Выбрать главу

Mais il y en avait au moins un. Une vraie loque, mais il ne fallait pas s'y fier. C'était un fourbe, un serpent venimeux qui se glissait dans tous les coins mais que Marie-Jo tenait par les couilles pour une histoire de mineurs. Un alcoolique abject. Mais un excellent informateur.

Il m'a lâché l'information pour une bouteille de rhum. Parce que je le voulais bien. Parce que je n'étais pas mécontent de voir mes soupçons se confirmer – un sentiment d'une douceur incomparable, que vous certifiera n'importe quel flic, cette incomparable satisfaction d'avoir mis dans le mille, d'avoir eu un sacré flair. Je lui ai laissé choisir la marque tandis que, de mon côté, je faisais l'emplette d'une bouteille de gin et d'un veau Marengo sous vide ainsi que de lait de soja parfumé au cacao.

Alors oui, effectivement, il y avait bien une rumeur.

«Je le savais. Continue. Je le savais.

– Et même une sacrée rumeur, mon pote.

– Paul Brennen. Espèce d'ordure.

– Et pour un sacré paquet, mon petit pote.

– Combien, en euros? Il me faut des détails. Le maximum de détails, tu m'entends?»

Et c'était parti. Le train-train habituel. D'ici quelques jours, de nouveaux éléments allaient remonter à la surface. Dès que l'on tenait quelque chose, il fallait creuser, déblayer, trier, insister, ronger son frein en silence, être patient, être imperturbable, adopter un profil bas devant l'hystérie grotesque d'un supérieur qui aurait gagné du temps en gardant son pantalon à la main. Puis tout à coup, alors que les ténèbres devenaient suffocantes, la lumière apparaissait. La lumière jaillissait de la bouche de ces connards, l'heure de la récolte sonnait et il ne restait plus qu'à refermer la nasse. Toutes ces heures, toutes ces journées, toutes ces semaines à nager dans le brouillard, enfin récompensées. Le parcours habituel. Joies et misères du quotidien d'un inspecteur de police. Deux mille euros par mois, bon an mal an, mais les horaires sont souples.

Chris m'a sauté au cou. C'était la première fois qu'elle s'enchaînait à une grille.

«J'espère que tu es fier de moi.

– Nous allons en parler. Wolf n'est pas là?

– Il arrive. Il est en train d'essayer un nouveau matériel.»

Et de fait, à la seconde où elle me disait ça, j'ai vu Wolf passer devant la fenêtre, telle une grosse araignée pendue à un fil.

«Vous partez faire un tour à la montagne?

– Il s'entraîne à descendre en rappel. Il va déployer une banderole sur la façade d'un immeuble. Je ne peux pas t'en dire plus, bien entendu.

– Ne t'en fais pas pour ça. Je n'ai aucune envie d'en savoir plus.

– Ça fait combien, du vingtième étage?

– Ça va. C'est pas très haut. C'est pas comme s'il sautait à l'élastique.

– Il saute à l'élastique. Il a sauté plus d'une douzaine de fois.

– J'ai sauté en parachute.

– Une fois.

– Et au lit? Il tient bon, au lit? Il essaye pas de décrocher un record?

– Bon. Nous y voilà.

– Pas du tout. Sûrement pas. Il y a longtemps que j'ai dépassé ce stade, figure-toi. Mais je voulais voir comment tu réagirais. J'étais curieux de le savoir.

– Le problème avec toi, Nathan, c'est que tu ne parviens pas à t'adapter. À cette situation, pour commencer. Mais avec toi, c'est d'une manière générale. Tu ne parviens pas à t'adapter, d'une manière générale. Je te le répète. Aussi bien à cette situation qu'à une autre. Tu en es incapable.»

J'ai jeté un œil à la fenêtre pour voir si Wolf ne s'était pas écrasé sur le trottoir. Il m'a adressé un signe de tête pendant qu'il se débarrassait de son harnais. Je m'étais trompé, à propos de pêche à la truite. Wolf m'aurait plutôt entraîné au-dessus des chutes du Niagara ou du Zambèze, en équilibre sur une corde à linge. Décidément, quoi qu'on fasse, il y a des types avec lesquels on ne pourra jamais être copain. Au-dessus d'un gouffre écumant et noir, ou pire encore. Mon avis, c'est qu'il lui manquait une case. Et j'avoue, oui j'avoue que je m'inquiétais encore pour Chris – elle et Marc étaient des sources d'inquiétude dont je n'entrevoyais jamais la fin, sauf que Marc n'était pas tombé entre les mains d'une tête brûlée.

«De quelle situation tu parlais? De quelle autre situation tu parlais?

– J'ai fait mon possible pour ne pas t'enfoncer. J'ai fait mon possible pour ne pas être injuste. J'ai fait le maximum.

– Peut-être. Peut-être que tu as fait le maximum. Tu es du genre à avoir fait tout ce qu'il fallait.

– Tu aurais préféré que nous nous laissions dégringoler ensemble? Tu crois que nous aurions été plus avancés?

– Ça, je ne peux pas te le dire. Je ne suis pas voyant.»

Et patati et patata. Nous avions eu si souvent ce genre de conversation que nous n'en tirions plus grand-chose, tout juste un certain agacement de part et d'autre, et quant à moi une courte grimace de dépit. Mais il fallait bien s'y prêter pour ne pas tout perdre. Enfin moi, il me semble. Moi, je suis un être sensible.

«En tout cas, j'ai dit, je t'ai apporté ton gâteau préféré. Qu'en penses-tu, est-ce qu'on attend Wolf?

– Bien sûr qu'on attend Wolf.

– Très bien. Alors on attend Wolf.»

Il y avait quelques bouteilles d'alcool sur une étagère, mais il y avait aussi les lourdes allusions de Chris concernant ma mauvaise manie – qui n'était plus ce qu'elle était, je tiens à le préciser, qui ne se bornait plus qu'à quelques verres, et encore, pas avant la tombée du soir, je crois qu'il est bon de le rappeler. Le soir tombait. Chris a préféré s'asseoir pour découvrir son gâteau qui se présentait sous forme de rectangle avec une espèce de génoise, de la crème à la vanille genre flan, des fraises entières dont certaines étaient légèrement enrobées de sucre glace, un maximum de fraises, de la Chantilly bien sûr, pas mal de Chantilly, et sur le dessus, sur une dernière couche de génoise imbibée d'un succulent sirop de fruit très faiblement alcoolisé, pour couronner le tout, en sus, on avait un nappage, une très fine nougatine semblable à une dentelle d'or chevauchant sous un soleil d'automne. Elle était folle de ce gâteau. Mais on ne peut pas déménager et emmener tout le quartier avec soi. D'ailleurs, maintenant, elle était obligée de faire des kilomètres pour aller à son marché bio, et se garer en bas de chez elle était un enfer, et c'est vrai qu'on respirait mieux, que le coin avait du charme et qu'il est avantageux d'être en hauteur, au cas où un raz de marée engloutirait les quartiers bas, mais comme je le répétais à Chris: «Tu ne peux pas tout avoir. Désolé, mais il fallait y penser avant. Et voilà. C'est comme ça et tu ne peux rien y faire. Désolé, Chris.»

Elle avait la trace des menottes à ses poignets. Du bleu et du rouge. Sur la vidéo, on la voyait se prendre un coup de matraque sur la tête mais je n'ai pas demandé à examiner son cuir chevelu. Et aussi ce bras brutalement tordu pendant que le flic la plaquait au sol en s'asseyant sur elle.

«Alors, Wolf, voilà où je veux en venir. Moi, ça ne me fait pas rigoler. Si toi ça te fait rigoler, moi ça ne me fait pas rire du tout.

– Elle est assez grande pour savoir ce qu'elle a à faire.

– Et d'où tu sais ça, toi? Où tu as vu qu'elle était assez grande? Ça, c'est la meilleure.

– Nathan, c'est de moi que tu parles? Attends une minute, Wolf, s'il te plaît. C'est de moi que tu parles, Nathan?

– Je suppose que j'ai encore le droit de donner mon avis sur certains sujets, non, tu ne crois pas? Je ne te connais pas, peut-être? Hein? Merde. Ça t'a plu de te faire tabasser? Tu regrettes sans doute qu'ils ne t'aient pas cassé une jambe? T'as envie de passer tes nuits à l'hôpital? Tu veux faire de la prison?

– Si c'est nécessaire. C'est à moi d'en décider. Tu as une objection à faire?»