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«Police, j'ai fait. En route.

– Je suis médecin, a répondu l'homme en tirant sur sa fermeture Éclair. Je vous conduis à l'hôpital.

– Qui a parlé d'hôpital? Ne soyez pas si curieux. Merci.»

Habitué, comme je l'étais, à la sûre et souple conduite de Marie-Jo, j'ai incité le vieil homme à la prudence tandis que nous filions vers ma banlieue parmi les cinglés et les chauffards en tout genre, qui maraudant à vingt à l'heure le long des trottoirs, qui filant à cent soixante et grillant les feux à perte de vue. Je lui indiquais les rues à prendre, les ponts à traverser, les questions à ne pas poser. La jeune femme et lui me faisaient penser à un père en compagnie de sa fille. Un très vieux père, en l'occurrence. Et je me demandais si un père était capable de faire ça, de balayer les liens qui l'unissaient à sa progéniture, de décider sa mort. Est-ce que c'était possible? Est-ce qu'un homme a priori sain d'esprit pouvait envoyer des tueurs étrangler sa propre fille?

«C'est quoi, ce truc que vous avez sur le front?» m'a demandé le vieux médecin au moment où je sortais de sa voiture.

J'ai placé un index en travers de mes lèvres:

«Chut.»

J'ai suivi Paula dans l'escalier tandis que l'homme aux cheveux blancs laissait tourner son moteur dans ma rue sombre. Ma foi, Paula avait de jolies fesses, je ne dis pas le contraire, mais la question que je me posais à propos de Paul Brennen occupait entièrement mon esprit. Si mon instinct ne me trompait pas, la réponse était oui.

Paula s'est dirigée aussitôt vers la chambre. Le problème était que je ne pesais pas grand-chose face à Paul Brennen. Je me suis assis sur le bord du lit en songeant aux nombreux et terribles ennuis que je n'allais pas manquer de m'attirer si j'orientais mes investigations dans ce sens. Si bien qu'une autre question, sous-jacente à la première, se posait en ces termes: étais-je prêt à me lancer dans une action suicidaire? Et pour quel résultat?

«Où sont les préservatifs?»

J'ai posé sur elle un œil mort, asexué. J'ai baissé les yeux sur sa robe qui venait de choir à mes pieds et ma poitrine s'est gonflée pour exhaler un profond soupir:

«Écoute, je ne comprends pas.

– Tu ne comprends pas quoi?

– Pourquoi moi? Tous ces types te dévoraient des yeux. Pourquoi moi?

– Tu en as ou tu n'en as pas? Oui ou non? Parce que si c'est non, je le fais pas.

– Alors c'est râpé. La question est réglée.

– Attends. Avec quoi tu fais la vaisselle? Tu mets des gants en caoutchouc?»

Je l'ai fixée un instant. La rumeur qui courait sur la qualité de ses activités sexuelles était-file fondée? Et sur quels critères?

Le téléphone a sonné.

«Tu étais où? Tu vas me rendre folle. Hein, tu étais où?

– Avec Marc. Où voulais-tu que je sois?

– J'ai appelé chez Marc.

– Tu as appelé chez Marc?

– Vous étiez où? Hein, vous étiez où?

– Dans le jardin. Eve lui a fait cadeau d'une nouvelle voiture. Je t'en avais parlé. Nous étions dans le jardin à tourner autour, comme deux gamins. En bas, dans le jardin.

– Tous les deux? Seuls?

– Personne d'autre. Juste deux frangins assis dans une décapotable. Regardant le ciel. Fumant des cigarettes. C'était bien. On a décidé de faire ça plus souvent. C'était vraiment bien. Deux gentils frangins bayant aux corneilles dans la fraîcheur du soir. Tu aurais vu ça. Mais dis donc, tu as vu l'heure?

– Je n'arrive pas à dormir. Je ne savais pas où tu étais.

– J'étais en bas, bien sûr. Dans le jardin.

– On a retrouvé des sushis dans l'estomac de Jennifer Brennen.

– Oui, je sais. Le labo m'a appelé.

– Quand c'est le labo, tu décroches. Quand c'est le labo, tu n'es pas dans le jardin. C'est bien ça?

– Non, tu n'y es pas du tout.

– Je n'y suis pas du tout. Mais bien sûr. Espèce de connard. Enfin, bref. J'ai trouvé le resto qui lui a livré les sushis.

– Bravo. Je te félicite.

– Le type m'a dit qu'ils avaient livré pour quatre personnes. Intéressant, non? On ferait peut-être bien de trouver les trois autres. Hein, quand tu auras un moment. Quand tu ne seras pas dans ton jardin jusqu'à trois heures du matin. À te prendre pour Jack Kerouac.

– Je ne me prends pas pour Jack Kerouac. Qu'est-ce que c'est que cette histoire? Je ne me prends pas du tout pour Jack Kerouac.

– À regarder les étoiles. À picoler dans une décapotable. À tirer des plans sur la comète. À gribouiller des carnets. À te donner un genre.

– Bon, je raccroche.

– Ne raccroche pas.

– J'en ai assez entendu.

– Bon, je m'excuse. Mais tu me rends folle.

– Je ne te rends pas folle. Tu es folle. Pourquoi ne sautes-tu pas dans ta voiture pour venir regarder sous mon lit? Qu'est-ce que tu en penses?

– Et là, ce que j'entends. C'est quoi, ce que j'entends?»

Je me suis tourné vers Paula qui retournait les tiroirs de la cuisine. J'ai poussé la porte du pied.

«Tu entends quoi? Écoute, je ne devrais pas te le dire, mais il y a une fille nue dans la cuisine. Elle cherche des gants en caoutchouc. Ne me demande pas pourquoi. Tu en ferais une maladie.

– Ne sois pas méchant avec moi. Ne sois pas injuste.

– Jack Kerouac. Ça, c'était la meilleure. Mais laisse-moi préciser un point. Les beatniks. Quand je regarde autour de moi. Quand je vois comment ça se passe. Quand je vois ce que les gens font de leur vie. Au moins, les beatniks, c'était autre chose. Voilà mon sentiment. Et je te signale que d'un point de vue littéraire, comparé aux hussards et autres merdes qui ont suivi, Kerouac est dans la catégorie au-dessus. Enfin, plusieurs catégories au-dessus. Voilà mon sentiment. C'est tout ce que j'ai à dire.»

Au moment où je raccrochais, Marc a garé sa voiture dans l'allée. Je me suis penché à la fenêtre pour lui faire signe et respirer un peu d'air frais. S'il se faisait du souci pour moi, je m'en faisais également pour lui. D'une manière vague et confuse. Parce que j'étais l'aîné et qu'il était la seule famille que j'avais. Mon souci n'était fondé sur rien de particulier, sinon la sauvagerie du monde, les accidents et la maladie. Chaque fois que je l'entendais rentrer, je me sentais comme une vieille mère, je sentais ce doux pincement au cœur, cette petite joie muette, solitaire et fugace, que l'on ne veut partager avec personne.

«Paula est avec toi?»

J'ai hoché la tête.

«Au poil» il a fait.

Elle était allongée sur le lit, nue comme un ver. Pendant que je me déshabillais, elle ne m'a pas quitté de l'œil. Je me suis allongé et j'ai éteint la lumière.

«Ne le prends pas mal. Ne le prends pas pour toi.

– Ah bon.

– Je te souhaite une bonne nuit.

– Ah bon.»

MARIE-JO

Je reprends des amphétamines. Bien sûr, ça m'énerve un peu, ça tend à me contrarier pour un rien, mais je tiens le coup avec un repas léger le midi et quelques légumes le soir. Je pèse désormais (et je compte bien progresser encore) quatre-vingt-neuf kilos et six cents grammes. Chose qui ne m'était pas arrivée depuis longtemps.

Je l'ai annoncé à Nathan, quand il est venu me chercher. J'étais sous la douche – avec une faim de tous les diables après ma demi-heure de footing dans le parc mais un moral au beau fixe. Je lui ai demandé de venir voir. Il est venu.

J'ai pensé qu'un jour il pourrait me porter pour m'allonger sur le lit, mais ce n'est pas pour demain. Oh, il pourrait le faire, je n'en doute pas, car il est fort comme un Turc malgré sa silhouette élancée – le salaud -, il est tout en muscles. C'est moi qui ne veux pas. Ça me gêne. Ça me met en colère contre moi.

Faire l'amour avec Nathan n'est pas ce que je préfère au monde. Physiquement parlant. Je me débrouille mieux toute seule, pour dire franchement les choses. Ce n'est pas sa faute. Mon point G est une affaire personnelle, je dirais. Nathan n'y est pour rien. Le seul orgasme que j'aie eu de toute ma vie, je l'ai eu avec mon père. Mais je préfère ne pas en parler.