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Rita m'appelle pour m'annoncer que des manifestants sont en train de tout casser en bas de chez elle, alors il se pourrait bien qu'elle soit en retard pour ma séance du soir. Je lui fais part de ma détresse. Elle me dit que c'est la faute de Nathan, que je déconne, qu'il me flanque le bourdon. Alors je pique une crise. Je me demande qui va enfin comprendre que je dois absolument retrouver ce chien.

Je me planque dans un arbuste pour pleurer. Je pense à Chris qui ne veut plus le voir, qui l'écarté de sa vie. C'est elle qui a raison. Rita est persuadée que Nathan porte la poisse. Elle m'a déclaré qu'une gouine sentait particulièrement bien ce genre de chose. Je me mouche. Je regarde autour de moi et de voir ce paysage en sucre d'orge, cette lumière apaisante, ces rives tranquilles et silencieuses où se posent des moineaux, je me remets à pleurer comme une Madeleine. Ça ne va pas fort. J'appelle Rex en sanglotant. Son nom s'étire comme de la guimauve dans ma bouche. C'est épouvantable. Je fais: «Beuu, beuuuu» entre deux sanglots. On dirait qu'on m'égorge.

Je vais me flanquer à l'eau, voilà ce que je vais faire. Je m'arrête de pleurer. J'ai froid. Nathan réapparaît. Il s'assoit sur un banc. Il examine l'horizon, les mains enfoncées dans les poches, la tête rentrée dans les épaules. Devinez à qui il me fait penser. Sans compter que l'autre aussi a fini alcoolique.

«Peut-être qu'on va pas le retrouver, il me dit. Peut-être qu'on va pas y arriver, pour finir. Voyons les choses en face.

– Je rentrerai pas sans lui. Je préfère te prévenir.»

On évite de se regarder. On réfléchit en silence.

«Écoute, il me fait. J'aimerais savoir pourquoi c'est si important.»

On en est là. À se demander ce qui est important. Puis on repart.

Je le laisse prendre de l'avance. Je le regarde s'éloigner. J'avance à côté de ses traces. Je crois que dans ma vie, je n'ai rencontré que des gens qui n'ont pas eu ce qu'ils voulaient et qui se sont usés, ou qui sont en train de le faire. Mais c'est la majorite, non? Ça doit être plus facile d'être un canard. La famille canard amorce une large courbe puis fait route dans l'autre sens. Mais celui qui est en tête, est-ce qu'il sait où il va? Est-ce qu'il sait qu'il entraîne les autres?

Le sentier monte un peu. Je fatigue beaucoup. J'ai de moins en moins de souffle. Je n'ai que trente-trois ans, pourtant. Encore un truc qui m'angoisse, pour des tas de raisons, Je fais une halte. Il faut que je reprenne ma respiration.

Je suis éblouie par le lac. Je ne vois même plus l'autre rive. J'entends son clapotis. C'est l'heure où les corbeaux croassent. Il ne manque plus que les grenouilles. Il est encore trop tôt pour les criquets.

J'y vais ou j'y vais pas? Je me pose la question Au fond, je suis contente d'avoir cette possibilité Ça m'enlève un poids, tout à coup. Rex peut bien filer jusqu'en terre Adélie, je suis libre d'annuler le jeu à tout moment. Je peux donner un bon coup de frein. Du moins en ce qui me concerne.

Je suis sûre qu'elle doit être glacée. C'est la seule chose qui me retient. J'étais plus courageuse quand j'étais une petite fille. Mon père et moi, on se baignait dans des rivières, on se baignait dans des torrents de montagne avant que ça dégénère.

Puis je me décide. Je prends mon élan, J'y vais tout droit. Je passe entre deux buissons, je baisse la tête, je retiens mon souffle en dévalant une pente à dix pour cent que j'aurais préférée plus rapide, Puis je bascule à la flotte. Je suis propulsée de mon fauteuil comme d'un siège éjectable.

Je suis électrisée. Dès que je sors la tête de l'eau, je pousse un cri de douleur. Autour de moi, l'eau est toute noire. Il y a une seconde, elle était dorée. En m'agitant, je me tourne sur le dos. Mes jambes descendent vers le fond. Elles sont pressées d'en finir.

Et voilà que je pleure de nouveau. Que je me mets à couiner des mots incompréhensibles en faisant la planche. Je m'éloigne du bord en m'aidant de mes deux bras puissants parce que personne ne peut plus m'aider et j'en ai le cœur bousillé. Je vois mes jambes qui remontent à la surface, qui flottent à ma suite comme des rubans sous-marins. Je m'aperçois que je suis en chaussons.

Je vais tenir combien de temps? Je vais mettre combien de temps à disparaître? Quand je n'en pourrai plus. Quand je serai épuisée. Je suis épuisée. Entre mes larmes, je distingue un ciel indifférent, d'une platitude infinie malgré ses langues de feu, ses profondeurs violacées, ses pastels, sa transparence poudreuse. D'une beauté ridicule.

Puis je vois Nathan qui surgit des broussailles, sur une éminence qui surplombe le lac. Les buissons scintillent autour de lui.

Quand il me repère, je lui crie: «Va-t'en. Laisse-moi tranquille. Fous le camp.»

Mais il se précipite pour délacer ses chaussures.

Je suis au désespoir. Je veux pas le croire.

Je crie: «Arrête de faire le con. J'en ai marre.»

Je suis repartie dans mes sanglots. Je me laisserais bien couler mais ça ne changerait rien. Je suis maudite.

Il défait son pantalon, il défait son blouson. Je sens mon visage tordu par une affreuse grimace. Je couine.

Et au moment où il va se mettre à plonger, je murmure: «Ne fais pas ça. Je t'en supplie Nathan, ne fais pas ça.»

Alors il s'arrête, comme s'il m'avait entendue. Il hésite. Je sens son regard posé sur moi. Je fais «Beu, beuuu», comme si j'étais un veau perdu dans un pré. Il hésite. Je murmure: «Ne fais pas ça, Nathan. Ne recommence pas

NATHAN

Je me suis réveillé tard, après les événements de la veille. Le corps endolori et la tête pleine d'images repoussantes. Paula était déjà levée, je l'entendais dans la cuisine, ou plutôt, j'entendais la bouilloire siffler. Je me suis levé, mais elle l'avait oubliée sur le feu que j'ai aussitôt éteint avant de me diriger vers la salle de bains. Où elle prenait un bain. Sauf que la baignoire était vide.

Elle a ouvert les yeux au moment où je posais le pied dans le bac à douche.

«Je te remercie pour le jus d'orange», m'a-t-elle fait d'une voix pâteuse.

J'ai ouvert le robinet d'eau froide et j'ai pris ma douche. J'avais le corps couvert d'ecchymoses. Ouille, ouille. Putain. Je me suis servi d'un savon à cinquante euros pour me frictionner et d'un shampoing que l'on ne trouve que dans les magasins de beauté, au rayon pur luxe. J'avais dû rajouter une longue étagère, rien que pour ses produits, et lui attribuer le petit meuble à roulettes. Je l'avais fait sans discutailler, sans ciller une seule minute. Je n'avais pas à la juger.

En sortant, je me suis enroulé dans une superbe serviette-éponge, rouge cramoisi – les siennes étaient blanches, d'un blanc éclatant. Je me suis inspecté dans la glace.

«Excuse-moi d'avoir tout bu, j'ai déclaré. Mais tu vas comprendre: Marie-Jo est entre la vie et la mort.»

Elle a mollement agité un bras par-dessus le rebord:

«Oh merde, elle a soupiré. Oh non. Merde. Oh là là.

– Je sais que ce n'est pas une excuse, mais j'étais dans un état second, hier soir. Comme tu peux l'imaginer. Je sais que tu me l'as demandé, mais ça m'est sorti de la tête. J'avais besoin de jus d'orange. Tu sais, j'en aurais bu des litres. Mais dis-moi, Paula, tu ne travailles donc pas, aujourd'hui?»

Elle n'en savait trop rien. Je suis allé faire ma gymnastique dans le salon, devant la fenêtre ouverte. En me penchant, j'ai pu jeter un œil dans la chambre de Marc et je l'ai vu qui était en train de baiser avec Eve. Alors qu'il n'était pas loin de midi. Et on dira que j'ai tort de m'inquiéter pour lui. Quand on voit comme le temps passe vite. Quand on voit comme la jeunesse est courte. Je le lui répète sans arrêt. Je lui dis: «Okay, c'est ta patronne, je suis au courant, mais est-ce que c'est pas un peu cher payé? Est-ce que c'est pas trop, dis-moi? Est-ce que des fois, tu n'aurais pas un problème? Parce que moi, je crois que tu en as un. Je rigole pas. Je crois que tu as un sérieux problème, figure-toi.»