Si la clique défile en grand uniforme, nul doute que les cymbales claqueront. Prendre des claques, qui sont des gifles, c’est une expérience cuisante. Rien à voir pourtant avec les cliques et les claques de cette expression. Datant du milieu du XIXe siècle, l’expression prendre ses cliques et ses claques a surtout une fonction d’onomatopée de type bric-à-brac, clic-clac ou tic-tac. Pourtant, ces deux pluriels, cliques et claques, ont eu des significations très précises.
Au Moyen Âge, cliquer s’est dit pour « émettre un bruit sec, aigu », et une clique désigne un loquet ou une détente — penser à déclic et aujourd’hui au double clic. Dans certaines régions, clic, répété, évoque le bruit de pas rapides sur le sol et a motivé les cliques au sens de « jambes » ou de « sabots ».
Quant à claque, le mot est l’onomatopée qui exprime un bruit sec et bref, mais moins aigu que le clic. Depuis le XVIIIe siècle, il désigne diverses variétés de souliers, des sabots, des socques que l’on fixe par-dessus les chaussures pour les protéger de la pluie et de la neige (terme courant en français du Canada où une paire de claques s’achète chez le marchand de chaussures). Claque est aussi le mot technique qui désigne la partie de la chaussure qui recouvre le pied et qui forme, avec le bout, l’empeigne.
Avec ces deux mots évoquant les jambes et les pieds, l’expression a d’abord signifié « partir rapidement », comme s’enfuir à toutes jambes ou, très bizarre, prendre ses jambes à son cou. Mais le sens de cliques et celui de claques se sont perdus et l’on a cru qu’ils désignaient ce bazar que l’on garde avec soi. On a dit alors prendre, ramasser ou emporter ses cliques et ses claques pour « s’enfuir avec toutes ses affaires ».
Prendre ses cliques et ses claques appartient à la langue familière. Dans un registre plus élégant, on dira d’un fuyard qu’il prend la poudre d’escampette*.
« L’une avait le nez arraché ; le sang giclait par terre. Lorsque l’autre a vu le sang, un grand échalas comme moi, elle a pris ses cliques et ses claques. »
Être dans le coaltar
La personne qui, mal réveillée, tente d’expliquer son état d’hébétude, emploie bien souvent des images aériennes et légères : je suis dans le brouillard ou dans les vapes (synonyme argotique de vapeurs). Cette douceur blanchâtre rappelle les plumes de son oreiller douillet. Mais il arrive parfois qu’on emploie un mot plus étrange pour décrire cet état de demi-sommeil en affirmant qu’on est dans le coaltar.
Avec l’enchaînement du o et du a, et cette terminaison inhabituelle, ce mot est pour le moins déconcertant. Les francophones qui en ignorent l’origine — et parmi eux des auteurs de renom — l’écrivent souvent de manière fantaisiste : coltar (transcription phonétique), coltard (sur le modèle de costard) et même colletard (par analogie avec colleter).
Il s’agit en réalité d’un mot anglais formé de deux termes : coal « charbon » et tar (que l’on retrouve dans tarmac) « goudron ». Apparu dans la langue de Shakespeare à la fin du XVIIe siècle avant que le français ne l’emprunte cinquante ans plus tard, il désigne la matière noire et visqueuse obtenue en distillant la houille. Elle servait à colmater la coque des bateaux et était administrée comme médecine antiseptique ou comme traitement contre le psoriasis. Le coaltar entre encore dans la composition de certains shampoings antipelliculaires ou antipoux.
C’est au milieu du XXe siècle qu’est apparue l’expression qui n’est pas sans nous en rappeler une autre, plus accessible : être dans le cirage. Le cirage, tout comme le coaltar, offre l’image d’une matière noire et collante dont il est difficile de se débarrasser. On est loin de la légèreté des vapeurs et du brouillard.
L’Académie, qui ne goûte guère les mots empruntés à l’anglais, recommande l’expression goudron de houille, bien moins synthétique que coaltar. Dirions-nous certains matins difficiles que nous sommes dans le goudron de houille ? Il n’est pas certain que nous ayons alors les idées suffisamment claires pour changer nos habitudes langagières !
« J’ai émergé sur le parking d’une station essence du côté d’Orléans. Bien dans le coaltar. Ensuquée et baveuse. J’avais du mal à ouvrir les yeux et mes cheveux me paraissaient étonnamment lourds. »
Rater le coche
Parmi les rares mots que le français a emprunté à la langue hongroise, il y a ce coche que l’on rate lorsqu’on perd une occasion. Coche a en effet pour origine kocsi, venu du nom d’un relais de poste sur la route entre l’Autriche et la Hongrie, Kocs.
Lors de son apparition, au XVIe siècle, le coche est une grande voiture tirée par des chevaux, pour les voyageurs qui n’avaient pas leur propre équipage. Le coche, dépourvu de suspension, offrait un confort très sommaire. Les coches volants du XVIIe siècle disposaient d’un bon attelage qui faisait « une plus grande diligence que les autres » (Furetière), et cette rapidité, toute relative, a fourni le nom d’une nouvelle voiture, la diligence.
Rater ou manquer, louper le coche s’explique ainsi : il s’agissait de respecter les horaires du relais de poste. Il faut saisir l’occasion quand elle se présente, de même qu’il fallait être à l’heure au départ du véhicule, car le cocher n’attendait pas les retardataires. Nos voisins anglais, quant à eux, disent « manquer le bateau » (to miss the boat), insularité oblige.
C’est ce même coche que La Fontaine évoque dans la savoureuse fable où une mouche s’agite auprès de « six forts chevaux » peinant à tirer le véhicule le long d’un « chemin montant, sablonneux, malaisé ». Piquant les chevaux de l’attelage, bourdonnant à leurs oreilles, la mouche du coche s’attribue le mérite de les faire parvenir en haut du chemin, alors qu’elle n’a fait que les gêner.
Visant un type d’individus assez répandu, ceux qui s’agitent beaucoup en pure perte, la fable a fait mouche*. Même si le coche a disparu, il importe toujours de ne pas laisser passer sa chance en le ratant. Pour écarter les mouches importunes, sans plus de coches ni de cocher, on dit encore : fouette cocher !