De Gaulle convoque un journaliste de l'Agence Française d'information.
« Il n'existe aucun accord entre le gouvernement français et les gouvernements alliés au sujet de la coopération de l'administration française et des armées alliées..., déclare-t-il. Cette situation est inacceptable pour nous et risque de provoquer en France même des incidents qu'il nous paraît nécessaire d'éviter. D'autre part, l'émission en France même d'une monnaie prétendument française sans aucun accord et sans aucune garantie de l'autorité française ne peut conduire qu'à de sérieuses complications... »
Voilà, les choses sont dites.
La presse s'enflamme contre la politique de Churchill. Le cabinet désavoue le Premier ministre qui veut empêcher de Gaulle de se rendre en France.
En dépit de Churchill, une date est fixée. De Gaulle se rendra en France. Le 13 juin, il embarquera à bord du contre-torpilleur La Combattante qui appareillera à l'aube du 14 pour la côte française.
19.
Il a suffi d'une semaine, entre le mardi 6 - « le jour le plus long », le D-Day - et ce 13 juin pour que les jeux soient faits en Normandie.
Durant ces sept journées cruciales, chaque minute, chaque heure a compté autant que des années.
Le 6 juin, le général Jodl n'a pas osé réveiller le Führer et a pris sur lui de ne pas autoriser le déplacement et la contre-attaque des divisions de panzers.
Quand le Führer se réveille vers 15 heures ce mardi 6 juin et qu'il dicte à 16 h 55 son ordre du jour qui se conclut par cette phrase : « La plage devra être nettoyée cette nuit au plus tard », les têtes de pont anglaise et américaine sont déjà enracinées sur les plages.
Rommel, qui est rentré en fin d'après-midi à son QG, transmet l'ordre du Führer au général Pemsel, commandant la VIIe armée. Et celui-ci répond : « C'est impossible ! »
Les Alliés ont la totale maîtrise du ciel.
Les routes sont en permanence survolées, en toute liberté, par les chasseurs de la RAF. Tout est cible. Les camions, les panzers, les véhicules blindés explosent, brûlent, versent dans les fossés.
Les canons des cuirassés écrasent sous leurs obus les bunkers, les nids de mitrailleuses du Mur de l'Atlantique.
Le 13 juin, les têtes de pont élargies, reliées entre elles, forment de Caen - qui résiste aux Anglais - à la presqu'île du Cotentin un front continu de 100 kilomètres de côtes.
« À compter du 9 juin, dit le général Speidel, chef d'état-major de Rommel, l'initiative a appartenu aux Alliés. »
Les Anglais ont repoussé une vive contre-attaque menée par quatre divisions blindées SS, pilonnées par les obus des canons des navires et les bombes des chasseurs-bombardiers.
« Qu'allons-nous faire ? demande à von Rundstedt le général Keitel, qui est celui qu'on nomme "crapaud rapporteur" du Grand Quartier Général du Führer.
- Faites la paix, pauvres imbéciles, hurle dans le téléphone von Rundstedt, que pouvez-vous faire d'autre ? »
Rommel l'avait dit : quand la Luftwaffe ne peut protéger les panzers, c'est miracle de pouvoir même résister.
Hitler ne l'a pas compris.
Il laisse filer les minutes, les heures.
Alors qu'il a affirmé depuis des mois que le « front de l'Ouest » deviendrait, si les Alliés débarquaient, le front principal, il semble détourner le regard comme s'il ne voulait pas choisir, toujours persuadé, au fond de lui, que les Alliés mènent peut-être une attaque de diversion avant d'ouvrir le front principal dans la région de Calais et de Boulogne.
Le mercredi 7 juin, le Führer quitte ainsi son Quartier Général pour se rendre à Klessheim, une ville autrichienne proche de Salzbourg, afin d'y rencontrer le Premier ministre hongrois Sztojay, et lui recommander - lui imposer - de traiter le problème juif en Hongrie.
« Alors même, dit Hitler, que le régent Horthy essaie de choyer les Juifs, les Juifs ne l'en haïssent pas moins.
« Les Allemands ne veulent pas limiter la souveraineté hongroise, poursuit Hitler, ils veulent défendre la Hongrie contre les Juifs et leurs agents. »
Ce 7 juin, cependant que des dizaines de milliers de soldats anglais, canadiens, américains, débarquent en Normandie, élargissant leurs têtes de pont, Hitler revient sur le déclenchement de la guerre en 1939, et le rôle décisif des Juifs. Il les avait mis en garde, maintenant les Juifs doivent payer.
Hitler hausse le ton, fébrile, les yeux fixes.
« Je dois rappeler, dit-il, qu'à Hambourg 46 000 femmes et enfants ont été brûlés à mort. Personne ne peut me demander d'avoir la moindre pitié pour cette peste mondiale. Je m'en tiens désormais au vieux proverbe juif, œil pour œil, dent pour dent... Si la race juive devait gagner, conclut-il, au moins 30 millions d'Allemands seraient exterminés et des millions d'autres mourraient de faim. »
Ainsi le Führer, confronté au Débarquement, s'enferme-t-il dans ses obsessions criminelles, laissant ses maréchaux, ses généraux, ses officiers faire face à la fois aux troupes alliées et aux résistants.
Car l'annonce du Débarquement a exalté les maquisards. Souvent, ils abandonnent toute prudence, multiplient les attaques contre la Wehrmacht, et les actions de sabotage.
Ils cherchent à empêcher le déplacement des unités nazies vers le champ de bataille de Normandie.
Ils déplacent les rails (800 coupures dans l'Indre dans les 30 jours qui ont suivi le 5 juin !), cisaillent les lignes électriques, font sauter les ponts, tendent des embuscades.
Les Allemands vont réagir avec sauvagerie à ces actions de « guérilla ».
Le Feldmarschall von Rundstedt donne le 8 juin des consignes implacables à la division SS Das Reich commandée par le général Lammerding.
« Le développement des bandes dans le Massif central pendant ces derniers jours et ces dernières heures, écrit von Rundstedt, exige l'emploi immédiat et impitoyable de forces plus importantes. »
Il ordonne de « mener des actions de grande envergure contre les bandes dans le sud de la France avec la plus extrême vigueur et sans ménagement. Le foyer d'agitation qui persiste dans cette région doit être définitivement éteint. Le résultat de l'entreprise est de la plus haute importance pour l'évolution ultérieure de la situation à l'Ouest. Dans ce genre d'opération, un demi-succès ne sert à rien. Il faut écraser les forces de résistance au moyen d'attaques rapides et enveloppantes. Pour le rétablissement de l'ordre et de la sécurité, les mesures les plus énergiques devront être prises afin d'effrayer les habitants de cette région infestée à qui il faudra faire passer le goût d'accueillir les groupes de résistance et de se laisser gouverner par eux. Cela servira en outre d'avertissement à toute la population. »
Les SS de la division Das Reich vont transformer ces mots en fusillés, en pendus, en brûlés.
Pour eux, cette région qui comprend la Corrèze, la Haute-Vienne, la Creuse et l'Indre, est une « Petite Russie » - ainsi qu'ils la nomment depuis plusieurs mois, - compte tenu du nombre de sabotages et d'attaques de « partisans ».
Lammerding décide de passer aux actes.
« Pour tout Allemand blessé, trois terroristes seront pendus, et pour tout Allemand tué, ce seront dix terroristes. »
Or, en fin de journée, le 8 juin, les Francs-Tireurs et Partisans (FTP) se sont, après deux jours de combats, rendus maîtres de la ville de Tulle !
Les Allemands barricadés dans l'École normale ont eu une quarantaine de tués et 25 blessés que les maquisards veulent abattre.