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Ils rêvent d'une paix séparée à l'Ouest. Les combats continuant contre les Russes, à l'Est. Un jour viendrait où, contre le bolchevisme, les Anglo-Américains rejoindraient les Allemands pour sauver l'Europe.

Mais il fallait donner des gages à Roosevelt et à Churchill.

Himmler et Walter Schellenberg, chef du service d'espionnage nazi, organisent ainsi le transfert en Suisse de 1 700 Juifs hongrois, et de 1 200 Juifs du camp de Theresienstadt. L'ancien président de la Confédération helvétique - Jean-Marie Musy - négocie avec Himmler et Schellenberg et sert d'intermédiaire avec le Comité américain des réfugiés de guerre (War Refugee Board).

De ces négociations, les Français de Sigmaringen ignorent les détails et l'ampleur.

Mais ils apprennent que des trains de la Deutsche Reichsbahn, chargés de Juifs, franchissent la frontière suisse.

Ils savent que les troupes américaines encerclent Stuttgart et qu'une 1re armée française, commandée par le général de Lattre de Tassigny, avance vers le lac de Constance. Ces « Kollabos » après la bataille des Ardennes avaient encore cru à la reconquête de Strasbourg par les troupes allemandes. Ils s'étaient esclaffés en apprenant qu'Eisenhower voulait évacuer la ville. Puis de Gaulle était intervenu, appuyé par Churchill, et la 2e DB de Leclerc en Alsace avait défendu Strasbourg et les Vosges. Et l'offensive allemande avait été brisée en janvier.

Et dès la fin du mois de février, le temps n'est plus aux illusions. On évoque encore des armes secrètes, le retournement des alliances, mais c'est la panique qui saisit les « émigrés ».

Tous veulent quitter l'Allemagne, le Grand Reich, qui sombre et dont ils refusent de partager le tombeau.

C'est la fuite, la débâcle dérisoire de quelques milliers d'hommes et de femmes, la débandade.

Les membres du Parti Populaire Français se rassemblent à Innsbruck, obtiennent des passeports pour l'Italie et doivent se retrouver à Vérone.

Le fascisme républicain et mussolinien semble encore gouverner l'Italie du Nord avec l'aide des divisions SS.

Passent aussi en Italie Darnand et ses miliciens, Bucard et ses francistes, puis panique : à Innsbruck, on ne délivre plus de visas !

Marcel Déat et sa femme ont disparu. On affirme qu'ils sont en Italie et ont bénéficié de l'aide d'un réseau organisé par le Vatican.

Pierre Laval rêve de Suisse, d'Espagne.

Mais Ribbentrop tarde une dizaine de jours avant de l'autoriser à quitter l'Allemagne.

Lorsque Laval obtient le visa allemand, le 16 avril, les Suisses lui refusent le droit d'asile. Et le Liechtenstein fait de même.

Laval est épuisé, anxieux, pris au piège.

Il télégraphie au ministre des Affaires étrangères espagnol, Lequerica, qui fut ambassadeur d'Espagne à Vichy. Il demande l'autorisation « de pouvoir pénétrer en Espagne, en attendant des jours meilleurs ».

« C'est un vieillard usé et fatigué qui vous écrit. Et en souvenir de notre longue amitié, je vous dis à l'avance merci. »

Lequerica ne répond que dix jours plus tard.

Long calvaire pour Laval, insomnies, angoisses, tentation de briser l'ampoule de poison cachée dans sa pelisse.

Lequerica accorde un droit de séjour de trois mois, dans l'enceinte de la forteresse de Montjuic. Il ne sera pas livré aux autorités françaises, si celles-ci le réclament, mais il sera remis... aux autorités alliées si elles l'exigent !

On sait bien que celles-ci le remettront... à leur allié français.

Le 2 mai 1945, un Junker 38 de la Wehrmacht est mis à la disposition de Laval. Il doit décoller de l'un des derniers aérodromes contrôlés par les Allemands.

Laval et sa femme, leur ami Maurice Gabolde ont pris place à bord.

Il reste deux places. Abel Bonnard, dont le départ est prévu, pleure, implore, supplie, éructe, pour qu'on embarque son frère et non le journaliste Hérold-Paquis, l'un des plus virulents éditorialistes de la collaboration.

Scène sordide, au terme de laquelle l'ancien ministre de l'Éducation nationale l'emporte.

L'avion atterrit à Barcelone, dans l'après-midi de ce 2 mai 1945. Laval sait qu'il n'a obtenu qu'un sursis.

L'Espagne franquiste fascisante, à laquelle Mussolini et Hitler ont apporté leur aide, est restée prudente tout au long de la guerre. Elle ne peut se permettre d'être solidaire d'un vaincu, si les vainqueurs le réclament.

L'Espagne franquiste, le maréchal Pétain la connaît bien ! Il a été, à la fin de la guerre civile espagnole, nommé ambassadeur de France à Madrid parce qu'on connaît l'estime que se portent réciproquement le général Franco et le Maréchal.

Et cependant Pétain, en ce printemps 1945, ne désire en rien se réfugier en Espagne - ou en Suisse.

Il a appris que son procès s'ouvrirait à Paris. Il veut y être présent.

Il s'adresse à Hitler, « chef de l'État grand-allemand » pour que celui-ci l'autorise à regagner la France par la Suisse.

« Je veux défendre mon honneur de chef et protéger par ma présence tous ceux qui m'ont fait confiance », écrit-il au Führer.

Il va célébrer le 24 avril 1945 son quatre-vingt-neuvième anniversaire.

« À mon âge, conclut-il, on ne craint qu'une chose : c'est de n'avoir pas fait tout son devoir et je veux faire le mien. »

Les Allemands redoutent une poussée alliée. Ils connaissent les ordres donnés par de Gaulle à de Lattre :

« Mon général, écrit de Gaulle, il faut que vous passiez le Rhin même si les Américains ne s'y prêtent pas, et dussiez-vous le passer sur des barques. Il y a là une question du plus haut intérêt national. Karlsruhe et Stuttgart vous attendent si même ils ne vous désirent pas. »

Hitler ne veut pas que Pétain tombe aux mains des Alliés. La décision est prise de lui faire quitter Sigmaringen, en direction du sud-est. Pétain refuse.

« S'il faut passer des menottes au Maréchal, je le ferai », avertit l'Obersturmführer SS Boemelburg. Et Pétain ne peut que s'incliner.

Les routes sont couvertes par le flot de l'exode qui charrie femmes, enfants, soldats, prisonniers, déportés, SS qui tuent.

Et les chars américains sont seulement à une vingtaine de kilomètres. Ils se sont emparés d'Ulm.

Le diplomate allemand qui accompagne Pétain prend sur lui de contacter les autorités suisses.

Le 24 avril, le Maréchal entre en Suisse.

Il devra se présenter le 26 avril à 19 heures à la frontière française à Vallorbe.

Un mandat d'amener a été lancé contre lui. La Maréchale sera placée en résidence surveillée.

À Paris, dans son bureau de président du Gouvernement Provisoire de la République française, rue Saint-Dominique, au ministère de la Guerre, de Gaulle reçoit Jules Jeanneney, ministre d'État, Tixier, ministre de l'Intérieur, René Mayer, ministre des Transports, et le général Koenig.

Pétain va donc rentrer en France le 26 avril. De Gaulle aurait tant voulu éviter cela. Il pense depuis des semaines que « l'heure de la réconciliation est venue, qu'il n'est plus temps de mettre en relief les raisons que les Français ont de ne pas s'entendre ».

« Pétain n'est pas mon ennemi personnel, dit-il en se levant, en marchant dans la pièce. Je veux rassembler les Français, pas tout à fait jusqu'à Pétain, mais presque, à la limite extrême... »

Il revient à son bureau. Il jette un coup d'œil à ces télégrammes en provenance de Suisse.

« Le gouvernement helvétique ne peut s'opposer à la volonté du maréchal Pétain de regagner la France. »

Il soupire à nouveau. Le procès ne pourra pas être évité, et la procédure n'aboutira qu'à ranimer les divisions des Français, à nuire à l'unité nationale.