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Non seulement ça, mais j'avais mes règles. Pau-rais voulu qu'on me laisse tranquille.

Et j'ai vu quoi, là-haut?

Là où une fille de mon gabarit aurait enfoncé la porte d'un coup d'épaule, j'ai crocheté la serrure proprement – que l'autre connasse n'aille pas dire que je ne savais pas vivre.

Et avant tout, j'ai senti cette odeur de jasmin. Qui ressemblait à une muraille invisible.

Je n'avais pas remis les pieds chez Nathan depuis quelque temps et sa nouvelle déco m'a sidérée. Cette fille avait du goût, j'imagine. Et d'honorables moyens – je devais me faire en trois mois de dur et dangereux labeur ce qu'elle récoltait facile en une séance de photos et simplement parce qu'elle avait un beau cul, si bien que je n'avais jamais pu lui offrir davantage qu'une montre, et encore, pas une Rolex.

Je me suis assise sur le lit pour fumer une cigarette, C'était quand même assez douloureux, assez brutal. J'étais quand même très amoureuse de Nathan, ça va sans dire. Mais peut-être étais-je un peu moins bête qu'autrefois, peut-être m'étais-je endurcie un minimum. Peut-être que ce que Franck m'avait fait était sans commune mesure. Je n'en savais rien. J'étais si jeune quand c'est arrivé. Si déglinguée quand je l'avais épousé. Enfin bref. Les draps du lit me brûlaient quand même sous les fesses. Et cette odeur de jasmin. Qui planait autour de moi. Cette invraisemblable odeur de jasmin qui semblait installée là depuis la nuit des temps et qui cherchait à me faire souffrir. Alors que le parfum de Chris ne m'avait jamais posé de problème.

Elle avait de la chance. Elle pouvait laisser traîner ses sous-vêtements, les abandonner sur le dossier d'une chaise sans se poser de questions. Sans en avoir honte. Sans laisser derrière elle des culottes qui iraient à une vache – moi, je les fourrais dans ma poche, bien contente s'il n'avait rien vu. Elle avait bien de la chance.

L'envie de tout casser m'a effleurée. Mais celle de ficher le camp a été la plus forte. Cette déco, c'était comme s'il avait creusé un tunnel sous mes pieds. Même s'il ne couchait pas avec elle. Ce qui restait à prouver – et qui arriverait bien tôt ou tard, d'une manière ou d'une autre. Je me suis levée et je suis allée éteindre ma cigarette dans l'évier de la cuisine. Je me suis aspergé le visage. La pièce était nickel, rangée avec soin. Il y avait des fleurs sur la table et une corbeille de fruits appétissants, des grappes de raisin avec un ruban vert, des poires dont la queue était protégée par une goutte de cire rouge, des machins exotiques dans du papier de soie, des pommes avec une étiquette dorée. Une merveille. Les torchons étaient propres. Les éponges étaient neuves. On aurait dit que cette fille assurait, dans l'ensemble.

Et l'envie de leur tomber dessus? De sortir de la voiture et de les rattraper au moment où ils rentraient? Je venais à peine de retrouver mes esprits, le volant encore serré entre mes mains, quand je les ai vus débarquer. Qu'est-ce que vous en pensez? Avoir une explication sur-le-champ? A chaud, se jeter dans la bataille? Cul sec?

J'ai attendu qu'ils disparaissent à l'intérieur avant de démarrer.

Le plus terrible était qu'il méritait ce genre de fille. On aime ou on n'aime pas, mais c'est plutôt ce qu'on aime, à mon avis. Elle avait de l'allure. Je n'étais pas idiote au point de ne pas m'en apercevoir. Elle lui allait bien. Les voir ensemble était dans la nature des choses. Dans l'ordre naturel des choses. Qui pouvait aller contre ça?

Je ne savais pas très bien dans quel état j'étais. Très malheureuse. Oh ça, on peut le dire. Mais lessivée pour de bon? Il était encore trop tôt pour le savoir. Il y avait une zone sombre que je ne me sentais pas le courage d'explorer. Un grand trou noir. Je m'efforçais de regarder ailleurs.

Devant Derek, j'ai piqué une vraie colère. Nous sommes sortis sur le trottoir et ses clientes me regardaient à travers la vitrine comme si une telle histoire ne leur était jamais arrivée. De taper une crise parce que leur mec les avait trahies. Derek essayait de me calmer. Mais ça me faisait du bien. Je marchais de long en large et je vidais mon sac. J'apostrophais les passants. Je leur demandais si je les avais sonnés. J'ai fait un bras d'honneur à un type qui rigolait dans une Mustang. Pour finir, Derek m'a serrée dans ses bras et j'ai pensé: «Bon Dieu, Derek, c'est pas trop tôt.»

Ensuite, je suis entrée dans une pâtisserie.

En cherchant Rita sur le campus, je suis tombée sur une fille que je voulais interroger mais je n'étais pas sûre que le moment soit bien choisi. J'ai hésité. Je lui ai tourné le dos. J'ai compté jusqu'à cent en fermant les yeux, en m'appuyant contre un arbre qui se trouvait là comme par miracle et m'apportait un peu d'ombre. Ce lieu était hanté. Ce lieu était maudit, si j'y réfléchissais une seconde. Mais j'aimais bien les grilles, d'une manière générale.

Quand j'ai rouvert les yeux, elle était toujours là. Une blonde, avec des petits seins et des chaussures à semelles compensées. Elle s'appelait Hélène Gribitch. J'avais obtenu son nom deux jours plus tôt par un étudiant en chimie qui avait organisé quelques soirées chez lui, des soirées assez chaudes. Avec la fille Brennen dans le coup.

À ce qu'il paraissait, Hélène Gribitch n'avait qu'une idole: Catherine Millet. Elle l'admirait aussi sur le plan littéraire, ce qui était plus grave. Cette Hélène Gribitch. Qui baisait comme une malade.

Je lui ai dit ce que j'en pensais. De Catherine Millet. À savoir, pas grand-chose.

«Je veux bien parler de littérature, mais y a des limites, ai-je déclaré à Hélène Gribitch qui venait de me parler d'une écriture blanche. Ne viens pas me parler d'une écriture blanche quand elle est rose bonbon. T'es daltonienne ou quoi? Tu te laisses encore avoir, à ton âge?»

Nous avons fini à la cafétéria où j'ai commandé un banana split dans un élan suicidaire – je l'ai attaqué avec un sourire grimaçant, devant tout le monde, sous des regards navrés. Pendant ce temps-là, Hélène Gribitch me racontait que baiser avec deux douzaines de types dans la même soirée était une manière de revendiquer sa féminité. Je sentais que j'étais en train d'attraper une insolation.

Puis elle a prononcé un nom.

J'ai levé les yeux sur elle et je lui ai demandé de me le répéter.

Ramon. «Ce type avec une drôle de bite» avait-elle précisé.

«Pas si désagréable que ça, avais-je répliqué. Soyons sincères.» Ce qui l'avait mise en confiance.

D'excitation, j'en avais payé les consos.

Ramon. Après tout ce chemin. Oh yeah. Putain de bordel de Dieu.

«Et je suppose, Hélène, que tu as parlé de Ramon à mon mari?

– Pourquoi? Fallait pas?»

J'ai posé ma main sur celle d'Hélène pour ne pas qu'elle m'échappe et j'ai fermé les yeux. J'ai réfléchi une seconde.

«Et ça donnait quoi, entre Jennifer Brennen et Ramon? Ça se passait comment?»

L'adorable sourire de cette fille, Hélène Gribitch, à cet instant. Je l'aurais encadré.

«Hein, raconte-moi, ma jolie.

– Ça se passait comme ci comme ça, je dirais. Il supportait pas de payer pour la baiser. Ça le fichait en rogne. Mais Jennifer, elle le faisait jamais pour rien. Elle voulait même pas en entendre parler. Et ça, Ramon, ça le rendait malade.»

Je suis allée pisser en vitesse. L'aveuglante lumière du ciel pesait sur ma vessie.

J'ai remis ma carte à Hélène, pour si un jour elle avait des ennuis. J'ai gardé sa main dans la mienne en lui souriant. Au point de la gêner. Je l'ai regardée s'éloigner. Je ressentais presque de l'affection pour elle. Au-dessus d'elle, quelques longs cirrus rosissaient. Ses pieds flottaient sur l'herbe tendre. Je me suis demandé quel plaisir on pouvait éprouver après en avoir baisé seulement un. J'ai failli la rappeler.