Mais en ce mois de janvier 1944, les illusions s'effritent. La Pravda affirme en page une de ce quotidien « officiel » que des entretiens pour une paix séparée se sont déroulés dans une ville de la côte ibérique, entre Ribbentrop et des personnalités anglaises.
Quelques jours plus tard, la Pravda publie des déclarations de soldats allemands faits prisonniers par les Russes et qui assurent qu'ils ont été capturés en Afrique du Nord par des Britanniques et relâchés en échange de prisonniers anglais, à la condition qu'ils ne combattraient plus contre l'Angleterre mais qu'ils seraient libres de reprendre la lutte contre... les Russes.
Et la presse russe critique presque chaque jour les lenteurs mises à l'ouverture du second front.
« Quel dommage que Staline se révèle être un tel salaud ! » dira Churchill.
Churchill est d'autant plus blessé que, depuis les années 1935-1940, il est l'adversaire déterminé de Hitler. Il veut le vaincre :
« J'entends par là l'anéantir, le pulvériser, le réduire en cendres, lui et ses pouvoirs maléfiques. »
Entre les deux hommes, c'est un affrontement où chacun défie l'autre, et veut le terrasser.
Ainsi Churchill, le 2 janvier 1944, dans un télégramme aux chefs d'état-major, exige que l'on proscrive du vocabulaire les expressions du genre « invasion de l'Europe », « assaut contre la forteresse Europe ».
« Notre but est de libérer l'Europe et non de l'envahir. »
Et Churchill conclut :
« Inutile de faire cadeau à Hitler de l'idée qu'il puisse être le défenseur d'une Europe que nous chercherions à envahir. »
Hitler répond à Churchill en célébrant le onzième anniversaire de la prise du pouvoir par le national-socialisme.
Le Führer s'exprime sur un ton résolu, mais monocorde.
« Dans cette lutte, il ne peut y avoir qu'un seul vainqueur : ou bien l'Allemagne, ou bien l'URSS, dit-il.
« La sauvegarde de l'Europe est une question qui ne peut être tranchée que par le peuple allemand national-socialiste, par son armée, et par les États qui lui sont alliés.
« Malgré toutes les actions diaboliques de nos adversaires, cette lutte se terminera en fin de compte par la plus grande victoire du Reich allemand. »
C'est dit le 30 janvier 1944.
PREMIÈRE PARTIE
Janvier
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Juin 1944
« Il est bien évident que le débarquement anglo-américain est inévitable à l'Ouest, et qu'il aura lieu, mais nous ignorons où et quand ce sera... En aucun cas, nous ne devons tolérer que le débarquement allié dure plus de quelques jours, sinon quelques heures... »
Discours du FÜHRER
devant les chefs des trois armes sur le front ouest,
20 mars 1944
« Sachez-le, Général ! Chaque fois qu'il nous faudra choisir entre l'Europe et le grand large, nous serons toujours pour le grand large. Chaque fois qu'il me faudra choisir entre vous et Roosevelt, je choisirai toujours Roosevelt. »
CHURCHILL à DE GAULLE,
4 juin 1944
1.
Le Feldmarschall Erwin Rommel souligne d'un épais trait de plume les derniers mots du discours prononcé par le Führer, le 30 janvier 1944.
Hitler prophétise au terme de la lutte « la plus grande victoire du Reich allemand ».
Rommel se souvient de ses dernières rencontres avec le Führer. Il émane de cet homme qu'il a trouvé las, le visage blafard, une volonté indestructible. C'est bien un ancien soldat, un Frontkämpfer - un combattant du front.
Sans doute exagère-t-il en évoquant « la plus grande victoire », mais Rommel croit qu'on peut - qu'on doit - vaincre. Ce sera difficile, mais c'est possible et, bien sûr, nécessaire.
Ses charges - ses responsabilités - sont lourdes. Le Führer l'a choisi pour être le coordinateur général du front de l'Ouest.
Il commande, en France, le groupe d'armées B. Mais il doit aussi contrôler tout le front de l'Ouest, du Danemark à la frontière espagnole, ainsi que les côtes françaises de la Méditerranée. Il rend compte directement au commandement suprême - le Grand Quartier Général du Führer.
Donc, il parcourt les côtes, visite les casemates, les fortins, étudie les obstacles antichars, tous les éléments de ce Mur de l'Atlantique construits par l'Organisation Todt.
Et les directeurs de l'Organisation viennent de lui offrir deux chiens, des bassets.
« Ils sont couchés sous mon bureau, écrit Rommel à sa femme, sa très chère Lu, l'aîné aboie quand quelqu'un entre, et tous deux hurlent continuellement pendant la nuit. »
Rommel est toujours installé dans un petit château qui a appartenu à Mme de Pompadour et est situé non loin de Fontainebleau.
Il aime ce lieu, le paysage qu'il aperçoit, ces forêts.
Mais il l'avoue à son épouse :
« Le travail que je fais est très décevant. On se heurte constamment à des esprits bureaucratiques et ossifiés qui s'opposent à toute innovation et à tout perfectionnement. »
« J'arriverai quand même au résultat », répète-t-il, résolu et obstiné.
Ses inspections le confortent dans l'idée qu'il sera possible de rejeter à la mer les Anglo-Américains, de leur infliger une défaite aussi cuisante qu'à Dieppe, le 19 août 1942, quand des unités anglo-canadiennes débarquées ont été décimées.
« Rentré aujourd'hui d'une longue tournée, écrit-il le 19 janvier 1944. Je suis très satisfait des progrès réalisés. Je suis maintenant persuadé que nous gagnerons la bataille défensive à l'Ouest, à la seule condition qu'il nous reste encore un peu de temps pour nous y préparer. Guenther part demain avec une valise. Il me rapportera mon costume marron, mon pardessus de demi-saison et mon chapeau, etc. J'aimerais enfin pouvoir sortir sans mon bâton de maréchal...
« Sur le front méridional - dans les Apennins, au sud de Rome, dans le secteur de Cassino, - durs combats. Il faut nous attendre à de nouvelles attaques.
« À l'Ouest, je crois que nous serons à même de repousser l'assaut. »
Alors que, à la tête de la Wehrmacht, dans les états-majors, des généraux et des maréchaux s'interrogent, et depuis longtemps, sur les qualités de chef de guerre du Führer, Rommel ne laisse percer aucun doute.
Il n'a jamais fait de profession de foi nazie, mais il reste fidèle à son serment d'officier, il obéit au Führer, même s'il conteste son entourage : Goering, Himmler, Goebbels, Bormann.
Lorsque Rommel s'adresse à son fils Manfred qui vient d'être mobilisé, il s'adresse à lui en père, mais aussi en officier expérimenté, fier de l'attitude de son fils.
« Ta première lettre écrite sous l'uniforme d'auxiliaire de la Luftwaffe m'a fait le plus grand plaisir. Je constate que tu t'habitues bien à ton nouveau genre de vie... », écrit le père.
Et le Feldmarschall ajoute :
« Il y a encore énormément à faire avant que nous soyons définitivement prêts à livrer bataille.
« Quand tout est calme, les gens se montrent contents d'eux-mêmes et en prennent à leur aise. Mais, entre le calme actuel et le combat à venir, le contraste sera rude et j'estime indispensable de nous préparer à faire face ici à une période difficile.