« Monty » propose une opération aéroportée - Market Garden - sur Arnhem qui n'est qu'à une vingtaine de kilomètres de la frontière allemande.
Eisenhower approuve Montgomery, mais ce plan a pour conséquence de ne plus permettre l'approvisionnement suffisant de l'armée de Patton (la 3e armée américaine).
Patton ne reçoit plus que 145 000 litres d'essence par jour au lieu des 1 800 000 nécessaires !
Il tempête, il hurle :
« Mes hommes peuvent toujours manger leur ceinturon, mais mes chars ne peuvent pas se passer d'essence ! »
Seulement, Monty est éloquent, « insatiable », et Eisenhower est soucieux qu'autour de lui, parmi les chefs alliés, règne l'harmonie !
Alors, il approuve Monty... tout en rétablissant une partie du ravitaillement pour l'armée de Patton !
Le 17 septembre 1944, un corps aéroporté de 3 divisions est chargé par Montgomery de couper les ponts sur le Rhin, près d'Arnhem.
La 2e armée britannique doit marcher à sa rencontre.
La 82e division américaine devant capturer les ponts de Nimègue et de Grave, la 101e division américaine s'assurerait de la route entre Grave et Eindhoven.
La 1re division aéroportée s'empare d'Arnhem, mais elle est encerclée et les forces qui doivent la rejoindre n'y parviendront pas.
Le 25 septembre, Montgomery ordonne aux survivants de la 1re division aéroportée de se replier.
Deux mille quatre cents hommes sur un effectif de plus de 10 000 hommes réussissent à atteindre de nuit l'autre rive.
L'opération Market Garden est un échec.
Churchill ne l'admet pas. Il télégraphie au général Smuts qui préside l'Afrique du Sud :
« En ce qui concerne Arnhem, j'ai l'impression que vous vous en faites une idée quelque peu inexacte. La bataille a été une nette victoire, mais la division de tête qui réclamait beaucoup et à juste titre n'a reçu qu'une bouchée. Pour ma part, je n'ai pas été déçu par cette affaire et je suis heureux que nos chefs militaires soient capables de courir de tels risques. »
En fait, Eisenhower n'avait pas osé concentrer tout l'effort allié sur une seule direction offensive, celle de Montgomery ou celle de Patton. Il a seulement privilégié le maréchal anglais.
Quant à celui-ci, trop sûr de lui, persuadé qu'on « entrerait en Allemagne comme dans du beurre », il n'a pas préparé l'opération avec minutie, négligeant les renseignements qui faisaient état, autour d'Arnhem, d'unités de panzers.
Mais le plus grave - outre les pertes humaines militaires et civiles - est que les Alliés n'ont pas exploité la décomposition du front allemand, en jetant toutes leurs forces en un point donné.
Peut-être la guerre eût-elle pu finir à l'automne 1944 alors que tueries et massacres, exterminations de dizaines de milliers de déportés se poursuivirent pendant des mois, jusqu'au printemps 1945.
La responsabilité en incombe-t-elle à Eisenhower ?
Interrogés après la fin de la guerre, les généraux allemands - Westphal, Blumentritt - soulignent qu'en septembre-octobre 1944, le choix du point d'attaque était moins important que le fait de concentrer tous ses efforts pour faire aboutir cette attaque.
« La situation générale du front occidental était extrêmement mauvaise, écrit Westphal. Une lourde défaite en un point quelconque de ce front, qui présentait des brèches en de si nombreux points qu'il ne méritait même pas ce nom, aurait pu mener à la catastrophe si l'ennemi exploitait ses chances avec habileté. Un danger particulièrement aigu provenait du fait que pas un seul pont sur le Rhin n'avait été miné. Il fallut des semaines pour réparer cette omission. [...] Jusqu'à la mi-octobre, l'ennemi aurait pu percer n'importe où avec facilité, puis il aurait pu franchir le Rhin et pénétrer profondément en Allemagne sans rencontrer d'opposition. »
Le général Blumentritt ajoute :
« Berlin et Prague auraient été occupés par les Occidentaux avant l'arrivée des Russes. »
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Les Russes ?
Churchill, en cet automne 1944, ne pense qu'à eux, à cette armée Rouge qui est restée immobile sur la rive est de la Vistule pendant que les Polonais insurgés se faisaient massacrer dans les ruines de Varsovie.
Cette armée Rouge qui est le glaive de Staline et qui découpe les Balkans, l'Europe centrale au mieux des intérêts de la Russie et du communisme.
Quel serait le jugement de l'Histoire si l'Angleterre n'avait sacrifié tant d'hommes, versé son sang, sa sueur et ses larmes pour arracher l'Europe des griffes du nazisme que pour la livrer aux tueurs de Katyn et aux spectateurs cyniques de la destruction de Varsovie ?
Qui a conscience de cette menace russe ?
Les généraux américains, et le premier d'entre eux Eisenhower, n'ont qu'une vision limitée au théâtre des opérations militaires. Roosevelt est soucieux de sa réélection en novembre 1944, et s'imagine être le seul à pouvoir négocier avec Staline.
Churchill s'emporte, s'impatiente.
Il confie à la fin du mois de septembre 1944, de retour de Québec où il a rencontré le président des États-Unis :
« Tout pourrait s'arranger si je parvenais à gagner l'amitié de Staline. Après tout, le président Roosevelt est stupide de penser qu'il est le seul à pouvoir traiter avec Staline. Je peux parler avec Staline d'homme à homme et je suis sûr qu'il se montrera raisonnable. »
Il s'interrompt, mâchonne son cigare, le front creusé par de profondes rides :
« Sinon, il y aura des conséquences sanglantes à l'avenir. Staline est un homme anormal. »
Puis Churchill se reprend, vante les qualités de Staline, « ce grand et rude chef de guerre, un homme au courage et à la volonté inépuisables, qui parle franchement et même carrément, qui possède ce sens de l'humour salvateur... Je crois lui avoir fait sentir que nous étions dans cette guerre de bons et fidèles camarades ».
Churchill peut se rendre à Moscou, négocier en tête à tête sur l'avenir de l'Europe.
« Je vais courtiser Staline comme un homme courtiserait une jeune fille. Mais après la guerre, je ne veux pas rester seul en Europe avec l'Ours ! »
Or la fin de la guerre est proche et l'armée Rouge déferle. Il faut agir vite, alors que, pour la première fois depuis 1940, Churchill sent que la lassitude gagne le peuple anglais. Assez de sueur, de sang, de larmes ! Mais tout semble recommencer, en pire.
Les V1, ces bombes volantes - doodlebugs, - s'abattent sur Londres, au rythme de 70 engins par jour !
À compter du 8 septembre, les V2 s'ajoutent aux V1, creusant d'immenses et profonds cratères. Chaque V2 est bourré d'une tonne d'explosifs.
V1 et V2 provoquent en quelques mois (jusqu'en mars 1945) 9 000 tués et 25 000 blessés. Et les dommages matériels sont considérables.
Cette guerre ne finira donc jamais ?
Churchill sent le désarroi, la lassitude de son peuple.
Aller à Moscou, s'entendre avec Staline, c'est redonner, à la veille de l'ultime effort, de l'élan à la coalition, du regain de prestige et d'initiative à l'Angleterre.
Churchill part donc pour Moscou où il arrive, le 9 octobre 1944, après un vol de trente-six heures.
Il est brûlant de fièvre, mais il se rend directement au Kremlin afin d'ouvrir les négociations avec le maréchal Staline.