C’est dans le contexte militaire qu’est apparue notre expression. La brèche constituait le point faible d’une ligne de défense. Les soldats sur la brèche étaient en première ligne, dans le feu de l’action puis, dans un emploi déjà plus abstrait, « toujours prêts au combat », prompts à s’engouffrer dans la brèche, formule qui s’employait naguère pour « profiter d’un précédent ». De même, battre en brèche signifiait à l’origine « attaquer la muraille, le front ». De nos jours, on bat en brèche les arguments de quelqu’un. Avec le même genre de métaphore, on peut aujourd’hui monter au créneau.
Le mot brèche est plus connu dans ses emplois figurés que dans son sens concret. Mais les expressions d’origine militaire passées dans le langage courant suggèrent sagement que, même en temps de paix, l’existence est un combat.
« Je me suis interdit toute carrière dans les lettres ; c’est un métier accablant, on est sur la brèche jusqu’au dernier soupir. »
Marcher sur les brisées de quelqu’un
Quand on dit qu’on marche sur les platebandes de quelqu’un, l’image est claire : le domaine sur lequel on empiète est représenté par une bande de terre cultivée qu’on pourrait saccager en la piétinant. Si l’on dit, dans un registre moins familier, que l’on marche sur ses brisées, l’origine de l’expression garde son mystère.
C’est au fond des forêts que se trouve l’explication. Les brisées sont des branches que l’on rompt pour servir de repère, notamment lors d’une chasse à courre. Le veneur brise des rameaux, qu’il laisse pendre (briser haut) ou dispose à terre (briser bas), bien en évidence, pour marquer l’endroit où le gibier est passé et indiquer sa voie. Respectant un code séculaire, il balise le chemin de brisées, tel le Petit Poucet semant ses cailloux. Il faut prendre garde à la direction des petites branches, le bout rompu indiquant le côté par lequel la bête est entrée. Le mot s’était illustré au figuré : suivre les brisées de quelqu’un signifiait « suivre son exemple », comme on suit la trace du chasseur qui vous a mis sur la voie*.
Il faut conserver une certaine distance pour éviter les collisions. Si l’on imite quelqu’un au point de lui faire concurrence, on devient un rival sur son terrain. C’est ce que signifie marcher (ou aller) sur les brisées : métaphoriquement « poursuivre le même gibier qu’un autre ». Pour filer la métaphore cynégétique, il ne s’agit pas de courir deux lièvres à la fois : il n’y a qu’un lièvre pour deux chasseurs. Situation inconfortable, mais brisons-là, pour éviter toute querelle !
brisées
[ bʀize ] nom féminin pluriel
ÉTYM. XIIIe ♦ de briser
■ VÉN. Branches que le veneur rompt (sans les détacher de l’arbre) pour marquer la voie de la bête. […]
Faire l’école buissonnière
D’un enfant qui manque la classe en cachette de ses parents, pour se livrer à d’autres occupations plus plaisantes, on dit qu’il fait l’école buissonnière, en l’absence de tout buisson.
Manière bucolique, un peu désuète, de désigner ce que l’on nomme administrativement absentéisme, prélude au terrible décrochage scolaire, cette école buissonnière est plus positive. C’est un espace de liberté et de provocation potache, associé aux joies de la camaraderie. Elle renvoie aux expériences de tous ceux qui « sèchent les cours » pour faire autre chose et pouvoir nourrir leur créativité, comme le héros des 400 Coups et François Truffaut lui-même, qui en profitait pour aller au cinéma.
Dans son Dictionnaire, Furetière cite une hypothèse amusante : « l’école est appelée buissonnière, lorsqu’on la fréquente si peu, que les ronces et les buissons y naissent ». Pour d’autres, les écoles buissonnières étaient des écoles clandestines tenues dans les campagnes par des luthériens qui ne pouvaient pas enseigner publiquement leur dogme. Quoi qu’il en soit, buissonnière, dérivé de buisson, évoque la nature plutôt que la salle de classe. De là l’idée de vaquer à des activités extérieures, d’aller à la découverte du monde, au lieu de se plier au cadre scolaire et à son espace restreint.
Loin des sentiers battus, les chemins de traverse qui permettent de battre les buissons sont comme une école hors les murs. On comprend mieux que le cinéaste jean-Paul Le Chanois ait intitulé L’École buissonnière un film consacré à la pédagogie alternative développée par Célestin Freinet, les buissons symbolisant l’ouverture de l’école sur le monde.
« De toutes les écoles que j’ai fréquentées, c’est l’école buissonnière qui m’a paru la meilleure et dont j’ai le mieux profité. Il n’est tel que de muser, ô mes amis. On y gagne toujours quelque chose. »
C
Renvoyer quelque chose aux calendes grecques
On va remettre ça aux calendes, dit-on parfois, comme si les calendes étaient une date fictive, indéterminée, jamais atteinte. Pourtant, nous connaissons tous le calendrier qui, avant de nommer le système de division du temps, fut un simple livre de dates futures à mémoriser : rendez-vous, délais à ne pas dépasser, obligations fixées…
Ce calendrier des Romains, le calendarium, était « calé » (mais c’est un autre mot) sur les calendæ, les calendes. Celles-ci désignaient le premier jour de chaque mois, jour d’échéances des dettes dans l’Antiquité latine. On dira en français le terme, mais on le place à la fin du mois ou du trimestre. C’était à Rome, et calendes, en français, sous-entendait romaines.
Or, au XVIe siècle, on se mit au grec avec passion et les ignorants mélangèrent quelque peu les références romaines et hellènes. Parler de calendes grecques, confusion grossière, revenait à confondre Rome et Athènes. Et puisqu’il n’avait jamais été question de calendes au pays de Socrate, les calendes grecques devinrent une expression d’érudits se moquant de l’ignorance commune, et signifia « jamais ».