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La Prusse est isolée du Reich.

Le désastre est tel que Guderian se tourne vers le ministre des Affaires étrangères, Ribbentrop, et lui demande de proposer un armistice à l'Ouest.

La question est posée le 27 janvier par Hitler lui-même.

« Pensez-vous que les Anglais voient avec enthousiasme ce qui se passe sur le front de l'Est ? » demande le Führer.

Le général Jodl répond que les Anglais ont toujours considéré les Russes avec méfiance.

Guderian ajoute :

« Si cela continue, nous recevrons un télégramme des Anglais dans quelques jours. »

Les dirigeants nazis vivent ainsi dans l'illusion, la seule manière qui leur reste de nier la réalité et d'espérer échapper à la justice des vainqueurs.

Ils ignorent que Churchill a, le 6 janvier 1945, envoyé un message à Staline soulignant qu'« à l'Ouest la bataille est très dure... Pouvons-nous compter sur une importante offensive russe sur le front de la Vistule, ou ailleurs durant le mois de janvier ? À mon avis, le temps presse ».

Staline répond favorablement dès le lendemain.

« Les nouvelles que vous me donnez, écrit Churchill, seront un grand encouragement pour le général Eisenhower. Car les renforts allemands devront être coupés en deux. »

Staline dans son ordre du jour de février 1945 affirme que « notre offensive d'hiver a eu pour premier effet de stopper l'offensive allemande à l'Ouest destinée à reprendre la Belgique et l'Alsace »...

Et Churchill souligne « que ce fut un très beau geste de la part des Russes et de leur chef de hâter le démarrage de cette vaste offensive au prix de lourdes pertes. La satisfaction d'Eisenhower fut très grande ».

On est loin de la chimère d'une rupture d'alliance à laquelle veulent croire les dirigeants nazis.

En fait, le Führer lui-même ne peut donner le change.

Quand le 30 janvier 1945, il prononce le rituel discours pour l'anniversaire de sa nomination aux fonctions de chancelier le 30 janvier 1933, sa voix lugubre se déchaîne pour dénoncer « la conspiration judéo-internationale » contre l'Europe, mais il ne promet pas un retournement de la situation du Reich.

« En épargnant ma vie, le 20 juillet 1944, dit-il, le Seigneur a montré son désir de me voir demeurer votre Führer. »

Puis, sans un mot de réconfort, il lance un appel :

« Travailleurs allemands, travaillez ! Soldats allemands, combattez ! Femmes allemandes, soyez plus que jamais fanatiques ! Ce que nous accomplissons, aucune nation ne peut l'accomplir ! »

Une Allemande nationale-socialiste écrit :

« Pendant les derniers mois de la guerre, je devais lutter contre mes larmes chaque fois que j'entendais la voix [de Hitler] à la radio ou que je le voyais aux actualités. Nous ne voulions pas reconnaître les signes, toujours plus nets, qui annonçaient la chute prochaine ; notre cœur avait peur de la terrible vérité.

« Les actualités nous montraient un homme vieillissant, qui marchait courbé, en jetant des regards à la dérobée. Sa voix rendait un ton désespéré. Allait-il donc échouer ? Les efforts fabuleux que le peuple allemand avait accomplis pour diriger le monde étaient, à nos yeux, personnifiés en Hitler. Celui qui le regardait contemplait la somme immense de sacrifices en vies, santés et biens, que ces efforts avaient demandés. Tout cela devait-il être vain ? »

Un élève officier, après avoir écouté le discours du Führer, écrit à sa femme :

« C'était merveilleux d'entendre la voix du Führer. Quel lourd fardeau il doit porter ! Quand on y pense, il est presque vil d'écouter les paroles du Führer dans l'espoir qu'elles vont apporter une décision. Mais de fait, une décision a été prise. Aucun miracle ne nous sauvera, sauf celui du cran allemand. »

Mais Hitler lui-même désespère.

Il a quitté, après l'échec de l'offensive dans les Ardennes, son Grand Quartier Général de Ziegenberg.

Et il vit dans le bunker au-dessous de la Chancellerie du Reich, à Berlin.

« Je sais bien que la guerre est perdue », confie-t-il à l'un de ses officiers d'ordonnance.

Il ajoute : « Mon plus cher désir, c'est de me tirer une balle dans la tête. »

L'Allemagne périrait aussi.

Déterminé, il répète aussitôt :

« Nous ne capitulerons pas. Jamais. Nous pouvons sombrer, mais nous emporterons un monde avec nous. »

47.

Combien de millions sont-elles les Allemandes, et combien sont-ils les Allemands qui, dès ce mois de janvier 1945, ont vu, selon les mots de Hitler, leur « monde sombrer » ?

Ils sont sur les routes de Prusse, de Silésie, de Poméranie.

Ils avaient cru que jamais les Russes ne pénétreraient dans le Reich.

Les ministres, les Gauleiters, les membres du Parti avaient assuré que les « barbares », les « Mongols », les « bolcheviks » allaient être repoussés, exterminés.

Et tout à coup, à la mi-janvier, des voitures haut-parleurs ont parcouru les rues des villes - ainsi à Breslau, capitale de la Silésie - et les Allemands ont entendu les mots inimaginables :

« Les femmes et les enfants évacuent la ville à pied en direction d'Opperau-Kanth. »

Plus de trains. Un vent polaire. Une température de 20 degrés au-dessous de zéro. Une neige haute d'un demi-mètre. L'Oder recouvert d'une solide carapace de glace.

Une jeune femme écrit à sa mère :

« Je vais tenter d'arriver chez vous. Je t'en prie, maman, sois calme, mais je n'aurai pas Gaby avec moi et j'ai un bras gelé...

« Je ne pouvais plus la porter et elle était morte. Je n'en pouvais plus. Alors je l'ai bien enveloppée et je l'ai ensevelie profondément dans la neige sur la route après Kanth. Gaby n'y est pas seule. Des milliers de mères marchaient avec leurs enfants et elles ont mis comme moi leurs morts dans le fossé, aucune voiture ne pourra ainsi les déranger et leur faire du mal... »

Cela n'est rien encore.

Sur ces routes qui vont vers l'ouest, il y a les milliers de déportés que les SS encadrent. Ils ont quitté Auschwitz, le 19 janvier 1945, alors que les SS tuaient les plus faibles et détruisaient le camp. Ils marchent et certains sont en guenilles, pieds nus, squelettiques. Ils sont 58 000 ! Ils tombent. Les SS les tuent d'une balle dans la nuque.

Il y a des détenus qu'on dirige vers d'autres pénitenciers. Cinq cent soixante-cinq prisonnières se mettent ainsi en route le 21 janvier 1945 pour parcourir 36 kilomètres - du pénitencier de Fordon, près de Bomberg, à celui de Krone. Il n'y eut que 40 survivantes.

Cela n'est rien encore.

Une colonne de SS mitraille les prisonnières qu'on évacue de Krone... Et des soldats allemands qui passent tirent des détenues hors des rangs et les violent.

Marchent aussi des travailleurs français, des Italiens, des Belges, des Hollandais, tous ces hommes requis pour le Service du Travail Obligatoire ou prisonniers de guerre qui essaient dans cet exode, cette débâcle de sauver leur vie. Ils pillent. Ils sont les nouveaux maîtres.

Les Russes arrivent.

Et tout commence.

Un officier russe raconte :

« En Pologne, le délit le plus courant, c'était dai chazy - donne-moi ta montre. Mais le pillage et le viol à grande échelle n'ont commencé qu'après l'entrée en Allemagne. Nos soldats étaient à ce point frustrés qu'ils ont souvent violé des vieilles de 60, 70, ou 80 ans... Le comportement des Kazakhs et autres troupes asiatiques a été particulièrement déplorable. »