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La seconde hypothèse est en rapport avec le chat. Furetière l’évoque, indiquant que en catimini signifie « d’une manière cachée et tout doucement, comme vont les chats pour attraper les souris ». Catimini serait composé du picard cate « chatte » et de mini, rattaché à une racine gallo-romane min désignant le chat. La formation de ce « chat-chat » est similaire à celle de chattemite, mite signifiant aussi « chat ». Les noms familiers minet, minou, mimi, mimine et mistigri seraient donc de même origine et nous retrouvons mite dans marmite qui, avant d’être un nom, était un adjectif équivalent de hypocrite. Le nom de ce surprenant double chat n’est pas un cas isolé ; l’alliance du chat et de la fouine a donné chafouin, et le « chat léopard » n’est autre que le guépard, pour qui connaît l’italien.

Qu’il s’agisse de l’invisibilité sociale des règles, de la sournoiserie du chat ou de sa discrétion, il est question de secret. Dans quelques siècles, qui sait, on dira peut-être partir en ragnagnas et plus personne ne saisira l’origine de l’expression.

À titre d’exemple

« Le lendemain il disait incidemment qu’en réalité il était rentré de bonne heure, en catimini, par la porte de service. »

Louis Aragon, Les Cloches de Bâte, 1934.

Peau de chagrin

bien matériel ou moral qui s’amenuise

C’est certes chagrinant, de voir se réduire peu à peu à néant ce à quoi l’on tient. Les gros chagrins ne sont pas réservés aux enfants, qui ne sont pas encore lecteurs de la fantastique histoire racontée par l’un des plus grands romanciers français, Honoré de Balzac.

Ce chagrin n’a rien de triste puisqu’il désignait une peau, un beau cuir grenu de mouton, de chèvre ou d’équidés, qui servait à faire des reliures. C’est une prononciation fautive d’un sagrin venu de Turquie au XVIe siècle, sans doute influencée par le chagrin qui désole, venu lui d’un ancien verbe grigner exprimant une grimace de colère ou de douleur.

Les maroquiniers et les relieurs employaient ce chagrin bien tanné et préparé, sans se douter que Balzac allait écrire un roman si frappant qu’on parla, après lui, de peau de chagrin a propos de la fatalité qui fait diminuer puis disparaître les jours, les beaux sentiments et les illusions.

Paru en 1831, La Peau de chagrin est un récit assez sinistre dans lequel Raphaël de Valentin, ruiné, acquiert chez un antiquaire une peau de chagrin magique. Ce talisman, image du temps à vivre, satisfait toutes les passions du jeune homme, mais à chaque désir assouvi la peau se réduit jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien, et Raphaël meurt.

Par l’opération du génie balzacien, le chagrin des belles reliures s’est réfugié dans une expression où notre peau, plutôt qu’un cuir animal, vient rejoindre les peines de la condition humaine. Sauver sa peau est le remède provisoire à la peau de chagrin qui tant nous chagrine.

À titre d’exemple

« Cette envie, au lieu d’essayer de lui donner satisfaction, je restais à la contempler qui peu à peu se ratatinait et finalement disparaissait, comme la fameuse peau de chagrin. »

Samuel Beckett, Molloy, 1951.

Battre la chamade

battre à grands coups, en partant du cœur, sous l’emprise d’une émotion

Le vocabulaire militaire sert habilement, et depuis longtemps, le langage amoureux : on se souvient de Cupidon, ce méchant angelot, qui transperce le cœur des amants de ses flèches acérées. Poètes et romanciers racontent depuis des siècles les histoires d’amour dans lesquelles un amant tente de conquérir sa belle, en fait le siège et, après de nombreux assauts, parvient enfin à la posséder.

Depuis le XIXe siècle, battre la chamade ne concerne plus que les battements affolés du cœur, notamment quand celui-ci est submergé par une émotion trop forte, une de celles que l’amour sait provoquer. Pourtant, cette expression a relevé du langage militaire : chamade, substantif emprunté à l’italien ciamada qui signifie « appel, clameur », désignait l’appel de trompettes et surtout la batterie de tambours par lesquels des assiégés informaient les assaillants de leur reddition. Battre la chamade, ce n’est pas battre le rappel : il ne s’agit pas de se retirer dans le calme et avec ordre, au rythme d’un tambour régulier, mais d’annoncer à la hâte la capitulation.

Le tambour bat avec la même terreur panique que le cœur des soldats en déroute. Surtout, cet organe vital, emmuré dans la cage thoracique, est considéré comme le siège des émotions. Assailli par des sentiments violents et contraires, il n’a d’autres armes que de faire entendre cette clameur primaire. Ce « cri du cœur » assiégé, Gautier l’évoque parfaitement dans Le Capitaine Fracasse : « son pauvre petit cœur se mit à battre la chamade dans la forteresse de son corsage ».

Aujourd’hui, à l’heure où les armées n’usent plus ni de trompettes ni de tambours, seuls les cœurs terrassés continuent de battre la chamade, dans un silence assourdissant.

À titre d’exemple

« Mon cœur se met à battre la chamade tout seul, mes pieds et mes mains se glacent et la peur me paralyse. »

Nancy Huston, Lignes de faille, 2006.

Manger, bouffer comme un chancre

manger avec excès, avec voracité

Se gaver, s’empiffrer, s’en mettre plein la panse : lorsqu’elle passe à table, notre langue ne mâche pas ses mots — pas plus que ce chancre qui engloutit tout ce qui se trouve dans son assiette. À imaginer la scène, on frise l’indigestion. Quant à savoir ce que chancre veut dire, on hésite, on reste sur sa faim…

Voilà pourtant une expression qui n’a pas mis ses œufs dans le même panier, son origine ouvrant deux pistes différentes. Dans la première, chancre remonterait au latin vulgaire cancrus, du latin classique cancer « écrevisse, crabe ». Apparu sous la forme cancre, c’est ce même crabe, à la démarche lente et indirecte, qui a servi à nommer clans l’argot scolaire l’élève nul. Cancrus désigna d’abord un ulcère ayant tendance à ronger les parties environnantes puis une ulcération cutanée. Les arbres aussi peuvent être rongés par ce chancre, qui forme de larges plaies sur le tronc. L’expression, apparue au XVIIIe siècle, correspond à un sens figuré du mot, celui qui mange comme un chancre étant celui qui « dévore ».