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J'étais comme un homme qui a marché dans la merde. Les autres m'évitaient. À croire que ma disgrâce en haut lieu pouvait les infecter s'ils s'approchaient de moi. Marie-Jo pensait que j'exagérais mais elle n'était pas à ma place. Des conversations s'éteignaient à mon arrivée, des regards fuyaient, des dos se tournaient. Copiner avec moi n'était plus à l'ordre du jour. Sans compter que ma femme était une militante.

On se demandait si ce n'était pas pour cette raison que j'en voulais tellement à Paul Brennen. Si je n'étais pas un peu contaminé. Si je n'étais pas un rouge, du genre que leurs pères avaient connu. Quelque chose dans ce goût-là. Un type qui voulait démolir la société – mais qui aurait bien pu vouloir démolir une société dont on ne voyait que des décombres?

Et comme les autres se méfiaient aussi de moi, Chris et les autres, comme ça c'était vraiment génial. Où que je sois, le réconfort m'attendait. Je me sentais aimé.

J'envoyais Marie-Jo aux nouvelles pour en savoir un peu plus sur la manif. Je la regardais s'éloigner, dans son pantalon de serge bleue luisant aux fesses, et je commençais à tiquer. Je vous en ai parlé. Je vous ai parlé de ce fameux pique-nique où j'avais découvert qu'elle avait de grosses cuisses. Eh bien, il n'y avait pas que les cuisses. C'était un fait. Rien de très grave, cela dit, mais rien de très rassurant non plus. Une nouvelle épreuve m'attendait-elle?

Au point où j'en étais. Comme si ma vie n'était pas assez compliquée. Pas assez floue. Je multipliais mes étreintes avec Marie-Jo pour conjurer le sort qui aurait voulu nuire à notre relation. Je la prenais au moins une fois par jour, en civil ou en uniforme – je préférais l'uniforme, je lui laissais sa chemise et sa cravate et quelquefois sa casquette. Elle n'en revenait pas. Elle pensait que la chaleur y était pour quelque chose, alors que j'étais engagé dans une bataille qui me rendait enragé. Que je refusais de perdre.

Chez Pat et Annie Oublanski qui nous avaient préparé un barbecue dans leur jardin. Qui nous attendaient pour passer à table alors que Marie-Jo et moi – Marie-Jo qui avait tenté de me dissuader – baisions fébrilement dans leur minuscule petit W-C peint en mauve et décoré comme une maison de poupée.

Chez Rita, sa nouvelle copine, qui nous laissait son appartement. Dans l'arrière-salle du salon de coiffure de Derek, là où ils préparent leurs teintures et font sécher les serviettes – ce qui s'avérait très utile. Dans des ruelles, le soir, en coup de vent. Au commissariat. Dans ma voiture ou dans la sienne. Chez elle. Dans des ascenseurs. Dans des escaliers. Comme si je pensais qu'elle allait s'échapper.

Et de l'autre côté, vous aviez Paula qui se plaignait de ne rien avoir. Qui se lamentait. Qui parfois se masturbait au milieu de la nuit, pensant que je dormais, alors que je sentais le drap qui bougeait dans tous les sens, et que je l'entendais gémir et recueillir de la salive dans sa main.

De bon matin, elle se blottissait contre moi en ronronnant et je restais là à contempler le plafond où s'étalait la lumière du matin, couche après couche, jusqu'au jaune bouton-d'or. Elle préparait le petit déjeuner quand je n'allais pas à la salle et pratiquais ma gymnastique à la maison, ce qui la mettait d'excellente humeur et me rendait sensible au fait d'avoir une femme à la maison. Une personne avec qui échanger quelques mots simples avant que le chaos de la journée ne vous engloutisse.

«Tu ne te rends pas compte, répétait Marc. Franchement, tu me sidères. Trouver mieux, on ne peut pas.

– Vraiment? Tu crois? C'est quand même une responsabilité, tu sais.»

Pour finir, je tondais la pelouse et il taillait la haie.

«Comment tu fais pour ne pas la baiser et l'avoir quand même à tes pieds? J'aimerais que tu m'expliques ça. Et comment tu peux préférer baiser l'autre.

– Marc, tu es marrant. Ça ne s'explique pas. Tu es marrant. Est-ce que je te demande comment tu fais pour baiser Eve?

– C'est pourtant simple. Elle me fait des cadeaux. Et n'oublie pas que je travaille pour elle.

– D'accord, mais épouser une femme et avoir des enfants, est-ce que tu y songes? Parce que, figure-toi que c'est autre chose. N'écoute pas ce qu'on raconte. Mon vieux, épouser une femme, c'est la grande aventure. Je te parle en connaissance de cause.»

Le soir, quand Eve nous emmenait dîner en ville, nous formions deux couples étranges, bizarrement appareillés. Ou encore lorsque nous marchions sur les trottoirs, repoussant les mendiants et les ivrognes, enjambant les restes d'une cabine téléphonique, ignorant les rixes, les tympans vrillés par les sirènes des pompiers ou des ambulances, je me demandais chemin faisant où était l'erreur.

«C'est comme ça, c'est chacun pour soi, me confiait Eve tandis que les deux autres discutaient au bar. C'est une nouvelle époque, mon chéri.

– Et ça ne te contrarie pas. Tu n'en demandes pas plus que ça. Alors toi, il ne te manque rien. Eve, tu en as de la chance.»

De ce côté, c'était plutôt poudre et Champagne que l'on rencontrait. Réfléchissant à ma remarque, Eve s'est empressée de confectionner quelques lignes dont nous nous sommes occupés en vitesse. Elle a eu l'air de se sentir d'attaque.

«Écoute, mon chéri. Je suis riche, je suis en bonne santé et je m'entends bien avec ton frère. Alors qu'est-ce qui pourrait me manquer, d'après toi?»

J'ai frissonné en regardant les gens autour de moi. Nous étions installés dans des cocons d'acier modulables, l'entrée était sévèrement gardée, les platines étaient aux mains d'une fille tatouée que tout le monde s'arrachait depuis deux mois, quelques jeunes actrices étaient déjà saoules, les gars portaient des caleçons de marque, les uns et les autres échangeaient des vacheries, tâchaient de former un cercle autour de leur personne sans repousser l'idée de s'ouvrir les veines s'il fallait en arriver là, et les toilettes étaient bondées, une femme en robe de soirée traversait la salle à quatre pattes, le noir dominait, les visages avaient été soigneusement préparés, des types étaient rasés aux ciseaux, ils allaient faire leur gym dans les palaces, payaient un abonnement de cinq mille euros et les filles bien davantage avec les soins, mais malgré tout, malgré cette impression d'évoluer dans un univers de rêve, dans un monde où le futur, a priori, ne devait pas poser de problèmes, la triste réalité cognait sans relâche à la porte.

La triste réalité était celle-ci:

«Mais est-ce que ça va durer, Eve?»

J'ai levé mon verre en clignant de l'œil en direction de Paula qui me tendait de loin ses lèvres à travers le rideau de ses admirateurs – des types qui se demandaient avec angoisse, en me voyant, si le style beatnik revenait à la mode, m'avait-elle rapporté.

Lorsque j'ai reporté mon attention sur Eve, j'ai failli lâcher mon verre. Elle avait une mine étrange. Elle avait blêmi. Ses lèvres étaient pincées. J'ai pensé qu'à coup sûr, elle venait de repérer un ennemi dans la foule, une autre langue de vipère ou une femme qui portait la même tenue – un tas de loques hors de prix.

«Que quoi va durer? a-t-elle murmuré en baissant les yeux.

– Mais enfin, Eve, ta santé, ta richesse, ton histoire avec Marc, ai-je fait en observant un clone de Britney Spears qui me souriait mais que je remettais difficilement. Eve, tu sais bien de quoi je veux parler.»

Eve était une amie. Je n'allais pas lui raconter d'histoires. Mais je pensais en même temps à cette fille, Britney Spears, m'interrogeant sur les circonstances de notre rencontre qui demeuraient insaisissables. Tout en meublant la conversation: