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On repart.

Isigny est dévastée. Les hommes penchés sur les décombres cherchent des survivants et trouvent des cadavres.

On se redresse. Il va vers ces hommes, ces femmes, ces enfants. Ici, il rencontre la France blessée, en ruine, mutilée. Elle est là autour de lui, devant le monument aux morts.

Il faut dire l'espoir.

On lui serre les mains avec ferveur. Il voudrait demeurer là, parmi eux, mais il faut partir, traverser un bourg de pêcheurs, Grand-Camp, détruit lui aussi, rembarquer à bord de La Combattante.

Il reste sur la passerelle. La nuit l'entoure. Elle cache son émotion et sa joie.

Le général Béthouart vient se placer près de lui.

« Tu vois, lui murmure-t-il, il fallait mettre les Alliés devant le fait accompli. Nos autorités nouvelles sont en place. Tu verras qu'ils ne diront rien. »

Que pourraient-ils opposer à ce rassemblement spontané autour de lui de ces Français sur la place de Bayeux ou au milieu des ruines d'Isigny ?

À Carlton Gardens, dans l'après-midi du 15 juin, il veut que l'on accueille Anthony Eden avec solennité.

Il faut une garde d'honneur devant le bâtiment, des officiers postés le long de l'escalier. La France souveraine reçoit un allié.

Le Gouvernement Provisoire a été reconnu par la plupart des États européens. Les FFI se battent partout.

Les massacres accomplis par la division Das Reich sont l'aveu criminel de cette bataille de la France : 99 pendus à Tulle, plusieurs centaines de victimes à Oradour-sur-Glane. Voilà la France martyre et debout.

Il a le sentiment, en serrant la main du secrétaire d'État au Foreign Office, de parler au nom de cette France-là.

Les journaux anglais ont fait le récit de son voyage à Bayeux. Ils ont parlé de l'enthousiasme et des cris « Vive de Gaulle ! ». Et même du manque d'égards des autorités militaires britanniques.

Mais tout cela n'a plus désormais que peu d'importance. On réglera la question de la monnaie. Il se rendra à Washington pour rencontrer Roosevelt.

Dès lors que la souveraineté française est entrée dans les faits, la colère et le refus ne sont plus de mise. On doit, on peut se montrer magnanime.

De Gaulle écrit à Churchill. Il le remercie de l'avoir accueilli en ce « moment d'une importance décisive ». Il salue l'effort de guerre du peuple britannique.

« Pour votre pays qui fut dans cette guerre sans exemple le dernier et imprenable bastion de l'Europe et qui en est à présent l'un des principaux libérateurs, comme pour vous-même, qui n'avez cessé et ne cessez pas de diriger et d'animer cet immense effort, c'est là, permettez-moi de vous le dire, un honneur immortel. »

Il va quitter Londres pour Alger.

On lui apporte la réponse de Churchill. Il la lit lentement. Les phrases sont pleines d'aigreur, de regrets et de ressentiments.

« Aussi est-ce pour moi un grand chagrin qu'aient été et soient élevés des obstacles, écrit Churchill. Si je peux néanmoins me permettre un conseil... »

De Gaulle plie la lettre. Il imagine Churchill maugréant, disant, comme on vient de le rapporter : « Je dénoncerai de Gaulle comme l'ennemi mortel de l'Angleterre. »

Mais ce soir du 16 juin 1944, de Gaulle veut un instant oublier ces conflits.

Il pense à ces années passées ici, à Londres la Courageuse qui reçoit, après des milliers de bombes, le premier V1. Il a tant de souvenirs.

Philippe de Gaulle demeure encore en Angleterre, achevant ses cours à l'école militaire de l'armée de terre à Ribbesford. Quand le reverra-t-il ? Il lui écrit.

« Mon bien cher Philippe,

« Quittant l'Angleterre ce soir, je t'envoie mes meilleures et profondes affections, sûr que tu feras honneur à ton nom et à la marine dans la bataille de France où tu seras engagé...

« Mon voyage en Normandie a été très réconfortant...

« Je t'embrasse de tout mon cœur, mon cher petit Philippe.

Ton papa très affectionné. »

21.

Ce fils que de Gaulle appelle « mon bien cher petit Philippe » a 23 ans, en ce printemps 1944.

Engagé dès juillet 1940, dans la Marine de la France Libre, il veut participer à la « bataille suprême... La bataille de France, la bataille de la France », celle de la Libération de la patrie.

Fusilier marin, il sera incorporé dans la 2e DB du général Leclerc qui doit débarquer en France le 2 août. Il attend ce jour-là avec impatience.

Et ils sont des dizaines de milliers de jeunes Français qui, comme Philippe de Gaulle, n'aspirent qu'à se battre afin de chasser l'Allemand du sol national.

L'ordre du jour du Comité Militaire d'Action (COMAC), daté du 21 juin 1944, appelle à « intensifier partout la guérilla mobile ».

« L'ennemi tentera d'écraser nos forces victorieuses et les assassins SS ont déjà exercé des représailles sanglantes sur des populations de civils désarmés. »

D'un bout à l'autre du pays, les SS pendent, torturent, fusillent, brûlent.

Ils tuent des lycéens à Nice, et pendent 2 FTP aux réverbères de l'avenue principale de la ville.

Ils incendient des villages de Bretagne et de Savoie. Ils achèvent les blessés.

Sous l'uniforme des Waffen-SS, on trouve des Russes, des Géorgiens, des « Cosaques », des Tatars, tueurs sauvages, « barbares » qui ont rompu toutes les amarres.

« Alors, il faut mobiliser tous les hommes valides », a dit de Gaulle à Bayeux, quand il s'est adressé à la population rassemblée sur la place du Château.

Elle entend pour la première fois depuis quatre affreuses années un chef français dire devant elle « que l'ennemi est l'ennemi, que le devoir est de le combattre, que la France elle aussi remportera la victoire ».

Le Comité d'Action Militaire lance un mot d'ordre simple comme un cri :

« Mort à l'envahisseur !

Vive la France ! »

Aux côtés des Allemands, il y a les tueurs de la Milice.

Trois d'entre eux se présentent le 20 juin à la prison de Riom et ordonnent qu'on leur livre le détenu Jean Zay, sous prétexte de le transférer à Melun.

Cet avocat de 40 ans est l'une des figures emblématiques du Front Populaire. Il a été ministre de l'Éducation nationale de Léon Blum. Radical-socialiste, il est resté au gouvernement jusqu'en 1939. Il a été hostile à l'armistice. Il est juif. Les miliciens vont l'abattre.

Le 28 juin, ce sont des FFI, membres des Groupes Francs du Mouvement de Libération Nationale, qui exécutent Philippe Henriot, l'un des ultras de la collaboration. Ses éditoriaux quotidiens sur Radio-Paris sont des appels au meurtre de résistants, « ces assassins de l'Armée du crime ».

En représailles, les Miliciens tuent à Lyon, Grenoble, Mâcon, Voiron, Clermont-Ferrand, Toulouse des personnalités soupçonnées d'avoir des sympathies pour la Résistance.

Le gouvernement Laval organise pour Philippe Henriot des obsèques nationales et des cérémonies ont lieu dans toute la France.

Uniformes de la Milice et de l'occupant se côtoient dans la nef des cathédrales. Le cardinal Suhard donne l'absoute à Notre-Dame, Mgr Feltin à la cathédrale de Bordeaux.

Un seul évêque refuse de participer à cet hommage. Mais cet évêque de Limoges, Mgr Rastouil, est placé en résidence forcée. Le nonce apostolique intervenant auprès de Laval obtiendra qu'il soit autorisé à regagner son diocèse.

Dans toute la France, les nombreux jeunes chrétiens qui rejoignent les maquis et sont témoins des massacres commis par les SS et les miliciens ne comprennent pas l'attitude de leurs évêques.