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Je n'ai pas insisté. Elle ne connaissait Wolf que depuis quelques mois et ils n'étaient en ménage que depuis quelques semaines, mais elle lui vouait déjà une confiance aveugle. J'ai ricané dans mon coin pendant qu'elle s'indignait, que ses joues s'empourpraient. Wolf n'était pas comme ça. Ah bon? Et il était comment? Enfin, bref. Je n'étais pas là pour me mêler de leurs oignons.

J'ai soupiré et je lui ai dit: «Okay. Okay. Okay.»

Je lui ai conseillé d'aller dormir un peu en attendant mon retour. Elle a voulu m'accompagner, mais je lui ai dit non, car là où j'allais, on n'aimait pas les communistes.

J'ai demandé à José de venir pour qu'elle lui donne un somnifère et reste auprès d'elle jusqu'à ce qu'elle soit endormie.

Chris nous a fait chier pendant un moment, sous prétexte qu'elle refusait d'avaler des produits chimiques et j'ai dû lui mettre le marché en main, à savoir que je ne bougerais pas d'ici tant qu'elle refuserait de le prendre, pour qu'elle le prenne. L'ensoleillement de la rue était à son maximum mais les persiennes étaient tirées, ce qui tendait des baguettes lumineuses sur les murs et les personnes présentes: à savoir Chris, qui avalait sa pilule avec une grimace et un râle d'agonisante, José, qui la félicitait, à poil sous son peignoir qui pendouillait contre ses hanches rebondies, et moi-même. Votre serviteur. Qui avait peut-être dormi quelques heures, et encore, ballonné par le jus d'orange et réveillé par des aigreurs, mais qui en avait plein les bottes également, votre serviteur, qui se serait bien accordé un jour de repos dans une campagne perdue ou même seul dans sa chambre avec de la bonne musique et des écouteurs sur le crâne tandis que le soleil effectuait une révolution complète.

José me faisait signe qu'elle craignait le pire, elle aussi.

«On a affaire à des sadiques» n'a-t-elle pu s'empêcher de grogner entre ses dents, ce qui a rendu l'ambiance encore plus pesante. D'autant que la maison était silencieuse, sans doute pleine de plaies et de bosses, de côtes douloureuses, de mâchoires endolories, de rêves malmenés. Eh oui. Le monde était ainsi fait. Le monde allait de mal en pis.

«À cause de gars du genre de Paul Brennen, a-t-elle repris alors que nous sortions de la chambre où Chris était en train de se coucher en ronchonnant. A cause d'ordures comme ce type-là. Des Paul Brennen.»

Je lui ai dit que j'étais d'accord. Et même, personnellement, je le tenais pour responsable de ce qui était arrivé à Marie-Jo. Ramon ou pas Ramon. J'ai dit à José qu'un gars tel que lui ne méritait pas de vivre.

Elle m'a complètement approuvé. Elle a ajouté qu'elle en profitait pour me dire qu'elle m'avait trouvé génial, hier, quand j'avais presque à moi seul alimenté le grand feu qu'on avait allumé devant chez lui, J'avais été vraiment génial.

Elle m'a servi un coca dans la pénombre.

J'avais remarqué depuis longtemps qu'elle était bien faite. Je pouvais le vérifier pendant qu'elle feignait de regarder ailleurs. Je l'avais tirée d'une chaise longue, au soleil, et sa peau luisait d'huile solaire. J'ai souri intérieurement devant la grossièreté du piège que l'on tendait devant moi. Comme si je pouvais être aussi stupide.

«Tu sais que tu as été formidable?» a-t-elle précisé en s'approchant de moi.

Chris ne m'avait fait aucune déclaration à ce sujet. Alors que j'aurais recueilli un simple remerciement avec plaisir. Mais c'est comme ça.

Tandis que José a glissé sa main dans ma nuque et m'a embrassé sur la bouche.

Je n'en demandais pas tant à Chris.

José m'a dit que j'étais le premier flic qu'elle embrassait et qu'elle avait toujours pensé que ce serait la dernière chose au monde dont elle serait capable.

«Je te comprends très bien, ai-je acquiescé.

– J'avais à peine quatorze ans quand un flic m'a ouvert le crâne. Ça se passait à Brixton, au sud de Londres. Une sacrée bataille. Je crois même que je portais encore des nattes.»

Je l'ai observée en hochant la tête et je lui ai demandé de garder un œil sur Chris jusqu'à mon retour. Pour le reste, je n'ai pas trouvé de mots, je lui ai adressé un geste vague, accompagné d'un sourire amical.

Elle m'a répondu: «Ne t'en fais pas. Rien ne presse.» Voilà une fille qui savait prendre son temps. Et elles sont rares.

Le soir tombait quand j'ai pu constater que Wolf était bel et bien mort. J'étais à la morgue. Je l'ai vu. Après qu'on m'eut fait courir dans tous les sens durant tout l'après-midi, avec des airs soupçonneux, en traînant des pieds, en me faisant poireauter, en me mettant des bâtons dans les roues, en grinçant des dents, pour enfin me retrouver à la morgue.

J'étais penché au-dessus de Wolf – un Wolf poussiéreux, ensanglanté, comme s'il avait dévalé une colline, en moins exagéré – et de l'autre côté, en face de moi, il y avait un Noir en blouse blanche.

Il pensait que j'étais de la famille. «Ils appellent ça un arrêt cardiaque», qu'il me fait.

Wolf. Ça me fichait un drôle de coup, pour être honnête. Je n'avais jamais voulu ça.

«Pour sûr, que c'est un arrêt cardiaque, a repris l'autre en ricanant. C'est pas la grippe.»

Je lui ai dit qu'il n'était pas obligé de me croire, mais qu'ils envoyaient des clones à présent. «Les clones, c'est comme des bêtes», ai-je lâché avec une grimace.

Ça ne l'étonnait pas. Il pensait que les Blancs étaient dégénérés.

Il était au courant des razzias que la police avait effectuées dans les hôpitaux après la manif.

«Ne m'en parlez pas», j'ai soupiré.

Trois macchabées, dont Wolf, étaient arrivés directement de l'hôpital – après une halte dans les sous-sols d'une caserne où on leur apprenait à vivre. J'ai levé les yeux au ciel, la gorge serrée.

«Ils ont un quota, m'a-t-il expliqué. Mais faut pas qu'ils le dépassent.

– Non, cette histoire de quota, c'est des blagues.

– C'est pas des blagues.»

On s'est regardés.

Qu'est-ce que j'en savais, au fond? Je considérais le beau visage viril de Wolf, salement amoché, les muscles de ses pectoraux qui saillaient sous son tee-shirt maculé, ses bras d'athlète, ses jambes de sportif, et j'en étais malade, sincèrement. Il lui manquait une chaussure, par-dessus le marché, ce qui rendait le spectacle particulièrement atroce. Deux traînées de sang séché sortaient de son nez. Qu'est-ce que j'en savais s'ils ne se fixaient pas un quota? Qu'est-ce qui pouvait encore nous surprendre, ici-bas?

En quittant la morgue, je me suis senti obligé d'aller donner de mes nouvelles à Francis Fenwick avant que mes affaires ne se gâtent. J'avais plusieurs messages sur mon portable et j'étais certain que la moitié d'entre eux provenait de mon supérieur – mais je n'avais envie d'écouter ni les uns ni les autres. Même pas la radio. J'ai rongé mon frein dans les embouteillages qui paralysaient toute la ville, avec ces cons de banlieusards qui rentraient chez eux et venaient vous raconter le bonheur de vivre à la campagne et pas dans cette stupide ville de merde. Malheureusement, je devais garder ma vitre ouverte car ma clim était en panne. L'air empestait. Les visages luisaient comme si on les avait léchés. J'avais envie de me boucher le nez. J'avais également envie de me boucher les yeux et les oreilles. Mais je n'avais que deux mains.

J'ai examiné les photos et je les ai reposées sur son bureau.

«J'étais là pour la surveiller, j'ai déclaré. Je ne fais pas de politique.»

J'ai regardé Francis Fenwick droit dans les yeux.

«Croyez-moi, j'ai ajouté. Je n'ai rien à me reprocher.

– Qu'est-ce que je vais faire de toi? Tu veux me le dire?»

Il était d'un calme étonnant. Il portait une cravate aux couleurs agréables et restait assis derrière son bureau au lieu de me tourner autour comme il en avait l'habitude.

«Je ne savais pas que c'était votre anniversaire, j'ai déclaré. Personne ne m'a rien dit.»