre. Il sait que l'opinion anglaise, les journaux, les parlementaires commencent à protester contre « l'asservissement de Churchill à Roosevelt ». Il sent des signes d'apaisement.

Il reçoit Eden, accepte que le général Koenig, qu'il nomme commandant en chef des Forces Françaises de l'Intérieur (FFI), envoie des officiers de liaison auprès des forces alliées.

Mais comment ne pas s'indigner quand Eisenhower annonce la mise en circulation en France de ces billets étrangers ?

« Il est honteux, dit-il à Eden, que les Anglais soient à la remorque de l'Amérique et aient accepté leur fausse monnaie. »

Il reprend son télégramme destiné à Alger.

Il faut qu'on sache là-bas que « toutes nos protestations ont été inutiles »... Washington a imprimé pour 40 milliards de « francs d'occupation ».

« Churchill est devenu aveugle et sourd. »

Le Premier ministre s'est rendu le 12 juin sur les plages du Débarquement en compagnie du maréchal Smuts.

Sans même songer à y inviter le chef du Gouvernement Provisoire de la République française, qui se bat contre l'Allemagne depuis aussi longtemps que lui, et avec lui !

Il faut que l'opinion anglaise et américaine condamne cette politique, pèse davantage encore.

Déjà Roosevelt lui a fait parvenir une invitation à le rencontrer à Washington.