Выбрать главу

L'écrivain et correspondant de guerre Vassili Grossman voit l'infanterie russe qui circule dans des carrioles, des calèches, des cabriolets, ornés de tapis, d'édredons, de glaces, de tout le butin accumulé.

Grossman entend les plaintes d'une femme violée sous les yeux de son mari par plus de dix hommes.

« Des cris de femme par une fenêtre ouverte », note-t-il.

Il recueille le « récit de la façon dont on violait dans une grange une mère qui allaitait. Ses proches entrent dans la grange, demandent qu'on la laisse sortir un moment parce que l'enfant a faim et qu'il pleure. »

Grossman voit « la terreur dans les yeux des femmes et des jeunes filles ».

Une petite fille porte des ecchymoses noires, veloutées, sur le cou et le visage. Un œil est enflé, sur les bras des bleus énormes.

« Il se passe des choses horribles avec les Allemandes. »

Un jeune officier russe raconte à son tour ce qu'il a vu quand son unité a rattrapé une colonne de réfugiés allemands.

« Des femmes, des mères et leurs enfants étaient couchés des deux côtés de la route et devant chacune il y avait une bruyante armada d'hommes pantalons baissés. Les femmes qui saignaient ou perdaient conscience étaient poussées de côté et nos hommes abattaient celles qui essayaient de sauver leurs enfants...

« Des officiers souriants se tenaient à proximité, veillant à ce que chaque soldat sans exception participe... »

On brûle les villages, les fermes isolées, on viole les femmes, on les tue d'un coup de couteau, on les torture.

Les soldats ont en mémoire les articles d'Ehrenbourg, qui incitent au meurtre, au viol. Ils ont vu Maidanek et Auschwitz.

Ils savent ce que les Allemands ont fait en Ukraine, en Biélorussie, jusqu'aux rives de la Volga. Ils ont vu les fosses remplies de centaines de massacrés.

Ils se vengent.

Un soldat écrit :

« Il est absolument clair que si nous ne leur faisons pas vraiment peur maintenant, il n'y aura aucun moyen d'éviter une nouvelle guerre à l'avenir. »

Peut-être sont-elles - au moins - 1 500 000 Allemandes à avoir été violées, et la plupart d'entre elles plusieurs fois.

Tout cela n'est rien encore.

Il y a 8 millions de personnes qui fuient vers l'Ouest.

Il en arrive 50 000 par jour à Berlin. Cinq cent mille sont réfugiées à Dantzig. Six mille d'entre elles embarquent à bord d'un paquebot, le Wilhelm Gustloff, qu'un sous-marin russe torpille : 5 300 morts.

Il y a les 2 000 bombardiers qui rasent Nuremberg.

Les 1 000 bombardiers américains qui, en plein jour le 3 mars 1945, détruisent le centre de Berlin.

Il y a, le 13 et le 14 février 1945, les raids britanniques et américains - nuit et jour - qui engloutissent Dresde sous « une seule mer de flammes ».

Combien de morts ? 40 000 ?

Un typhon de feu - 8 000 bombes explosives, 600 000 bombes incendiaires - tourbillonne, aspirant les personnes qui se trouvent à cent mètres de distance...

Les trains remplis de réfugiés qui arrivent de l'est brûlent dans la gare centrale.

Pourquoi Dresde - ville sans défense, sans industrie ? s'interrogent les Allemands. Les Alliés veulent donc détruire l'Allemagne !

C'est ce que dit Heinz Guderian, le chef d'état-major général de l'Armée. En Allemagne, répète-t-il, l'armée Rouge ne veut que piller, violer, tuer.

Goebbels évoque le « rideau de fer » que Staline fera tomber dès que l'Allemagne capitulera. Le Tyran, le tsar rouge occupera aussitôt l'Europe du Sud-Est et les nations ainsi emprisonnées seront massacrées. On veut exterminer l'Allemagne, car sa résistance et sa victoire empêcheront cet assassinat de l'Europe.

Le Führer, dans un appel lancé le 15 avril 1945 à tous les combattants du front de l'Est, quel que soit leur grade, déclare :

« Le mortel ennemi judéo-bolchevique avec ses masses commence son offensive brutale. Il tente de détruire l'Allemagne et d'exterminer notre peuple... Vieillards et enfants seront assassinés, femmes et filles avilies en putains de caserne. D'autres devront marcher jusqu'en Sibérie. »

Le sort de l'Allemagne est entre les mains de ses soldats. S'ils combattent avec une volonté de fer et esprit de sacrifice, « les bolcheviks seront saignés à blanc devant la capitale du Reich allemand ».

48.

Hitler ment et fuit le réel.

Il sait, quoi qu'il dise, que le sort de l'Allemagne, et donc celui des Allemands, de toutes ces Allemandes violées, torturées, abattues, n'est plus entre les mains de ses soldats.

Les combattants épuisés de la Wehrmacht, les vieux et les adolescents - parfois âgés de 14 ans - du Volkssturm, ne peuvent plus que se sacrifier vainement face à la ruée des divisions de Joukov, de Koniev, exaltées par le désir de se venger, de piller, de détruire, de violer, de tuer.

Les Russes ont la tête pleine de souvenirs douloureux et ils sont exaltés par les malédictions d'Ilya Ehrenbourg.

« C'est la terreur qui pousse les Allemands et leurs femelles vers l'ouest, dit-il... Il y a huit cents ans les Polonais et les Lituaniens disaient : "Nous les torturerons au paradis comme ils nous ont torturés sur terre." À présent nos patrouilles sont aux abords des châteaux des chevaliers Teutoniques à Allenstein, à Osterode, à Marienburg... Nous n'oublierons rien. Allemagne, tu peux tourner en rond, tu peux brûler, tu peux hurler dans ton agonie, l'heure de la vengeance a sonné ! »

Staline comprend, justifie l'attitude des soldats de l'armée Rouge qui ont même violenté des femmes russes, requises par les Allemands pour le travail forcé.

Il confie à Djilas, un Yougoslave, proche de Tito :

« Je suppose que vous avez lu Dostoïevski. Vous savez que l'âme humaine est terriblement complexe. Imaginez un homme qui s'est battu de Stalingrad à Belgrade, qui a vu sa terre dévastée sur des milliers de kilomètres, et les cadavres de ses camarades et de ses proches. Comment peut-il réagir normalement ? Après tout, qu'y a-t-il de mal à ce qu'il prenne un peu de bon temps avec des femmes après toutes les horreurs qu'il a subies ? »

Un officier russe évoquant ces soldats qui violent de très vieilles femmes (80 ans !) décrira même « la surprise des grands-mères qui souvent ne s'en plaignaient pas » !

Churchill, lui, écrit à son épouse :

« Je t'avoue que mon cœur se serre quand j'entends dire que des foules de femmes et d'enfants allemands se pressent sur les routes en colonnes longues de 60 kilomètres pour fuir vers l'ouest... Je suis bien persuadé qu'ils le méritent, mais cela n'atténue en rien la cruauté du spectacle. »

Le Premier ministre britannique vient d'atterrir en compagnie de Roosevelt, ce 3 février 1945, à la base aérienne de Saki, en Crimée, non loin de Yalta, où doit se tenir du 4 au 11 février une conférence des Trois Grands.

C'est Staline qui en a choisi le lieu : Yalta, cette ville où les tsars avaient leurs habitudes, où les palais n'ont pas tous été détruits par les Allemands, qui n'est qu'à quelques heures de train de Moscou.

Churchill et Roosevelt ont accepté, pour complaire à Staline, dont les troupes sont sur l'Oder, de faire un harassant voyage jusqu'à Yalta.

Churchill est frappé par l'état de santé de Roosevelt.

Le président des États-Unis, qui a été réélu pour un quatrième mandat le 7 novembre 1944, est exténué. Le visage est émacié, le regard vague. Il peut à peine se lever de son fauteuil de paralytique. Il a des absences, regard perdu, bouche entrouverte.