« Je remplis les ordres de madame la Comtesse, en lui donnant des nouvelles de mon cher maître ; il se porte comme un charme. »
Faire bonne chère
Après un repas délicieux et abondant, il n’est pas rare de dire que l’on a fait bonne chère. Cette élégante expression a pour équivalents plus familiers et moins discrets faire bombance ou faire ripaille.
Sachant que l’on consomme de la chair animale et que la nourriture fait devenir bien en chair, certains se trompent sur l’orthographe du mot. Il ne s’agit pas de chair mais de chère, qui signifie dans ce cas « visage ». Cerveau est issu de la même racine. Leur étymologie commune surprenante renvoie à la partie la plus haute de notre anatomie. Initialement, faire bonne chère à quelqu’un, c’était lui montrer son meilleur visage et donc lui réserver un bon accueil. Pour désigner cette partie du corps, le français ne manque pas de mots : visage, face, figure, mine ou minois se bousculent au portillon. Chère leur a rapidement cédé la place et a perdu son sens premier.
Faire bon accueil à ses invités, c’est aussi bien les traiter et leur proposer une nourriture aussi copieuse que savoureuse. Progressivement, l’idée d’accueil agréable est remplacée par celle de bon repas. Aimer la bonne chère revient ainsi à apprécier les plaisirs de la table en aimable compagnie et un homme de bonne chère fut un fin gourmet. L’idée de réjouissance se manifestait dans une autre expression, faire chère lie, au sens propre « avoir un visage joyeux », qui voulait dire « mener une plaisante vie », et dans laquelle on mettait toute la liesse attachée à la bonne chère.
Certes, « la chair est triste, hélas ! », mais la bonne chère ne mange pas de ce pain-là. Il faut, cher lecteur, l’orthographier correctement pour en savourer l’avenante histoire.
« Présenter des harangues ou des disputes de rhétorique à une compagnie assemblée pour rire et faire bonne chère, ce serait un mélange de trop mauvais accord. »
Être la cheville ouvrière
On travaille rarement avec les pieds, plus souvent avec les mains. C’est pour cela qu’on appelle petite main une personne exécutant un travail besogneux pour le compte d’une autre. Pourtant, depuis le début du XVIIIe siècle, on dit d’une personne jouant un rôle central dans un travail collectif ou dans un organisme qu’elle est la cheville ouvrière du projet.
L’expression n’a en fait rien à voir avec l’articulation entre la jambe et le pied : elle renvoie au sens premier du mot cheville, toujours en usage aujourd’hui. Issu, comme clavicule, du latin clavicula, diminutif de clavis « petite clé », cheville désigne une tige de bois ou de métal servant à assembler plusieurs pièces d’un même ouvrage. La cheville anatomique y ressemble : elle articule. À l’origine, la cheville ouvrière est précisément une pièce mécanique : c’est l’élément d’assemblage qui joint l’avant-train avec le corps d’une voiture (à cheval), d’une charrue. Au figuré, la cheville ouvrière serait donc le pivot, la personne autour de laquelle s’organise une activité.
Mais l’emploi de l’adjectif ouvrière peut aussi surprendre. Il ne se rapporte pas à la classe des travailleurs manuels mais signifie simplement « qui travaille ». La cheville de l’expression étant la plus sollicitée lors du mouvement de la voiture, c’est celle qui travaille le plus. Cette cheville ouvrière est une articulation qui travaille ; elle fait le lien entre les autres et doit fournir le plus d’efforts pour mener à bien le projet commun. À condition toutefois de ne pas mettre la cheville de la charrue avant celles des bœufs !
« Elle avait été la cheville ouvrière de la maison, sans que nul songeât à lui savoir gré de sa ponctualité, de ses prévenances. »
En avoir sa claque
Tout le monde l’a reçue un jour ou l’autre, cette claque : celle du « ça suffit », qui fait qu’on en a sa claque. L’expression familière apparaît à la fin du XIXe siècle pour signifier qu’on en a assez, qu’on est exténué.
Le mot claque, venu de claquer, désigne en français des choses bien différentes. S’agirait-il de ce coup donné du plat de la main que nous connaissons tous, rude taloche parentale ou gifle d’amoureuse déception ? Ou bien de la claque des théâtres de jadis, formée de spectateurs payés pour assurer par leurs applaudissements nourris le triomphe d’un spectacle ? On comprendrait que l’on puisse vite se lasser de prendre des baffes. Au second traitement, en revanche, plus d’un auteur a pris goût.
L’explication n’est pas aussi simple. Si le mot claque renvoie effectivement à la gifle, il signifie aussi l’abondance et l’excès. Ce sens abstrait vient peut-être de termes concrets anciens : on désignait par ce mot une mesure de lait, en Picardie, et le terme une claquée signifiait « une abondance de ». Se claquer, c’était « se fatiguer à l’extrême » et, aujourd’hui encore, être claqué s’emploie pour « être à bout de force » sans avoir reçu de coups.
Tous ces emplois témoignent du fait que le terme claque a porté un sens très général d’intensité, comme dose ou compte dans les expressions en avoir sa dose ou régler son compte à quelqu’un. On dit claquer son argent, expression qui a plus à voir avec l’idée d’intensité qu’avec le bruit de la pièce sur le zinc. Le dégoût par l’excès : telle est la raison d’être soûlé, d’en avoir marre, d’en avoir sa claque.
En avoir sa claque, c’est avoir son moment au théâtre où les gens vous applaudissent.
Prendre ses cliques et ses claques