Néanmoins, je le fais volontiers avec Nathan. J'aime le tenir dans mes bras, le serrer contre moi avec mes deux talons enfoncés dans ses reins. J'ai des goûts simples. Je suis aussi une bonne comédienne. Quand il plaque sa main sur ma bouche pour étouffer mes cris, je rigole intérieurement. Je suis satisfaite.
Nous avons sauté du lit en entendant frapper à la porte. Nathan s'est rhabillé en vitesse et j'ai enfilé un peignoir avant d'aller jeter un coup d'œil par le judas.
Ouf. Ce n'était que Ramon, le voisin du dessous. Ouf. La peur d'être surpris. Ce qui, le cas échéant, ne provoquerait pas d'effroyables bouleversements, il faut l'admettre. Mais on fait comme si. Le sel. Le piment. Le fruit défendu. L'adrénaline.
«Ramon. Qu'est-ce que tu veux?
– Franck n'est pas là?»
Une chose déplaisante, chez ce garçon: il ne vous regarde jamais en face. Du moins, il ne me regarde jamais en face: il a une préférence pour le pli sombre qui plonge entre mes seins.
«Non, il n'est pas là.»
Nathan, recoiffé, la chemise boutonnée au ras du cou, frais comme une rose, l'air tellement innocent, Nathan est passé dans mon dos – «Salut, Ramon» – et il s'est installé dans un fauteuil – «Salut, Nathan» – pour feuilleter une revue consacrée à la gigantesque explosion des à-valoir offerts à de jeunes romanciers inconnus. «Eh bien, Ramon. Tu voulais autre chose?
– On avait rendez-vous. Je poireaute depuis une heure.
– Ça arrive.
– On avait un truc. Une réunion. Hyper importante.
– Mmm. Franck n'oublie jamais une partie de poker. Tu as essayé son portable?
– J'arrête pas. Ça sonne toujours occupé.»
J'ai senti quelque chose couler entre mes jambes. Je les ai croisées. J'ai haussé les épaules, puis j'ai commencé à refermer la porte.
«Bon, Ramon. Le premier qui réussit à le joindre appelle l'autre. D'accord? On fait comme ça. Courage, Ramon.»
J'ai couru jusqu'à la salle de bains – Nathan a un sperme tellement abondant, une horreur. Quand je suis revenue, il reposait le téléphone. Pas de nouvelles de Franck. Monsieur n'était pas joignable. Monsieur fabriquait quoi? Mystère. Heureusement, je n'étais pas jalouse. S'agissant de Franck, je n'étais pas jalouse pour deux sous.
Les bureaux de Paul Brennen occupaient les trente-quatre, trente-cinq et trente-sixième étages de la tour la plus somptueuse, la plus délirante, la plus admirée – signée F. Gehry – du centre-ville. Il fallait absolument porter des lunettes de soleil pour la contempler. Tours, buildings, immeubles consacrés aux activités de l'empire Brennen, il y en avait une cinquantaine dans le monde entier – une armada d'acier, de verre, de pierre et de marbre spécialement traités antigraffitis, lancée à la conquête du monde. Très impressionnant.
Un gigantesque drapeau – un segment de ligne ondulée, jaune, sur fond rouge – flottait au sommet du bâtiment dans le ciel bleu, magnifique. Le rez-de-chaussée, dont la hauteur du plafond déclenchait une espèce de vertige, était destiné à la vente (oh, pardon), était destiné à permettre l'éventuelle adoption d'un style de vie qui n'était pas donné à tout le monde – d'où l'extravagance des prix (oh, pardon, mille excuses), d'où un système judicieux permettant d'écarter les indésirables – hérétiques, anarchistes et fauchés en tout genre.
Une paire de Brennen, fer de lance de la marque, une paire de Brennen de trois mètres de long, réalisée en titane et reposant avec grâce sur un éblouissant néon jaune, trônait au centre de l'espace comme une puissante déesse veillant sur les âmes, pleine d'amour et de pouvoirs terribles. Les vendeurs (bon, j'arrête), les officiants étaient jeunes et bronzés, un rien méprisants, hautains, reconnaissables – au cas où on les aurait pris pour des yuppies en goguette -, reconnaissables à leur tatouage, le fameux «-' jaune citron, indifféremment porté au mollet, sur le dos de la main ou dans la nuque. Très chic. Indispensable. Le tout baignant dans une musique gangsta-rap. Le tout – la panoplie vestimentaire complète – disposé sur des rayons et dans des casiers ouvragés comme de précieux écrins. Le tout – et en particulier les jeunes zonards aux mains lestes, plus rapides que des flèches – sous l'œil sombre des vigiles en costumes croisés et des caméras de vidéosurveillance. Très sympa. Très bonne ambiance. Un monde merveilleux. Étourdissant. J'ai failli me laisser tenter par un survêtement d'été, pas mal du tout. Made in China. Sur plusieurs écrans plats, encastrés dans les murs, on voyait Paul Brennen sortir du magasin, sauter dans un hélicoptère avec ses cheveux qui volaient au vent, puis atterrir et distribuer des sacs de riz et des embrassades à des enfants presque nus et affamés. Très émouvant. Super.
Nathan inspectait, avec toutes les précautions d'usage, la Brennen Space – la toute dernière nouveauté dotée d'une semelle en matériau composite renfermant des capteurs qui, selon le poids de leur propriétaire et la nature du sol, adaptaient la densité du matériau en question afin d'obtenir une efficacité et un confort maximaux.
Je lui ai demandé où en étaient les choses:
«Elles en sont où?
– Ils sont en train de relayer l'information d'un bureau à l'autre.
– U te recevra pas, Nathan.
– C'est juste pour voir. C'est pour me faire une idée. Ça ne coûte rien de se faire une idée. Suis mon exemple. Imprègne-toi un peu de l'ambiance.
– Ça y est. C'est fait. Je suis imprégnée.»
Nathan est un mauvais flic. Vous me direz, pas plus mauvais que la plupart des autres, mais ça ne change rien. Il fait son boulot. Il fait son boulot, point. Mais sorti de là, sorti des procédures qu'on nous enseigne à l'école avant qu'on reçoive notre insigne, sorti de là, autant confier les rênes à un aveugle qui serait sourd comme un pot. Je le dis sans méchanceté. Je le dis car c'est la pure vérité. Quand il a une intuition, on peut être sûr qu'il se trompe. À tous les coups. Pourquoi le cacher? Pourquoi en faire un mystère quand il n'y a pas lieu d'avoir honte? Je connais de mauvais flics qui sont des gens très bien.
D'un autre côté, il a de la chance.
Obtenir aussi sec une entrevue avec Paul Bren-nen, sur une échelle de un à dix, combien on lui donnerait?
J'étais sidérée. Ramon a appelé pendant qu'on nous conduisait sous bonne garde vers un ascenseur privé – Ramon de plus en plus inquiet, se proposant d'appeler la police. Je l'ai invité à se tenir tranquille.
«Je ne peux pas te parler, Ramon.
– Tu crois pas qu'il faudrait lancer un avis de recherche? Tu crois pas?
– Je ne peux pas te parler, Ramon.
– Ça lui ressemble pas, moi je dis. Ça craint. Tu trouves pas que ça craint à mort?
– Je ne peux pas te parler, Ramon.»
J'étais sidérée. Pénétrer dans le Saint des Saints, pénétrer dans le repaire d'un homme qui ne côtoyait que les puissants de ce monde, jouait au golf avec les rois, tutoyait les présidents, embrassait les princesses, couchait avec les actrices, distribuait du riz aux Damnés de la Terre et des médicaments périmés. Pénétrer dans son sanctuaire. Et par quel tour de magie? Nathan, armé de son plus joli sourire, demandant à voir le grand patron en personne. De la part d'un petit flic de rien du tout. Demandant si c'est possible. Et on lui répond oui. Oui, c'est possible. C'est tout à fait possible. Oui. Aucun problème. Moi, j'appelle ça de la magie pure.
Moi, je suis un bon flic. Je suis une femme. Je sens les choses. J'ai tout de suite dit à Nathan: «Ce gars-là n'a pas fait tuer sa fille. Tu peux me croire.» Mais il s'est contenté de hausser les épaules avant de mordre dans son sandwich – je chipotais, quant à moi, une salade verte arrosée de jus de citron.