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Comme si la nation encore exsangue avait besoin de cela !

Il soulève légèrement les bras :

« Alors, ils nous le rendent, dit-il, il va revenir. »

Il veut examiner avec chacun des ministres les conditions du retour de Pétain. Le voyage se fera en train, précise-t-il en regardant René Mayer.

Koenig ira accueillir Pétain à Vallorbe. Le service d'ordre doit empêcher toute manifestation hostile.

Il reste quelques minutes silencieux. Pourquoi ces destins étrangement croisés entre lui et Pétain, depuis le début, quand il est arrivé à Arras en 1912, dans le 33e régiment d'infanterie que commandait le colonel Pétain, et puis ce mois de juin 1940, « l'avènement de l'abandon dans l'équivoque d'une gloire sénile » ?

Il se sent étreint par la tristesse, peut-être même le désespoir.

« Échéance lamentable, reprend-il d'une voix sourde. Le Maréchal s'abritait de l'illusion de servir l'intérêt national, sous l'apparence de la fermeté et à l'abri de la ruse. Il n'était plus qu'un jouet, qu'une proie offerte aux intrigues... Que tous les hommes coupables de Vichy soient arrêtés, mais le Maréchal, je ne tenais pas à le rencontrer... Quel dommage... »

Il secoue les épaules.

« Il nous aura embêtés jusqu'au bout ! » lance-t-il.

Il baisse la tête.

« Il possédait tant de qualités... Pourquoi a-t-il fait tout ce qu'il a fait sous l'Occupation ? C'était un grand homme. Ah ! la vieillesse est un naufrage. Il ne faut pas se laisser vieillir aux affaires. »

Il écoute Mayer et Tixier préciser les mesures qu'ils envisagent. Il hoche la tête, se lève, retient un instant Koenig.

« Je ne veux pas de choses médiocres, dit-il. Qu'il ne lui arrive rien. »

À Vallorbe, le 26 avril 1945, la barrière qui marque la ligne frontière se lève et les voitures entrent en France.

Dans l'une d'elles, il y a Pétain, maréchal de France.

Les soldats et les gendarmes hésitent à présenter les armes. Le général Koenig invite Pétain à descendre de voiture. Pétain s'exécute, dévisage ce général qu'il ne connaît pas, lui tend la main.

Koenig la refuse.

50.

Pétain, dans ces derniers jours d'avril 1945, roule vers sa prison, son procès, sa condamnation.

Mais si cette période est historique, ce n'est pas à cause de cette fin sans gloire d'un maréchal de France.

Ces jours marquent la fin du Reich de Hitler. La fosse est ouverte, elle attend le Führer qui, le 20 avril 1945, célèbre son cinquantième anniversaire.

Il n'est plus qu'un homme malade que la tension à laquelle il a été soumis tout au long de sa vie a vieilli prématurément.

Il se bourre de médicaments que lui administre le docteur Morell.

L'explosion de la bombe du 20 juillet 1944 a crevé ses deux tympans. Il est sujet à des vertiges. Il chancelle. Ses membres tremblent.

À Berlin, il vit dans l'atmosphère confinée du bunker construit sous le bâtiment de la Chancellerie, qui n'est plus qu'un amas de décombres. Il n'en sort pas.

Il a songé le 20 avril à se réfugier dans son nid d'aigle de l'Obersalzberg. Il a rêvé d'y créer un dernier bastion, un réduit national. Trop tard.

Les troupes alliées sont déjà enfoncées au cœur de l'Allemagne et de l'Autriche.

Vienne est tombée le 13 avril.

Nuremberg, la ville des « triomphes » nazis, le 16 avril.

Le 25 avril, à 16 h 40, moment historique, à Torgau-sur-l'Elbe, à 110 kilomètres au sud de Berlin, les patrouilles américaines rencontrent les éléments avancés russes, et les soldats se donnent l'accolade.

L'Allemagne est coupée en deux.

La chimère d'une rupture de l'alliance russo-américaine n'est qu'une poussière que les hourras des Russes et des Américains dispersent.

Dans l'après-midi du 27 avril, les « Ivans » du maréchal Joukov et ceux des divisions de Koniev et de Tchouikov, qui se sont élancés depuis leurs têtes de pont sur l'Oder, atteignent les faubourgs de Berlin.

Adolf Hitler au fond de son bunker est encerclé.

Le Führer n'a plus aucune prise sur la bataille qui, dans Berlin en ruine, oppose 500 000 soldats allemands à 2 millions de Russes.

D'un côté des unités disparates, où se côtoient les combattants expérimentés et épuisés de la Wehrmacht, les SS fanatiques qui défendent la Chancellerie - et parmi eux les Français de la division Charlemagne, - des vieillards et des adolescents de la Volkssturm. Pas d'artillerie, quelques blindés, des munitions qui se font rares.

De l'autre côté, la déferlante russe et ses 50 000 canons et mortiers, ses 8 000 chars, ses 9 000 avions. Et des millions d'« Ivans » soulevés par l'enthousiasme de la victoire.

Staline a, habilement, mis en concurrence ses maréchaux, ses généraux : qui de Koniev, de Joukov, de Tchouikov, hissera le drapeau rouge sur la porte de Brandebourg, au sommet des ruines de la Chancellerie ?

Les combats acharnés au cours desquels tombent des centaines de milliers d'hommes - tués, blessés, disparus - vont durer plus de dix jours.

« Printemps de fer après les années de fer de la guerre », écrit Vassili Grossman.

L'écrivain et correspondant de guerre est entré dans Berlin avec les patrouilles avancées :

« J'avais envie de crier, d'appeler tous les frères combattants qui gisent dans la terre russe, ukrainienne, biélorusse et polonaise, qui dorment du sommeil éternel au champ d'honneur : "Camarades, vous nous entendez, nous y sommes !" »

Le Führer, terré au fond de son bunker, n'est plus capable que de se laisser emporter par des colères hystériques quand, par bribes, ses généraux tentent de dresser un état de la situation.

Le général Guderian, chef d'état-major général, qui exige l'évacuation par mer de plusieurs divisions isolées sur la côte de la mer Baltique, subit l'une de ces colères quasi démentes :

« Le poing levé, les joues empourprées, tremblant de tout son corps, le Führer se tenait en face de moi ; fou de colère et complètement déchaîné.

« Après chaque éclat, continue Guderian, Hitler se mettait à arpenter la pièce, puis soudain il s'arrêtait devant moi et m'accablait d'accusations. Il hurlait presque, les yeux lui sortaient de la tête et de grosses veines se gonflaient sur ses tempes. »

Puis le Führer s'effondre, exténué :

« Tous ses mouvements sont ceux d'un vieillard décrépit, note un jeune capitaine qui le voit pour la première fois.

« Dans les yeux du Führer brille une flamme étrangement vacillante qui crée une impression d'épuisement total. »

Hitler semble retrouver quelque vigueur lorsque Goebbels de sa voix saccadée de fanatique évoque le destin de Frédéric le Grand durant la guerre de Sept Ans. La mort « miraculeuse » de son ennemie la tsarine le sauva du désastre et donc du suicide.

Goebbels compare les thèmes astrologiques de Frédéric le Grand et de Hitler. Dans ses appels aux troupes, il les exhorte à résister, à ne pas reculer, car un « miracle » va se produire.

« Le Führer a déclaré qu'au cours de cette année le sort tournera... C'est le destin qui nous a envoyé cet homme afin que dans nos terribles épreuves extérieures et intérieures nous puissions porter témoignage de ce miracle. »

Ce miracle, c'est la mort de Roosevelt le 12 avril, dont la nouvelle parvient à Goebbels le vendredi 13 avril, quelques minutes après minuit.

Berlin est sous les bombes, mais au téléphone Goebbels s'écrie :