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Les Allemands voisins des locaux du PPF, à Landau, s'indignent. La fête des Français devient orgie. Les jeunes femmes du PPF s'y livrent avec enthousiasme.

C'est l'euphorie d'une nuit.

Dans les jours qui suivent, certains de ces « doriotistes » seront parachutés ou infiltrés en France.

Parfois, une quinzaine d'« agents » traversent les lignes chaque semaine. Ils émettent quelques messages contenant des renseignements sans importance.

Radio-Patrie, comme l'avait fait la BBC pour les résistants, leur adresse des messages personnels. Puis c'est le silence.

Les agents de Doriot sont démasqués, condamnés, fusillés pour « intelligence avec l'ennemi », « espionnage ».

Les chimères se brisent contre les réalités.

Car la France se libère, la France se rassemble derrière le « gouvernement d'unanimité nationale » du général de Gaulle et celui-ci parcourt le pays pour incarner aux yeux des foules qui l'acclament l'ordre, l'État.

Ce discours est d'autant plus attendu que dans certains départements, des groupes armés pillent, au nom de la Résistance, et fusillent sans jugement les « collabos ».

La rumeur se répand que les « exécutions sommaires » ont tué des dizaines de milliers de personnes : le chiffre de 100 000 victimes est avancé[4].

Dans presque chaque ville, chaque village, la vengeance se déchaîne.

C'est le temps de l'épuration.

On découvre les fosses des patriotes assassinés par les nazis. Il faut des coupables. Des noms sont lancés. La foule de ces résistants de la dernière heure effaçant, par leur violence, leur lâcheté de quatre années se précipite.

On lynche parfois, on tue, on dénude les femmes accusées d'avoir dénoncé leur mari, « couché avec les Boches ». On les tond, on les frappe, on les promène nues dans les rues, entourées d'hommes en armes.

Ces violences, ces vengeances révèlent l'existence de « bandes », de groupes qui invoquent l'épuration et rêvent de révolution. Et derrière eux se profile l'organisation communiste qui veut, peut-être, s'emparer du pouvoir d'État ou le dominer.

Les rapports que reçoit de Gaulle sont alarmants.

« L'indiscipline est si répandue qu'elle conduit souvent à un état voisin de l'anarchie, constate le haut fonctionnaire en mission dans le sud de la France. Des chefs de bande surgissent qui s'assurent une clientèle. À ces bandes, il faut du pain et des jeux. Leurs chefs les entraînent dans les villes libérées pour y trouver ceci et cela. Quand l'occasion se présente, ils tâchent au surplus de s'emparer du pouvoir (comme à Limoges)... Le mois qui commence sera vraisemblablement décisif pour le gouvernement et peut-être pour le pays... Hier, j'ai entendu cette phrase qui résume bien la situation actuelle : "La résistance du 6 juin 1944 écrasera la résistance du 18 juin 1940." Le mois qui s'ouvre montrera si le général de Gaulle est vraiment un chef de gouvernement ou bien un Kerenski, qui n'a pas su en 1917-1918 arrêter Lénine. »

Voilà le péril. Qu'une partie de l'opinion craigne la révolution, le désordre.

Et que cette menace débouche réellement sur l'anarchie générale. Que les Alliés se saisissent de cette situation pour empêcher la France de s'asseoir parmi les « grands » États, à la table des vainqueurs.

L'urgence est là. Rétablir l'ordre et l'État.

Il faut que le pays voie, entende de Gaulle.

Il va se rendre dans toutes les régions, et d'abord celles qui sont le plus troublées, le Sud-Est, le Sud-Ouest. C'est de lui que tout dépend.

De Gaulle-Kerenski ? On ne connaît pas encore l'homme du 18-Juin, on l'imagine comme un chef hésitant qui pourrait ouvrir la porte aux « bolcheviks ». De Gaulle est confiant.

Mais les semaines qui viennent seront les plus dures. La guerre continue. Les Allemands tiennent encore Dunkerque, Strasbourg, des poches sur l'Atlantique.

Les ports sont détruits, les lignes téléphoniques coupées. La misère et la faim, bientôt le froid tenaillent les habitants des grandes villes. Le marché noir sévit.

Et sourd partout l'aspiration à une transformation sociale profonde.

C'est tout cela que de Gaulle doit affronter.

« Il me faut me jauger moi-même », murmure de Gaulle.

Il pense à ces milliers de patriotes fusillés, déportés au long de ces quatre années d'occupation.

Il pense aux otages exécutés, aux pendus de Tulle, aux massacrés d'Oradour-sur-Glane.

Il pense à ces centaines d'hommes qui sont tombés pour la libération de Paris : 600 soldats, 28 officiers, 2 500 membres des FFI et plus de 1 000 civils.

Tous ceux-là, morts pour la France, ne peuvent pas servir de marche pied au Parti communiste, dont le secrétaire général Maurice Thorez a déserté en 1939 et a passé la guerre en Union soviétique, et qui demande maintenant à rentrer en France, amnistié.

Et le Parti communiste est une menace car ses militants, combattants courageux et patriotes - à compter de juin 1941, - dirigent souvent les unités FFI, ont constitué des milices patriotiques qui imposent leur loi dans les départements.

On a communiqué à de Gaulle la lettre du commandant des FFI de l'Ouest - sans doute un communiste - adressée au chef d'état-major national des FFI - proche des communistes.

C'est une véritable déclaration de refus d'obéissance. Refus d'incorporation des FFI dans l'armée. Refus de la dissolution des états-majors FFI. Toutes décisions prises par de Gaulle comme chef du Gouvernement Provisoire de la République française.

Le commandant du FFI de l'Ouest écrit :

« Tous nos cadres et nos troupes sont prêts à seconder les efforts de l'état-major national... Considérez que vous avez 85 000 hommes derrière vous ! »

Voilà pour l'Ouest.

De Gaulle reçoit Raymond Aubrac, commissaire de la République à Marseille. Aubrac avoue qu'il ne se sent pas sûr de pouvoir maintenir l'ordre.

De Gaulle le toise.

« Vous m'affligez, Aubrac ! Vous représentez l'État. Vous vous devez de remplir votre mission. »

Comment ces responsables ne saisissent-ils pas que ce qui se joue en ce moment, ce n'est pas seulement la question de la paix civile, de l'ordre républicain, mais aussi celle de la place de la France dans le monde, demain ?

« Plus le trouble est grand, dit de Gaulle, plus il faut gouverner. »

39.

De Gaulle doit aller vite, recomposer le Gouvernement Provisoire.

Il consulte les représentants des partis, des mouvements de résistance, puis il s'isole, dresse des listes de ministres, hésite, raye, rajoute un nom.

Il prendra deux communistes. Il reçoit Jacques Duclos, le leader du parti, qui parle à nouveau du retour en France de Maurice Thorez.

De Gaulle reste impassible. Il souhaite, dit-il, simplement écarter Fernand Grenier, qui à Alger a mis en cause la politique du gouvernement à propos du Vercors. Il ne faut jamais rien laisser passer.

Il choisit pour le ministère de l'Air Charles Tillon, le fondateur des Francs-Tireurs et Partisans Français, un résistant communiste de la première heure, puis François Billoux, à la Santé publique. Jules Jeanneney, l'ancien président du Sénat, sera ministre d'État, Georges Bidault, le président du CNR, ministre des Affaires étrangères, Pierre Mendès France aura en charge l'Économie nationale, François de Menthon sera à la Justice.

« C'est un gouvernement d'unanimité nationale », dit-il.

Il hausse les épaules quand il lit les premiers commentaires de la presse.

Les journaux issus de la Résistance regrettent que ce soit un gouvernement qui fait « place à toutes les tendances politiques ». Eh quoi ! La France n'est-elle pas diverse dans son unité ? Faudrait-il le pouvoir d'un clan ?