On imagine qu'il a agi seul, et ordre est donné de l'arrêter. Personne ne soupçonne qu'il est la clé de voûte d'une conjuration qui entraîne des dizaines d'officiers supérieurs.
On ne sait pas encore que les SS sont partout arrêtés par des soldats de la Wehrmacht.
Hitler lance quelques ordres, puis se rend à la gare de Goerlitz pour accueillir Mussolini dont la visite est prévue depuis plusieurs semaines.
Sur les quais, sur les voies, des SS, encore des SS. Hitler est là, dans son manteau de cuir noir, le bras droit agité d'un tremblement nerveux.
Hitler s'avance :
« Duce, dit-il, il y a un instant une machine infernale a été lancée contre moi. »
Suivis par Himmler, Bormann, Ribbentrop, entourés d'officiers SS, le Führer et le Duce se rendent sur les débris encore fumants de la lagebaracke.
Le Führer tend son bras gauche, montre les socles sur lesquels reposait le plateau de la grande table.
« J'étais debout ici, près de cette table, dit Hitler. La charge a explosé juste devant mes pieds... Il est évident que rien ne peut m'arriver, mon destin est de poursuivre mon chemin et d'achever ma tâche. Ce qui s'est passé ici aujourd'hui est un signe du destin ! Ayant maintenant échappé à la mort, je suis plus que jamais convaincu que la grande cause que je sers l'emportera malgré tous les périls actuels et que tout se terminera bien ! »
Mussolini, amaigri, pâle, les yeux mobiles révélant son anxiété, son effroi, approuve Hitler et, au fur et à mesure que le Führer parle, le Duce se redresse, sa voix s'affermit.
« Nous nous trouvons dans une situation dramatique, dit-il, on pourrait presque dire désespérée, mais ce qui est arrivé ici aujourd'hui me donne un nouveau courage ! Après ce miracle, il est impensable que notre cause puisse connaître l'échec... »
Il est 17 heures, ce 20 juillet 1944.
Les communications rétablies avec Berlin permettent aux dirigeants nazis rassemblés autour de Hitler - qui reste silencieux, assis aux côtés de Mussolini, tous deux buvant du thé - de découvrir que Stauffenberg est à la tête d'un complot de grande ampleur.
L'amiral Doenitz, Ribbentrop, Goering s'accusent d'incapacité. Le général Keitel se tait. Himmler est déjà reparti pour Berlin, pour reprendre la situation en main.
« Sale petit trafiquant de champagne, lance Goering à Ribbentrop qui vient de souligner l'impuissance de la Luftwaffe.
- Je suis encore ministre des Affaires étrangères, et mon nom est von Ribbentrop », crie Ribbentrop.
Hitler hurle tout à coup qu'il donne l'ordre aux SS de tuer le moindre suspect, quel que soit son grade.
Il brandit son poing gauche. Il poursuivra, il traquera les traîtres, dit-il.
« Je ferai mettre leurs femmes et leurs enfants dans des camps de concentration. Je serai impitoyable. »
Épuisé, le Führer s'interrompt et indique d'un geste qu'il va reconduire Mussolini à son train.
Pendant le trajet, il parle d'une voix sourde des armes secrètes qui vont changer la situation militaire. Il accorde au Duce le retour en Italie des deux divisions italiennes qui achèvent leur entraînement.
« Je sais, dit-il au Duce en lui prenant le bras, que je peux compter sur vous et je vous prie de me croire quand je dis que je vous considère comme mon meilleur ami et peut-être l'unique au monde. »
Quand Mussolini monte dans le train, Hitler s'approche de l'ambassadeur du Reich auprès du Duce, Rahn :
« Soyez très prudent », lui dit-il à voix basse.
Il ne veut faire confiance à personne, même pas à ce « meilleur ami », le Duce.
Surtout alors que les troupes alliées - dont les divisions françaises - entrent à Sienne, à Arezzo, à Livourne, à Pise et que s'engage la bataille pour Florence.
Quant à Mussolini, il murmure à ses proches, ne cachant pas sa satisfaction :
« Le Führer aussi a ses traîtres. »
Mais la mort s'approche des « traîtres ».
Keitel a réussi à joindre au téléphone le général Fromm, et lui annonce que le Führer est vivant.
À 18 h 30, un bref communiqué transmis par l'émetteur radio le plus puissant d'Allemagne, entendu dans toute l'Europe, confirme que le Führer vient d'échapper à un attentat, qu'il est vivant, et qu'il va s'adresser dans les prochaines heures au pays.
« Comte Stauffenberg, dit le général Fromm à son chef d'état-major, l'attentat a échoué, vous n'avez plus qu'à vous tuer. »
Déjà les officiers de la Wehrmacht, les généraux acquis au complot, s'apprêtent à changer de camp.
À 20 h 20, Keitel adresse à tous les commandants en chef un message en provenance du Grand Quartier Général du Führer annonçant que Himmler a été nommé commandant en chef de l'armée de l'Intérieur.
Les SS, dont Otto Skorzeny a pris le commandement, interviennent, s'assurent de la loyauté des officiers de la Wehrmacht.
Le général Fromm, pour faire oublier qu'il a toléré dans un premier temps la mise en œuvre du complot, fait exécuter dans la cour, à la lumière des phares obscurcis d'un véhicule militaire, quatre « conjurés », dont le comte Stauffenberg et le général Olbricht.
Le général Beck a tenté en vain de se suicider.
« Aidez ce vieux monsieur », dit Fromm.
Un sergent achève le général.
Ce 20 juillet 1944, à minuit, la conjuration est réprimée. Juste avant 1 heure du matin, les Allemands, qui dans cette nuit d'été attendent devant leur poste de radio, reconnaissent tout à coup la voix rauque du Führer, énergique, exaltée.
« Camarades allemands,
« Si je m'adresse aujourd'hui à vous, c'est afin que vous entendiez ma voix et sachiez que je n'ai pas été blessé ! C'est aussi pour que vous appreniez qu'un crime sans précédent dans l'Histoire vient d'être commis.
« Une petite clique d'officiers à la fois ambitieux, irréfléchis, stupides et insensés... »
Le Führer martèle chaque mot.
« Ces usurpateurs, cette bande de criminels seront tous exterminés impitoyablement...
« Je suis moi-même totalement indemne... C'est pour moi la confirmation de la mission que m'a dévolue la Providence.
« Nous traiterons ces imposteurs de la façon dont nous autres, nationaux-socialistes, avons toujours traité nos ennemis. »
24.
Sans pitié !
Qu'on les fasse souffrir !
Voilà le traitement que le Führer désire qu'on applique à ceux qui ont voulu le tuer, ou qui, avertis de la conspiration, ne l'ont pas dénoncée, attendant de savoir qui l'emporterait, avant de choisir leur camp !
« Les criminels seront vite expédiés ! hurle Hitler. Pas de tribunal militaire. Nous les traînerons devant le Tribunal du Peuple. Ils ne feront pas de longs discours. Le tribunal agira à la vitesse de l'éclair. Et la sentence sera exécutée deux heures après avoir été prononcée. Par pendaison, sans pitié. »
On utilise de la corde à piano pour que la strangulation soit lente, l'étouffement progressif.
Les condamnés sont pendus à des crocs de boucher.
« Ils devront tous être pendus comme du bétail », a ordonné le Führer. Et ils le sont.
Le président du Tribunal du Peuple, Roland Freisler, est un fanatique qui a été bolchevik avant de devenir, dès 1924, nazi. Mais il est resté un admirateur de la terreur et de la « justice » soviétiques.