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L'Allemagne ?

« Nous y entrerons comme dans du beurre », disent les proches d'Eisenhower, répétant ce que déclare le Service Interallié de Renseignements.

Le 15 septembre, Eisenhower écrit à Montgomery :

« Nous serons bientôt maîtres de la Ruhr, de la Sarre et de la région de Francfort, et j'aimerais avoir votre avis sur ce qu'il faudrait faire ensuite. »

Sur le front de l'Est aussi - dans les Balkans d'abord, - la situation des Allemands est dangereuse. À peine s'il subsiste un semblant de front.

Les troupes russes sont entrées en Bulgarie le 5 septembre et aussitôt les Bulgares se déclarent en guerre avec l'Allemagne.

Le 15 septembre, l'armée Rouge fait sa jonction avec les partisans et l'armée yougoslave de Tito.

Commence pour les troupes allemandes un interminable calvaire dans les montagnes arides de Serbie et du Monténégro.

Les partisans les harcèlent, tendent des embuscades.

Les Allemands n'avaient pas pris conscience de la haine qu'ils avaient suscitée.

N'étaient-ils pas les « élus », les représentants d'une race supérieure, et les Slaves, qu'étaient-ils sinon des Untermenschen ? Et l'on pouvait tuer ces « sous-hommes », les exterminer ; c'était dans l'ordre naturel des choses.

Mais les Untermenschen sont devenus des guerriers redoutables.

« Notre retraite est un cauchemar, raconte un officier de la Wehrmacht. Les routes sont quelquefois minées dans les défilés sur des longueurs de 20 à 30 kilomètres, de sorte qu'au bout de huit jours nous avons perdu presque tous nos véhicules. La plupart des hommes n'ont plus que des souliers éculés et se sont débarrassés de tout leur fourniment, ne gardant que leur fusil. La nuit, une moitié de la compagnie doit monter la garde pour qu'on puisse se reposer sans rien craindre des partisans. Chaque village traversé porte les traces de la férocité impitoyable de cette guérilla... »

Plus au nord, les Russes entrent en Estonie et en Lettonie. Ils atteignent la frontière de la Prusse-Orientale.

En Hongrie, l'avance des Russes vers Budapest incite le régent Horty à prendre ses distances avec l'Allemagne.

Il veut faire sortir son pays de la guerre. Aussitôt, les nazis, appuyés par les fascistes hongrois du mouvement des Croix Fléchées, s'emparent du pouvoir, et organisent la déportation de milliers de Juifs hongrois vers les chambres à gaz d'Auschwitz.

« Tournez vos armes contre les oppresseurs allemands, clament les résistants hongrois. Aidez l'armée Rouge pour une Hongrie libre et démocratique. »

En fait, les Hongrois craignent que derrière un paravent démocratique ne se cachent les communistes embarqués sur les tanks de l'armée soviétique.

Et les Russes rencontrent une farouche résistance des Allemands et des Hongrois lors du siège de Budapest.

C'est bien l'équilibre des forces dans l'Europe de l'après-guerre qui pèse déjà sur ces derniers mois de 1944.

Hitler le sait.

Malade, bourré de médicaments par le docteur Morell, il ne peut dissimuler le tremblement qui désormais affecte tout le côté gauche de son corps. Mais ses facultés intellectuelles, quand elles ne sont pas emportées par la colère ou la paranoïa, restent vives.

Il invoque auprès de ses généraux ou d'un Doriot les armes secrètes, mais en fait il compte sur l'éclatement de l'Alliance des Anglo-Américains et des Russes.

« Jamais l'Histoire, dit-il au général Guderian, n'a connu une coalition comme celle de nos adversaires, composée d'éléments aussi hétérogènes poursuivant des buts aussi divergents... Des États super-capitalistes d'un côté, des États super-marxistes de l'autre.

« D'un côté, un Empire en train de mourir, la Grande-Bretagne, de l'autre, une colonie aspirant à la succession des États-Unis. Chaque partenaire est entré dans la coalition avec l'espoir de réaliser ses propres ambitions politiques. »

Il ajoute que les Anglo-Saxons sont l'élément le plus faible moralement et matériellement.

« Une bonne raclée les ramènera à la raison », lance-t-il.

Le Führer écarte avec un rugissement de colère les propos qu'il appelle défaitistes et qui prétendent que la Wehrmacht et les divisions SS n'ont plus les moyens d'arrêter la progression des Alliés vers le Rhin.

« Toute retraite en bon ordre est devenue impossible, écrit le général Speidel. Les armées alliées motorisées cernent par petits groupes les divisions d'infanterie allemandes et les écrasent séparément... Aucune force terrestre allemande de quelque importance ne peut être jetée dans la bataille et il n'y a pratiquement aucun secours à attendre de l'air. »

Hitler ignore l'amère plaisanterie qui circule au sein de la Wehrmacht en Normandie :

« Si tu vois un avion blanc, c'est un Américain ; un noir, c'est un Anglais ; si tu ne vois rien, c'est la Luftwaffe. »

Himmler, Reichsführer, commandant l'Armée de l'Intérieur et les divisions SS et Waffen-SS, connaît l'état d'esprit de bien des soldats allemands.

Le 10 septembre, il diffuse à toutes les unités un ordre du jour menaçant :

« Certains éléments indésirables croient que la guerre sera terminée pour eux aussitôt qu'ils se seront rendus à l'ennemi... Ils se trompent. Tout déserteur trouvera son juste châtiment. De plus, sa lâche conduite entraînera les suites les plus désastreuses pour les membres de sa famille qui seront fusillés sans jugement. »

Des chefs d'unité vont plus loin encore.

Ils s'adressent souvent à de jeunes recrues qui n'ont pas encore 17 ans et qui constituent ces divisions de Volksgrenadier, qui n'ont aucune expérience du front.

« Des traîtres ont déserté nos rangs, écrit leur colonel. Ces misérables ont livré d'importants secrets militaires. Des Juifs calomniateurs et fourbes vous travaillent à coups de propagande et tentent de vous enrôler parmi ces misérables. Laissez-les en vain cracher leur poison ! Quant aux misérables traîtres qui ont oublié leur honneur, leur famille répondra de leur défection... »

Les soldats allemands sont ainsi pris en tenaille : en face d'eux l'ennemi et derrière eux les menaces sur leurs familles.

Et dans la tête les ordres du jour du Feldmarschall von Rundstedt et du Feldmarschall Model qui font appel à leur patriotisme, à leur fidélité au Führer.

« Je compte sur vous, soldats du front de l'Ouest, pour défendre le sol sacré de l'Allemagne... jusqu'au dernier d'entre vous ! Heil Hitler ! » écrit von Rundstedt.

« Soldats du groupe d'armées, déclare Model.

« Pas un seul d'entre nous ne cédera un pouce de sol allemand tant qu'il sera vivant. Quiconque reculera sans livrer bataille sera traître à son peuple !

« Soldats, notre patrie, la vie de nos femmes et de nos enfants sont l'enjeu de la bataille !

« Notre Führer et ceux qui nous sont chers ont confiance en leurs défenseurs !

« Vive l'Allemagne, et notre Führer bien-aimé ! »

La Wehrmacht se bat.

Mais en désordre, si bien que le 11 septembre, la 1re armée américaine du général Hodges pénètre en territoire allemand.

Au sud, l'armée du général Patton progresse encore plus rapidement vers le Rhin. Et au nord, les troupes de Montgomery se dirigent vers la Ruhr.

Or l'approvisionnement en essence, en matériel, ne suffit pas pour alimenter deux « poussées » : ce sera le nord ou le sud. Et Eisenhower hésite.

Certes, Montgomery a pris Anvers, mais les généraux anglais ont oublié de s'emparer des ponts sur le Rhin. Et les Allemands s'accrochent au nord dans la région d'Arnhem.