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« Je suis toujours par monts et par vaux, et partout où je vais je lève un nuage de poussière.

« Bien affectueusement à toi.

« Ton père. »

Les jours passent, pluvieux, maussades, froids souvent ; et l'inquiétude s'insinue dans les pensées de Rommel.

Le 22 janvier 1944, les Anglo-Américains ont débarqué à Anzio et à Nettuno, près de Rome.

Le maréchal Kesselring réussit à bloquer les troupes alliées qui ont pris pied, mais il ne parvient pas à les repousser et elles restent, protégées par l'aviation et les canons des navires, comme une menace derrière le front principal allemand qui barre la péninsule italienne, à la hauteur de Cassino et de la rivière Garigliano.

Si les Anglo-Américains réussissent à avancer, la ligne Kesselring sera tournée !

Sur le front de l'Est, la situation des Allemands se dégrade chaque jour.

En janvier 1944, le blocus de Leningrad est enfin forcé au terme d'une semaine d'une bataille sanglante.

Après trente mois de siège, c'est l'allégresse pour les 600 000 personnes qui vivent encore dans la ville.

Avant de battre en retraite, les Allemands ont fait sauter le palais Pouchkine et celui de Pavlovsk. Mais on est libre d'aller et de venir, libre de rêver à la victoire !

Et l'on veut se venger.

Le sentiment de haine - et d'orgueil national - touche chaque soldat de l'armée Rouge.

Il a vu les fosses communes, les destructions.

Il a vu mourir ses camarades.

Blessé, il a souffert dans des hôpitaux de campagne, où manquent infirmières et médecins, et qui sont des chambres d'agonie !

« Nous éprouvons une véritable haine pour les Allemands, après avoir vu toutes les horreurs qu'ils ont commises, sans parler des destructions », confie un jeune soldat.

Et l'un de ses camarades, qui a combattu en Biélorussie, ajoute :

« Ils ont fait littéralement un désert de ce pays ! »

Rommel suit chaque jour l'avancée de l'armée Rouge, sur une grande carte du front de l'Est.

Les Russes semblent poussés en avant par la haine qui les anime.

Sur le Dniepr, ils encerclent plusieurs divisions allemandes.

Rommel s'interroge : pourra-t-on contenir cette ruée, qui ne se soucie pas des pertes qu'elle subit ?

Il a ces questions en tête quand il se rend, le 20 mars, comme tous les chefs des armées du front de l'Ouest, à une rencontre avec le Führer.

Adolf Hitler, tenant serré son poignet gauche dans sa main droite, est voûté, son visage parcouru parfois de tics. Mais la voix sourde est énergique, comme celle d'un homme qui trouve au fond de soi la volonté de faire face.

Rommel est assis près du Feldmarschall von Rundstedt, qui est le commandant en chef des forces armées du front de l'Ouest.

« Il est bien évident, commence le Führer, que le débarquement anglo-américain à l'Ouest est inévitable, et qu'il aura lieu. Mais nous ignorons où et quand ce sera. »

Hitler va et vient, ne regardant pas les officiers. Quand il relâche son poignet gauche, sa main se met à trembler. Il la serre aussitôt.

« L'ennemi, poursuit Hitler, a besoin de s'emparer de ports. Il faudra l'en empêcher.

« J'ai ordonné que les ports soient transformés en places fortes... Le commandant de la place est personnellement responsable de la défense jusqu'à la dernière cartouche, jusqu'à la dernière boîte de conserve, c'est-à-dire jusqu'au moment où la dernière possibilité défensive aura été épuisée. »

L'emprise du Führer sur les officiers figés est totale. Le Führer fascine.

« Le débarquement ne doit pas durer plus de quelques jours, de quelques heures, martèle-t-il. L'exemple de Dieppe doit nous servir de modèle.

« Une fois le débarquement repoussé, l'ennemi ne renouvellera certainement pas sa tentative. Le moral des Anglo-Américains sera brisé. »

Rommel est saisi par une sorte de vertige quand il entend le Führer dire, d'une voix tout à coup exaltée :

« Cet échec empêchera la réélection de Roosevelt. La chance aidant, il pourrait bien finir ses jours en prison... En Angleterre, Churchill, étant donné son âge, son état de santé et la perte de prestige qu'il subirait, serait désormais incapable d'imposer une nouvelle tentative de débarquement.

« Le front de l'Ouest est donc l'élément capital dans l'ensemble des opérations de la guerre. »

Hitler serre les poings, s'avance vers le premier rang, dévisage chacun des généraux, fixe longuement Rommel puis von Rundstedt.

« L'issue de cette guerre et le destin du Reich dépendent de chaque combattant du front de l'Ouest, théâtre d'opérations numéro un de ce conflit. Il faut donc que chaque officier ou homme de troupe vive dans le sentiment que tout dépend de son effort individuel. »

Hitler quitte la pièce et le charme se rompt.

Rommel essaie de faire part à von Rundstedt de l'importance capitale de la maîtrise du ciel. « En Afrique, la supériorité aérienne des Anglo-Américains a été le facteur déterminant de notre défaite », dit-il.

Rundstedt l'écoute distraitement.

La plupart des officiers n'ont que l'expérience de la guerre sur le front de l'Est. Ils parlent avec ironie et dédain des Anglo-Américains, piètres soldats, qui devront affronter des vétérans de Russie.

Rommel tente de se faire entendre : les Anglais et les Américains sont d'habiles adversaires. Il a subi leur assaut en Afrique.

Le front de l'Est, le front de l'Est... répètent les officiers. Rommel obtient d'échanger quelques mots en tête à tête avec le Führer. Il veut le convaincre de concentrer toutes ses forces près du secteur côtier.

Hitler hoche la tête, s'apprête à recevoir d'autres généraux.

Rommel s'éloigne.

« Le dernier qui sort de chez le Führer a toujours raison », dit-il.

Il reprend ses inspections, se rassure en constatant que les soldats sont déterminés, sûrs de repousser les ennemis à la mer.

Rentré à son quartier général, Rommel médite, joue avec ses chiens.

« Il faudra que tu achètes toi-même un chien, écrit-il à sa femme. C'est une chose surprenante que le pouvoir qu'ont ces animaux de nous distraire et de nous faire oublier nos soucis. »

Von Rundstedt, qui lui rend visite à son quartier général, lui rapporte les rumeurs qui courent dans l'entourage du Führer. Les services de renseignements, l'Abwehr, assurent qu'elles proviennent de pays neutres.

« Staline a demandé quantité de choses à ses alliés : livraison d'une flotte, de pétrole, de ports en Afrique du Nord, fixation d'une date précise pour l'ouverture d'un second front...

« Si ces demandes ne reçoivent pas de satisfaction, écrit Rommel, Staline ne se considérera plus comme lié par ses précédents accords avec les Alliés. Ce serait magnifique si c'était vrai ! »

Rentrant fin mars d'une tournée sur les côtes de Normandie et du Cotentin, Rommel ajoute dans une lettre à sa « très chère Lu » :

« Hier, ce que j'ai vu m'a rendu optimiste. Bien qu'il y ait encore nombre de lacunes à combler, c'est avec confiance que nous pouvons envisager l'avenir. »

2.

La confiance de Rommel va s'effriter au fil des premières semaines de cette année 1944, qui sera, il le sait, le moment du destin pour le IIIe Reich de Hitler.

Chaque jour, il reste un long moment devant la carte du front de l'Est.

Certes, le Führer répète que tout se jouera sur le front de l'Ouest. Rommel veut s'en convaincre, mais les flèches qui, sur la carte de la Russie, de l'Ukraine, tracent la progression de l'armée Rouge s'enfoncent en lui.