Выбрать главу

Laval a refusé de répondre à l'invitation de Hitler. Il a adopté la même attitude que le maréchal Pétain.

« Vous avez vous-même, a-t-il écrit à Pétain, renoncé à vos fonctions de chef de l'État, je fais de même comme chef du gouvernement. »

Ce n'est pas une démission, mais une abdication.

Le Führer, auprès de qui les Français sont enfin introduits, regrette l'absence de Laval, et son visage exprime le mépris.

Il félicite Doriot, ce « vrai soldat ». Il veut que les Français qui ont choisi de collaborer avec le Reich ne renoncent pas à l'action politique.

« Certains, dit-il, Laval, Pétain, imaginent peut-être l'Allemagne vaincue ? Messieurs, j'ai déjà eu l'armée anglaise sur le Rhin. Je dispose d'armes secrètes dont les V1 et les V2 ne vous donnent qu'une faible idée. Grâce à ces armes, je reprendrai l'offensive, je rejetterai les Saxons à la mer. »

Le Führer s'est levé, et il fixe longuement chacun de ses interlocuteurs.

« Ce sera terrible, reprend-il, parce que ça se passera sur le corps de votre pays. »

Il baisse la tête.

« Je vous en demande pardon à vous, messieurs, à la France et à Dieu. »

Les Français sont envoûtés.

Rentré à Belfort, Brinon organise une Commission gouvernementale, substitut dérisoire d'un gouvernement fantoche qui n'existe plus, Laval et Pétain ayant renoncé à toute activité politique.

Mais le pouvoir, fût-il la plus médiocre et grotesque des illusions, fascine.

Déat - chargé du Travail, de la Solidarité sociale - jalouse Brinon et Darnand, chef de la Milice, comme Doriot qui se tient à l'écart mais a l'oreille du Führer.

Le 7 septembre, les Allemands ordonnent le départ de Belfort, car on entend déjà le canon des armées alliées.

Pétain, Laval protestent.

« J'ai refusé de quitter la France en 1940, dit le Maréchal, je refuse de me plier à votre exigence. Je suis emmené en captivité en Allemagne. Je prends acte de cette nouvelle contrainte. »

Laval peine à parler. Il se compare à un capitaine de navire qui n'a pas le droit de dire à ses hommes : « Restez pendant que je vais partir. »

Dans l'émotion du départ, Laval oublie à Belfort sa pelisse. Il exige qu'on aille la chercher alors que le convoi est déjà parvenu à Fribourg-en-Brisgau.

Depuis novembre 1942 - au moment du débarquement américain en Afrique du Nord, - Laval a fait coudre dans cette ample et lourde pelisse une ampoule de poison.

On arrive à Sigmaringen, une petite cité des bords du Danube. Elle est dominée par le château des Hohenzollern-Sigmaringen, immense et romantique construction qui surplombe la cité et la contrée.

Les Allemands, malgré les protestations des proches de Pétain, feront hisser sur le château le drapeau français et accorderont à compter du 1er octobre 1944 le privilège de l'extraterritorialité à la citadelle.

Le Maréchal loge au septième étage.

Laval est conduit dans le Wurtemberg, à Wilflingen, où il habite une simple gentilhommière car Hitler ne lui pardonne pas d'avoir refusé de le rencontrer et de s'être retiré de toute activité politique.

Laval se morfond, morose, amer, déprimé.

Il pleure lorsqu'on lui annonce que sa fille et son gendre, le comte de Chambrun, ont été arrêtés. Il marmonne : « J'ai manqué ma vie. J'aurais dû élever des cochons. J'aurais gagné autant d'argent. »

« Pétain n'existe pas, ajoute-t-il, c'est moi qui ai créé le Pétain politique. »

À Sigmaringen, les Français - quelques milliers de miliciens avec leurs familles - suscitent l'hostilité d'une population qui n'a pas subi la guerre, mais dont les proches, mobilisés, la font encore ou ont déjà été tués.

Ces « Français », que veulent-ils ?

Ils choquent par leur comportement. C'est la lie d'une fausse armée qui est tout au plus une « bande » de spadassins.

Mais Darnand plastronne. Il a été reçu par le Führer, félicité pour le sacrifice des miliciens « morts pour une grande cause ».

Himmler, qui a besoin de combattants et de main-d'œuvre, exige de Darnand que 2 000 miliciens soient enrôlés dans la brigade Charlemagne qui combat sur le front russe. Deux mille autres travailleront dans les usines du Reich.

Darnand accepte l'ultimatum de Himmler alors que de nombreux miliciens voudraient se dérober à cet enrôlement forcé.

Darnand, en uniforme de commandant de la Waffen-SS, les passera en revue.

« Faites votre devoir ! »

Au « sommet », les « chefs » se disputent les apparences d'un pouvoir qui n'existe pas.

Jean Luchaire, homme politique et journaliste, rallié à la collaboration, a créé une radio, Ici la France, qui émet chaque jour de 19 h 30 à 21 heures.

Jacques Doriot a aussi « sa » radio : Radio-Patrie - que relaie Radio Stuttgart - diffuse des messages à des agents qui sont parachutés en France.

Doriot - fasciné par la réussite du gaullisme - crée même un Comité de Libération française.

Radio-Patrie serait l'équivalent de la radio de la France Libre, et Doriot l'anti-de Gaulle, menant le combat de la « vraie Résistance » depuis l'Allemagne !

« Je vous sais un soldat courageux, lui dit Hitler qui le reçoit à plusieurs reprises dans cet automne 1944. Vous êtes aussi, je pense, un homme politique véritablement révolutionnaire. Je veux croire en votre réussite. »

Le Führer se tourne vers Himmler.

« Vous donnerez à M. Doriot les pouvoirs et les moyens matériels qui lui sont nécessaires pour mener à bien sa tâche. »

38.

Les propos élogieux du Führer, Jacques Doriot les répète de sa voix grasse de tribun à ses militants rassemblés autour de lui. Ils acclament le « chef » et d'autant plus que les « moyens matériels » promis par Hitler arrivent.

Doriot dispose désormais d'argent, de voitures, d'essence, de papier pour les publications de son Parti Populaire Français (PPF). Sa radio - Radio-Patrie - bénéficie d'un émetteur puissant.

Mais que veut Hitler ?

Il reçoit plusieurs fois, dans cet automne 1944, Jacques Doriot. Il semble fasciné par cet ancien communiste qui boit et sue, dont les manières sont frustes, qui parle haut.

Hitler en l'observant se souvient de ces vieux membres du Parti nazi souvent d'origine modeste qui, dans les années 1930, faisaient le coup de poing contre les communistes. Et certains étaient « noirs dehors et rouges dedans », anciens communistes devenus membres des Sections d'Assaut nazies.

C'est tout cela que lui rappelle Doriot, et alors que les frontières du Reich sont menacées Hitler parle de la victoire prochaine, grâce aux armes secrètes.

Alors Hitler sera maître d'une Europe nouvelle.

C'en sera fini des finasseries de Laval, des hésitations hypocrites de Pétain ! Place à Doriot, chef d'un gouvernement « véritablement révolutionnaire ».

Doriot écoute Hitler. Il ne doute pas que, après la victoire, il balaiera tous ses rivaux, Déat, Luchaire, Brinon, et même Darnand !

Les chimères de Hitler nourrissent celles de Doriot.

Elles deviennent des réalités pour les membres du Parti Populaire Français qui sablent le champagne, célèbrent le Führer, le « chef » Doriot, les Armes secrètes, la défaite des Alliés. On boit. On chante.