Frau Gertrude Junge ne veut pas douter de son Führer, et l'émotion, la concentration que la prise de ce texte exige l'empêchent de penser à ces villes qui ne sont plus qu'amas de ruines, à ces millions de cadavres laissés, le plus souvent, sans sépulture, à ces enfants jetés dans la fournaise de la guerre, à la manière dont elle avait tourné la tête pour ne pas voir ces familles qu'on poussait dans les trains, qui avaient la mort pour destination.
Elle en est sûre : il est innocent, on a trompé le Führer, on l'a trahi. Il le sait et il a raison de décider de condamner les traîtres.
« Avant ma mort, dit-il, j'exclus du Parti l'ex-maréchal du Reich Hermann Goering et je lui retire tous les droits que lui conférait le décret du 20 juin 1941... À sa place, je nomme l'amiral Doenitz président du Reich et commandant suprême des forces armées.
« Avant ma mort, j'exclus du Parti et je relève de toutes ses charges l'ex-Reichsführer des SS et ministre de l'Intérieur Heinrich Himmler.
« En plus de leur manque de loyauté envers moi, Goering et Himmler ont attiré sur la nation tout entière une honte ineffaçable, en négociant secrètement avec l'ennemi, à mon insu et contre ma volonté, et aussi en essayant de s'emparer illégalement du pouvoir. »
Ces deux « traîtres » avaient été, avec Goebbels, ses camarades de parti les plus proches depuis les années 1920 ! Et ils l'avaient trahi !
Le Führer indiquait à l'amiral Doenitz, président du Reich, qu'il devait choisir Goebbels comme Chancelier.
Hitler laissait en outre une consigne :
« Avant tout, je recommande au gouvernement et au peuple de garder en vigueur les lois raciales et de résister impitoyablement à cet empoisonneur de toutes les nations qu'est le Juif. »
Hitler ne renie donc rien, ni la guerre et ses monceaux de cadavres, ni l'extermination de millions d'humains pour la seule raison qu'ils étaient juifs !
Ce fou a donc gouverné avec cynisme, et souvent habileté, l'une des plus grandes puissances du monde.
Ce fou a fait partager sa folie à des dizaines de millions de personnes.
Ce fou a répandu cette « peste brune ».
Et ce fou jouait, avec grandiloquence, au héros, à l'amant fidèle. Il dit dans son « Testament personnel » :
« Bien que durant les années de lutte je n'aie pu assumer les responsabilités d'un mariage, maintenant - avant la fin de ma vie - j'ai décidé de prendre pour épouse la femme qui, après des années de fidèle amitié, est venue librement me rejoindre dans cette ville déjà presque encerclée, afin de partager mon sort. Elle entrera dans la mort avec moi, selon son propre souhait en tant que ma légitime épouse. Ce sera pour nous une compensation de ce dont nous ont privés les exigences de ma mission au service de mon peuple. »
Goebbels a pris connaissance de ces textes qu'avec Bormann et deux généraux - Krebs et Burgdorf - il a paraphés. Il se retire dans sa chambre et, en larmes, écrit son testament, « Appendice au Testament politique du Führer ».
« Le Führer m'a ordonné de quitter Berlin... et de participer en tant que membre dirigeant au gouvernement désigné par ses soins.
« Pour la première fois de ma vie, je dois refuser catégoriquement d'obéir à un ordre du Führer. Ma femme et mes enfants se joignent à moi dans ce refus. En dehors du fait que des sentiments d'humanité et de fidélité personnelle nous interdisent d'abandonner le Führer en cette heure suprême, je craindrais de passer pour un traître infâme, pour un misérable jusqu'à la fin de mes jours ; de plus, je perdrais tout respect de moi-même et le respect de mes concitoyens...
« Dans le cauchemar de trahison qui enveloppe le Führer, en ces jours très critiques de la guerre, quelqu'un doit demeurer auprès de lui, sans réserve, jusque dans la mort...
« Je suis donc persuadé de rendre le plus grand service au peuple allemand par ma conduite. Dans l'avenir difficile qui nous attend, les exemples prendront plus d'importance que les hommes...
« Pour cette raison, en accord avec ma femme, et de la part de mes enfants qui sont trop jeunes pour exprimer une opinion personnelle mais qui approuveraient sans réserve cette décision s'ils étaient en âge de la comprendre, j'exprime mon inébranlable résolution de ne pas quitter la capitale du Reich, même en cas de défaite, et de préférer rester aux côtés du Führer pour terminer une existence qui n'aura plus de valeur si je ne puis la passer au service du Führer et près de lui. »
Il est 5 h 30 ce dimanche 29 avril 1945.
Goebbels vient de prendre l'engagement de précipiter dans l'abîme de la mort ses six enfants.
52.
La mort est là, aux aguets, à quelques pas, ce dimanche 29 avril 1945.
Pour ces soldats russes survivants de Stalingrad et de cent attaques et qu'une rafale tirée par un adolescent de 15 ans, membre du bataillon des Jeunesses hitlériennes, va faucher, à Berlin, à une centaine de mètres du bunker où le Führer se prépare à mourir.
Hier, le Führer a fait empoisonner son chien-loup préféré, Biondi, pour s'assurer que les capsules d'acide prussique sont efficaces.
Chacun des habitants du bunker en a reçu quelques-unes, afin de ne pas tomber vivant aux mains des Russes.
On sait ce qu'ils sont capables de faire, leur volonté de se venger.
Et Hitler, en regardant le cadavre raidi de l'animal, est saisi par l'inquiétude.
Et si la capsule d'acide prussique n'agissait pas ? S'il était fait prisonnier par les Russes ? Voilà ce qu'il doit éviter à tout prix.
Précisément, dans cet après-midi du dimanche 29 avril 1945, Hitler apprend que Mussolini et sa maîtresse Clara Petacci ont été abattus le 27 avril par des partisans italiens sur une route des bords du lac de Côme par laquelle le Duce, une poignée de fascistes et de soldats allemands tentaient de passer en Suisse.
Mussolini et sa maîtresse ont été tués d'une rafale, puis le chef des partisans proches des communistes, le colonel Valerio, a donné l'ordre d'exécuter quinze autres prisonniers dans la petite ville de Dongo.
Les corps ont été jetés dans un camion et transportés à Milan, là où au printemps 1919, à la fin mars, l'ancien socialiste Benito Mussolini a créé le premier Fascio, « Faisceau de Combat », inventé le fascisme ! Et Adolf Hitler avait pris Mussolini pour modèle.
Et maintenant, on jette les corps piazza Loreto.
La foule se rassemble, crie, crache, pisse, profanant ces corps, les pend par les pieds aux poutrelles d'un garage, là même où les nazis ont fusillé le 14 août 1944 quinze otages.
Des écriteaux insultants sont accrochés aux corps de Mussolini et de Clara Petacci, un sceptre dérisoire est placé dans les mains de celui qui fut le Duce flamboyant et tonitruant.
Pauvre dépouille de celui qui se voulait César et avait lancé son pays dans la guerre en juin 1940.
« Il a mérité de mourir comme un chien galeux », hurle quelqu'un, et l'on crache, et l'on pisse, et l'on dénude, et on donne des coups de pied dans la tête sanguinolente de Clara Petacci.
Ces deux pantins sanglants n'ont eu ni assez de fidèles ni assez de courage personnel pour choisir leur mort.
Éviter ce lynchage posthume.
Hitler ne commente pas la mort de celui qu'il a considéré longtemps comme son mentor.
Il dicte son dernier message au grand amiral Doenitz.
« Les efforts et les sacrifices du peuple allemand dans cette guerre, dit-il, ont été incommensurables, je ne peux croire qu'ils aient été vains. Le but demeure : conquérir des terres à l'est pour le peuple allemand. »