C’est pourquoi il vaut mieux ne pas omettre l’adjectif grec quand on veut enterrer un projet, car le remettre aux calendes, si elles étaient normalement romaines, ce serait en fixer la date au premier jour du mois suivant. Dans notre calendrier, mieux vaut repousser à la saint-glinglin ou à la semaine des quatre jeudis !
« L’arrêt [le jugement] sera donné ès [aux] prochaines calendes grecques, c’est-à-dire jamais. »
Être d’un age canonique
On emploie souvent l’adjectif canonique pour qualifier l’âge d’une personne dont on n’oserait dire trop franchement qu’elle est vieille. Aussi ne parle-t-on jamais d’âge canonique quand on parle d’un canon de beauté, plus souvent associé à la fraîcheur de la jeunesse.
Pourtant l’origine de ces deux mots est la même. L’adjectif latin canonicus, qui signifie « conforme aux règles », vient du grec kanonikos, « relatif aux normes », dérivé de kânon, qui désigne à l’origine une baguette droite, souvent en jonc (kanna, qui a aussi donné canne), qui pouvait servir de règle. Le sens figuré est devenu métaphorique : de la règle objet rectiligne, on est passé à la règle en tant que norme à respecter.
Le canon de beauté correspond aux normes esthétiques de chaque époque. En revanche, le rapport avec l’âge canonique est moins évident. Ici, l’adjectif signifie précisément « conforme aux canons de l’Église » : l’âge canonique, c’était l’âge requis pour exercer certaines fonctions dans l’Église, notamment celle de domestique féminin. La bonne du curé ne devait pas tenter son employeur et le faire déroger à la règle du célibat. On décida (c’était du droit canon) qu’elle aurait au moins quarante ans, âge de la maturité, au-delà duquel les plaisirs de la chair étaient, en ces temps éloignés où la vie était brève, moins tentants.
Heureusement, aujourd’hui, on peut être canon jusqu’à un âge avancé, et l’expression âge canonique est le plus souvent employée pour parler d’une personne très âgée, sans plus de prêtre à tenter.
Avoir un âge canonique c’est avoir un âge où l’on se sent beau et bien dans sa peau. Où les canons de la beauté extérieure et intérieure sont en osmose parfaite. C’est être épanoui, voire épanouix pour ceux qui ont un âge canonix…
Parler à la cantonade
Où est-elle, cette cantonade ? Nous savons par l’usage que l’expression signifie « parler tout haut », sans interlocuteur précis ou visible. Le mot cantonade est devenu obscur. Pourtant, ces cantonades existent toujours, mais elles ont perdu leur nom.
Venu au XVe siècle du provençal cantonada « angle », le mot désigne d’abord un « petit coin », coin de maison ou coin de rue. Le mot a la même origine que canton, qui, avant de désigner une division administrative ou politique, avait lui-même le sens de « coin, quartier ». De ce petit coin nous reste également le verbe (se) cantonner : demeurer dans un même endroit limité.
Le mot s’est spécialisé à la fin du XVIIe siècle dans la langue du théâtre : située sur les côtés de la scène, la cantonade fut l’endroit où les spectateurs les plus aisés pouvaient s’asseoir pour assister au spectacle en privilégiés. Avec l’évolution de la société et de la mise en scène, l’endroit, invisible de la salle, servit à ranger des décors ou des costumes. La cantonade fut une sorte d’annexe des coulisses, quand les spectateurs furent conviés à regagner le parterre et les balcons. À la cantonade est alors une indication scénique demandant au comédien de parler en direction des coulisses pour s’adresser à un personnage absent de scène.
Puis l’expression s’est émancipée du contexte théâtral : elle fait référence à une parole prononcée tout haut, qui ne semble destinée à personne, mais qui, comme pour le public de jadis, s’adresse en réalité à tout le monde. Et même si nos contemporains s’égosillent sur leurs téléphones portables, on ne dira pas qu’ils parlent à la cantonade, puisque, lorsqu’ils sont sains d’esprit, on suppose qu’ils ont un interlocuteur.
« La patronne du café parut à la porte de l’arrière-salle réservée aux réunions, et cria, à la cantonade : “On demande Thibault au téléphone”. »
De pied en cap
La formule de pied en cap est victime d’une erreur fréquente : certains écrivent cap comme son homonyme cape, le vêtement sans manche qui enveloppe le corps et les bras. Il faut dire, à leur décharge, que le cap de l’expression n’est plus compris.
Cap « tête » vient, par l’intermédiaire du provençal, du latin caput, capitis, de même sens, qui a enrichi notre vocabulaire : décapiter fait perdre la tête, le capitaine est à la tête, la peine capitale coûte la tête, celui qui est précipité tombe la tête en avant, le vin capiteux monte à la tête. On disait se trouver cap à cap avec quelqu’un lorsqu’on le rencontrait en tête à tête. De pied en cap, c’est donc tout simplement « des pieds à la tête », puis « complètement ».
En ce sens, le mot n’a pas fait fortune : la langue lui a préféré chef (également issu du latin caput), qui fut lui-même évincé par tête et dont il ne reste que quelques vestiges en ce sens, couvre-chef ou branler du chef. Cap s’est en revanche implanté dans les domaines géographiques et maritimes : depuis la fin du XIVe siècle, on l’emploie pour désigner une pointe de terre qui s’avance dans la mer puis la direction d’un navire, avec les divers emplois figurés qui en découlent, comme garder le cap.
L’expression de pied en cap est tout ce qui reste du sens originel de cap. Et même si les deux mots n’ont rien à voir, rien de tel que s’enrouler dans une cape pour se couvrir des babouches au tarbouche, comme on dit au Liban.
Les mots de cette expression ont été inversés à la suite d’une erreur de retranscription. Le typographe avait mauvais caractère. Bien connue des cinéphiles, elle désigne un genre cinématographique particulier. Jean Marais, Gérard Depardieu font partie de ces héros de films « de cap et des pieds ».