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« J'ai attendu jusqu'à aujourd'hui que tu me témoignes un minimum de sentiments d'humanité et d'amitié. Maintenant, c'est trop. Si Galeazzo n'est pas en Suisse dans les trois jours selon les conditions que j'ai fixées avec les Allemands, tout ce que je sais, avec preuves à l'appui, je l'emploierai sans pitié. Dans le cas contraire, si nous sommes laissés en paix et en sécurité (de la tuberculose aux accidents d'auto), vous n'entendrez plus parler de moi.

« Edda Ciano. »

Mussolini, au milieu de la nuit, téléphone au général Wolf pour demander conseil.

Le général refuse de prendre position et se contente de retirer pour quelques heures les deux SS qui sont en faction devant la cellule n° 27, celle du comte Ciano.

Mais il est trop tard pour que Mussolini prenne seul une décision. Il lui est plus facile de laisser se dérouler les événements, sans intervenir. Il attend.

Déjà, à la prison des Scalzi, Don Chiot et le franciscain Dionizio Zilli s'emploient à consoler les prisonniers qui sont réunis dans une seule cellule. Ciano au dernier moment a tenté de s'empoisonner, mais la drogue fournie par Frau Beetz est inoffensive.

À 5 heures du matin, le 11 janvier 1944, les prisonniers sont réveillés et l'attente commence.

Marinelli se lamente faiblement, affaissé. C'est une aube glaciale d'hiver qui dure. Et la longueur même de l'attente redonne de l'espoir ; tous ont formulé une demande de grâce, peut-être Mussolini l'a-t-il acceptée ?

Mais à 9 heures, après quatre heures d'incertitude, policiers, juges et chefs fascistes arrivent : les grâces sont refusées.

On passe les menottes aux prisonniers que des miliciens armés entourent. Marinelli, De Bono et Ciano, qui furent parmi les plus hautes personnalités du régime fasciste, vont ainsi mourir sous des balles fascistes.

Et l'Histoire s'est souvent arrêtée sur cet homme que la fortune avait paru combler, ce comte Ciano, emporté dans le tourbillon des honneurs, paradant au Berghof de Hitler, au golf ou sur les aires d'envol en capitaine de bombardier prêt à partir pour l'Albanie ou la Grèce, ce ministre, le gendre du Duce, cet homme jeune qui va mourir.

Quand la violence est le ressort d'un régime, qui peut espérer échapper à ses coups ? Pas même ceux qui ont utilisé la violence pour le régime, le secrétaire du Parti fasciste Marinelli, le quadrumvir De Bono ou l'aviateur-ministre Ciano.

Dans le polygone de tir de la forteresse de San Procolo, vingt-cinq hommes de la Milice, tous volontaires, sont prêts ; quelques juges, des personnalités fascistes et de nombreux officiers de la Garde nationale républicaine sont présents.

Les détenus sont sur des chaises, le dos au peloton et les bras liés au dossier. Marinelli se débat. « C'est un assassinat », crie-t-il. Il faut l'attacher de force : plusieurs miliciens s'y emploient.

Les autres condamnés sont dignes et résolus, mais au fond de leurs regards on lit l'effarement, une incrédulité tenace. Eux, les chefs fascistes, ils sont là, pour leur mort, devant un peloton fasciste.

À quinze pas, les miliciens sont prêts. Le premier rang a mis le genou à terre.

Ciano, De Bono se retournent plusieurs fois, et au moment où retentit le commandement de « feu », on entend l'un des condamnés crier :

« Viva l'Italia, Evviva il Duce ! »

La décharge fracasse le cri dans l'air glacial.

Quatre hommes tombent, une chaise reste dressée, le prisonnier indemne sans doute : des quatre hommes tombés, des cris s'élèvent, les corps bougent. Il faut tirer de nouveau sur le prisonnier resté assis, sur les quatre qui sont à terre. Puis, à coups de pistolet, on achève les cinq suppliciés.

Des opérateurs filment la scène.

Dans la journée, la radio annonce un communiqué important. Après avoir rappelé la condamnation à mort, le speaker déclare :

« À 9 h 20, la sentence a été exécutée. Les cinq condamnés ont été fusillés. »

Puis on entend l'entraînant hymne fasciste :

« Giovinezza, primavera di bellazza... », « Jeunesse, printemps de beauté... »

Mussolini s'exclame, à l'écoute de l'émission :

« Les Italiens aiment se montrer en toutes circonstances ou féroces ou bouffons. »

En fait, après cette exécution, féroce et bouffonne, avec ce peloton qui ne sait même pas à quinze mètres tuer d'une décharge cinq malheureux, le régime et le Duce tentent de se sauver et de se disculper.

Le 12 janvier, sous le grand titre : « Condamnation à mort de dix-huit membres du Grand Conseil », la Stampa proclame :

« Le couperet est tombé. Vingt ans d'indulgence récompensés par l'ingratitude et la trahison, c'est trop. Le pardon est un luxe. Les condamnés de Vérone paient la destruction néfaste de l'édifice national difficilement construit avec l'argent et le sang du peuple. Ils paient la division de la patrie, la guerre installée au cœur de l'Italie. »

En bref, sur les têtes des condamnés de Vérone retombent toutes les fautes du fascisme, et Mussolini veut payer avec leur sang ses propres erreurs et celles du régime tout entier.

Mais il veut aussi se donner bonne conscience. Il interroge don Chiot, murmure au prêtre, après avoir évoqué Ciano : « Priez pour lui et pour moi. »

Il assure au défenseur, à la mère de Ciano et à Edda qu'il n'a pas été au courant de la demande de grâce des condamnés.

« Ce sont ceux-là mêmes qui ont voulu le procès qui ont refusé de me transmettre la demande, de peur que je n'accorde la grâce », dit-il.

Pourtant, la mort des inculpés est pour lui et pour le fascisme une tentative désespérée pour s'innocenter et menacer tout à la fois. Le 12 janvier, on peut encore lire dans la Stampa : « Salus Reipublicæ suprema lex », « Le salut de la République est la loi suprême ».

« La sentence de Vérone est la preuve que la République va jusqu'au bout. Que l'avertissement soit entendu par ceux qui en ont besoin et qu'il invite le pays tout entier à retrouver au plus tôt l'exacte conscience de ses propres devoirs et celle des droits supérieurs de la Patrie. »

L'avertissement est clair comme un ordre : que le citoyen se plie s'il ne veut pas subir le sort de Ciano.

Car si Ciano a été fusillé, tout est désormais possible.

L'exécution de Vérone est bien un alibi et une justification nécessaires.

4.

Dix jours après les exécutions de Vérone, le 22 janvier 1944 dans la matinée, de longues colonnes de camions allemands chargés de parachutistes casqués traversent Rome à toute allure, précédées de motocyclistes, leur mitraillette en bandoulière.

Ils foncent vers la mer, vers Anzio, à soixante kilomètres de Rome où, bénéficiant de la surprise la plus complète, les Anglo-Américains ont débarqué à 2 heures du matin.

L'opération Shingle a réussi.

Quand, quelques heures plus tard, la nouvelle est connue, il semble aux Italiens et aux Romains d'abord que leur libération soit proche.

Déjà une animation inquiète gagne le Palazzo Wedekind, le quartier général du Parti fasciste protégé par des mitrailleuses en batterie et des autos blindées ; certains des chefs fascistes quittent la capitale pour l'Italie du Nord.

Au quartier général de Kesselring, les officiers d'état-major reçoivent même l'ordre de préparer leur départ dans les quatre heures.

Mais bien vite l'espoir ou la peur retombent.

Sur les routes autour de Rome et dans les gares, on voit passer, dès la nuit tombante, les lourds convois militaires qui ramènent de France, des Balkans ou du nord de l'Italie cinq divisions d'infanterie allemande.