L’autre origine de l’expression serait due à une déformation d’une ancienne comparaison. Être gras comme un chantre, boire comme un chantre, se disait à l’époque où les églises employaient des chantres (des « chanteurs ») pour officier lors des cérémonies et des offices religieux. Comme les moines et les chanoines, ces derniers avaient la réputation d’être de sacrés bons vivants…
Même si cette origine est fausse, on peut la préférer à celle qui évoque les crabes et, pire, les ulcères et les cancers. L’image du moine chanteur à grosse bedaine est beaucoup plus sympathique !
chancre
[ ʃɑ̃kʀ ] nom masculin
ÉTYM. XIIIe ♦ latin cancer « ulcère » → cancer
1. MÉD. VIEUX Petit ulcère ayant tendance à ronger les parties environnantes. […]
Donner le change à quelqu’un
Quand quelqu’un donne le change, ce n’est ni pour vous rendre la monnaie ni pour vous tendre des vêtements de rechange. Donner le change est un acte de faussaire, de comédien, une de ces petites impostures qu’on s’autorise pour cacher la réalité. Le héros de La Pharisienne de François Mauriac confesse que « pour leur donner le change, j’avais marché vite, je séchais mes pleurs, je reprenais souffle, et composais mon visage. »
L’expression est ancienne et ne dérive pas, comme on pourrait l’imaginer, du sens monétaire de change. C’est au fond des forêts qu’il faut aller chercher son origine, au cours des longues chasses à courre qu’affectionnaient les seigneurs féodaux.
Le cerf qu’on a levé, traqué avec une meute de chiens courants, s’avérant plus malin qu’un renard, réussissait parfois à égarer ses poursuivants en les détournant vers un congénère. Un autre cerf est lancé, et l’on dit que l’habile fuyard a donné le change aux chiens, en les lançant sur une fausse piste. Ce change est un échange, la substitution de la bête, et change se disait de la bête changée elle-même. On pouvait aussi intentionnellement prendre le change ou tourner le change, c’est-à-dire renoncer à une bête lancée pour une autre moins rusée.
La référence à la vénerie n’est plus comprise aujourd’hui. Donner le change, expression de roublardise, a fini par berner la langue elle-même, qui a depuis longtemps oublié quel gibier elle courait.
« Avec mes lunettes de lecture sur le nez, je sentais que je donnais le change. Avec un bouquin sur les genoux, je créais l’illusion.
Avoir voix au chapitre
Cette expression nous plonge dans l’embarras. Quel lien établir entre la voix qui suggère un discours oral et l’écrit que suppose la division en chapitres ?
Chapitre vient du latin capitulum, « petite tête (caput) », métaphoriquement « ce qui coiffe », qu’il s’agisse d’un chapiteau en architecture ou d’un titre de loi. De là vient l’unité de division d’un livre, que nous connaissons aujourd’hui.
C’est bien ce sens qui fait le lien. Du chapitre ou de la partie de la règle lus devant l’assemblée de moines ou de chanoines réunis pour écouter les Saintes Écritures, le mot chapitre désigna le lieu où se réunissaient les ecclésiastiques, également appelé salle capitulaire, puis ceux qui y siégeaient, l’assemblée des chanoines. On convoquait le chapitre pour discuter des affaires du monastère ou régler les questions de discipline. C’était l’occasion de réprimander publiquement le moinillon fautif, de le chapitrer.
Les religieux n’étaient pas égaux, et tous n’avaient pas les mêmes droits. Pouvaient participer aux délibérations et aux prises de décision les clercs de rang supérieur, souvent issus de familles aisées qui avaient fait des dons au monastère, tandis que les moines convers, d’extraction plus modeste, n’avaient pas le droit de prendre la parole au sein de l’assemblée, ils n’avaient pas voix au chapitre.
Dans les monastères où l’austère règle contraint souvent au silence, prendre la parole est un acte soumis à autorisation. Il ne suffit pas d’avoir la vocation pour faire entendre sa voix, il faut avoir voix au chapitre.
« Je n’aurai pas un moment de repos pendant tout ce voyage, j’en vois tous les périls, j’en suis morte ; mais enfin je n’en ai pas été la maîtresse ; et, dans ces occasions-là, les mères n’ont pas beaucoup de voix au chapitre. »
Se porter comme un charme
D’un vieillard alerte, d’un rescapé ou d’un ancien malade on dit qu’il se porte comme un charme. C’est une manière d’indiquer qu’il est en parfaite santé, sous-entendant que l’âge, un accident ou une opération à risque auraient pu compromettre cet heureux état.
Même si l’expression synonymique se porter comme un chêne est attestée, se porter comme un charme n’a rien à voir avec l’arbre à bois dur et blanc répandu dans nos forêts qu’on appelle charme et qui pourrait incarner une forme d’énergie vitale. Le charme n’a jamais été un modèle de force et de puissance mais la confusion est si fréquente qu’elle fit écrire à Sébastien Japrisot dans Un long dimanche de fiançailles : « je me porte comme un charme feuillu ».
Bien qu’une personne en parfaite santé ait souvent plus de charme qu’une personne maladive, tel n’est pas non plus le sens de l’expression. Charme vient du latin carmen « formule magique, incantation ». Avant de se banaliser, notamment dans le domaine de la séduction, en « attrait, qualité qui a le pouvoir de plaire », le charme était le pouvoir d’enchantement ainsi que l’illusion produite magiquement. La personne sous le charme est celle à qui l’on a jeté un charme. Au XVIIe siècle, comme un charme s’emploie pour dire « d’une manière quasi illusoire ». Parler comme un charme, c’était « parler comme un enchanteur » et aimer comme un charme « aimer passionnément ».
Se porter comme un charme, c’est être plein d’énergie comme par l’effet d’un pouvoir irréel. Le charme est ici de l’ordre de celui qu’exercent un enchanteur ou un charmeur de serpents : c’est l’action d’un pouvoir magique, hypnotique, un pouvoir qui dépasse la compréhension rationnelle et tend parfois au miraculeux. Prenez garde de rompre le charme !