Ainsi, il répète ce qu'il avait déjà écrit dans Mein Kampf, il y a vingt ans, comme si la guerre n'avait pas démontré que cette obsession était vaine et folle, ce but, au regard des millions de morts, dérisoire et sénile.
C'est la dernière nuit qui commence.
À 2 h 30, il sort avec Eva Braun de ses appartements privés et se rend à la salle à manger.
Là sont rassemblées une vingtaine de personnes, pour la plupart des femmes. Elles pleurent. Il leur murmure des mots inaudibles. Ses yeux sont remplis de larmes.
Frau Gertrude Junge l'observe.
« Il semblait regarder au loin, au-delà des murs du bunker », dit-elle.
Voûté, tramant les pieds, s'appuyant de la main gauche à l'épaule d'Eva Braun, Hitler se retire dans son bureau. Il est un peu plus de 15 heures, ce lundi 30 avril 1945.
Dans la salle à manger, les femmes tout à coup - celles-là mêmes qui pleuraient - commencent à danser. C'est une sarabande endiablée, sensuelle, comme si chacun des danseurs perdait la raison, ou affirmait son désir de vivre.
Et quelques-uns déjà quittent la pièce, se dirigeant vers les galeries qui débouchent dans le métro.
Ceux-là espèrent franchir les lignes russes, qui sont à proximité de la Chancellerie.
Devant la porte du bureau de Hitler, Goebbels, Bormann et quelques autres attendent.
Ce lundi 30 avril, à 15 h 30, un coup de feu.
Puis le silence.
On ouvre la porte.
Sur le sofa gît le Führer, le visage fracassé. Il s'est tiré une balle dans la bouche ou dans la tempe. Il n'a pas eu confiance dans le poison. Eva Braun près de lui, exhalant une odeur d'amande amère, le visage apaisé, un revolver près d'elle, tombé à terre. Elle a utilisé le poison.
On porte les cadavres dans un cratère d'obus au jardin de la Chancellerie. Erich Kempka, le chauffeur de Hitler, a rassemblé 180 litres d'essence. On les verse sur les corps.
Les flammes s'élèvent. Par la porte entrebâillée du bunker, Goebbels, Bormann et quelques autres regardent les corps se consumer. Ils saluent, bras levé, et se retirent précipitamment alors qu'une salve d'artillerie russe tombe sur le jardin.
Les Russes ne sont plus qu'à quelques dizaines de mètres, le mardi 1er mai 1945.
Des messagers ont quitté le bunker pour apporter au grand amiral Doenitz copie du Testament politique de Hitler et lui annoncent la mort du Führer.
Bormann et la centaine d'hommes et de femmes présents dans le bunker fuient par les galeries vers les tunnels du métro.
Certains - comme les généraux Krebs et Burgdorf - se suicident.
En Allemagne, ils seront des milliers à les imiter.
Pour Goebbels et son épouse Magda, ce début de soirée du mardi 1er mai 1945 est le moment de la rencontre avec la mort.
Magda Goebbels a fait part de ses inquiétudes « au sujet des enfants ». Elle dit : « Ils appartiennent au IIIe Reich et au Führer et, si tous deux disparaissent, il n'y a plus de place pour eux au monde. Ma plus grande crainte est de faiblir au dernier moment. »
Elle explique à son fils, né d'un premier lit, sa résolution.
« Le monde qui viendra après le Führer et le national-socialisme ne vaudra pas la peine d'être vécu. Et j'ai donc décidé d'en retirer mes enfants. Ils me sont trop chers pour subir ce qui va se produire ensuite, et un Dieu miséricordieux comprendra mes intentions de les en délivrer.
« Nous n'avons maintenant qu'un seul but : fidélité au Führer jusque dans la mort.
« Pouvoir finir nos vies avec lui est une grâce du destin que nous n'aurions jamais osé espérer. »
On arrête en riant, en les embrassant, les jeux des enfants.
Une piqûre les endort. Une capsule de poison qu'on écrase dans leur bouche les tue. Joseph et Magda Goebbels demandent à un SS de les accompagner dans le jardin de la Chancellerie. Ils mordent leurs capsules de poison. Et le SS tire deux coups de feu dans chaque corps.
On verse sur les cadavres ce qui reste d'essence après l'incinération de Hitler et d'Eva Braun.
Rien sinon peut-être une prothèse dentaire n'était resté d'Adolf et Eva Hitler. Les Russes identifient les corps à demi calcinés de Joseph et Magda Goebbels.
Ce mardi 1er mai 1945, dans une pièce du bunker du Führer incendié gisent les corps de six enfants.
Hela, 12 ans, Hilda, 11 ans, Helmut, 9 ans, Holde, 7 ans, Hedda, 5 ans, Heide, 3 ans.
Six enfants parmi des centaines de milliers d'autres, assassinés par la guerre voulue par Hitler.
« Total Krieg », avait martelé Goebbels.
Il est l'assassin de ces six enfants-là - les siens !, - victimes du fanatisme, symboles de la folie d'un système politique : le nazisme.
Dans son carnet, Vassili Grossman, qui avance avec les soldats de l'armée Rouge, note :
« Dans le bourg de Landsberg, près de Berlin, des enfants jouent à la guerre sur un toit plat.
« À Berlin, au même instant, on porte les derniers coups à l'impérialisme allemand, tandis qu'ici, avec des épées et des lances en bois, des gamins aux longues jambes, nuques rasées, franges blondes, poussent des cris perçants et se transpercent les uns les autres, sautant et bondissant comme des sauvages.
« Ici, une nouvelle guerre est en train de naître.
« C'est éternel, indéracinable. »
53.
Alors que les cadavres de Joseph et de Magda Goebbels, ce 1er mai 1945, demeurent à demi calcinés dans les jardins de la Chancellerie commence la mise au tombeau du IIIe Reich.
Radio Hambourg, après un roulement de tambour, diffuse le communiqué suivant :
« Notre Führer, Adolf Hitler, luttant jusqu'à son dernier souffle contre les forces bolcheviques, est tombé pour l'Allemagne, cet après-midi, à son QG de la Chancellerie du Reich. Le 30 avril, le Führer avait désigné le grand amiral Doenitz pour lui succéder. Le grand amiral et successeur du Führer va maintenant s'adresser au peuple allemand. »
À 22 h 20, le nouveau président du Reich évoque la « mort héroïque du Führer » puis déclare :
« Mon premier devoir est de sauver l'Allemagne de la destruction par l'ennemi bolchevique qui continue son avance. Dans ce seul but, la lutte militaire continue. Tant que ce résultat sera contrarié par les Britanniques et les Américains, nous serons obligés de les combattre également. Dans ces conditions, les Anglo-Américains se battront non pour leur peuple, mais pour la propagation du bolchevisme en Europe. »
Doenitz dévoile sa stratégie : permettre aux soldats qui se battent contre l'armée Rouge de se replier vers l'ouest, de déposer les armes entre les mains des Anglo-Américains et d'éviter ainsi d'être faits prisonniers par les Russes.
En Italie du Nord, en Autriche et en Bavière, en Allemagne du Nord-Ouest, au Danemark et aux Pays-Bas, le général SS Wolff - pour l'Italie, - le Feldmarschall Kesselring négocient - avec l'accord de Doenitz - la capitulation de leurs armées, que les Anglo-Américains acceptent.
Cette attitude entraîne les protestations des Russes qui exigent une capitulation totale, inconditionnelle. Eisenhower, fidèle à l'alliance russo-américaine et aux accords de Téhéran et de Yalta, adresse un ultimatum au général Jodl :
« Je dis au général Smith d'informer Jodl que, s'il ne cessait pas son petit jeu de mesures dilatoires, je bloquerais tout le front allié, ce qui interdirait l'entrée de nos lignes à tous les réfugiés allemands. Je ne voulais plus supporter de délais. »