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Avoir quelqu’un dans le collimateur

surveiller étroitement quelqu’un, attendre l’occasion de l’attaquer

Connaissez-vous la collimation, ce mot savant apparu au XVIIe siècle et qui désignait l’orientation donnée à la visée par un instrument d’optique ? Vous êtes deux fois excusés. D’abord, parce que ce terme est rarissime, ensuite parce que c’est une faute, qui francisait assez mal le latin collineatio. Ce dernier, dérivé de co-lineare, avait été mal écrit collimare, alors qu’il faisait référence à linea, la ligne.

Viser en droite ligne, c’est ajouter le tir à la visée. Le mieux pour y parvenir est d’employer un instrument précis et c’est ainsi que, vers le milieu du XIXe siècle, on invente le collimateur. Instrument utile aux astronomes et aux tireurs d’élite, sans doute, et, paraît-il, aux aviateurs, mais peu répandu dans les supermarchés. Faute d’avoir à faire avec les collimateurs et la collimation, nous risquions fort d’oublier l’un avec l’autre et ce mot, qui pour beaucoup n’évoque guère que les colimaçons, risquait de disparaître.

Et pourtant… Il n’est pas de jour où l’on n’entende, dit d’un air menaçant ou moqueur : « celui-là, je l’ai, je vais le prendre, je le garde… dans mon collimateur », autrement dit « je vais le surveiller de près, l’avoir à l’œil ». Ou bien, en politique, « ce ministre est dans le collimateur du fisc », allez savoir pourquoi. Grâce à quoi, les collimateurs trop techniques et la collimation oubliée conservent une vie discrète dans le monde imaginaire des métaphores.

À titre d’exemple

« Donc, nous laissons provisoirement s’agiter tout ce joli monde, en le gardant dans notre collimateur. »

Pierre Nord, Miss Péril jaune, 1970.

Convoler en justes noces

se marier

La métaphore de l’amour comme une envolée à deux ne peut que séduire tous ceux qui souhaitent convoler en justes noces. Le verbe convoler, spécialisé pour désigner le mouvement qui pousse deux amoureux au mariage, n’apparaît plus que dans cette expression.

C’est dans un contexte moins romantique que ce verbe est apparu. Signifiant « accourir ensemble », le latin convolare devient en bas latin un terme juridique, dans convoler en secondes noces « se remarier », et dans une utilisation qui avait plus à voir avec la fiscalité et les droits de succession qu’avec les sentiments.

Le verbe convoler, attesté en français depuis le XVe siècle, conserve le sens latin « aller rapidement vers », « accourir », quel que soit l’objectif. Ernest Renan a même évoqué la tentation des âmes désespérées à convoler au suicide.

Étymologiquement, chacun « vole » vers l’autre et vers son destin. Convoler signifie aussi « changer d’état » : on peut convoler à l’état de mariage, tout comme à celui de religion. La jolie métaphore de l’envol est à peu près oubliée.

Et si les noces sont justes dans cette expression, c’est parce que seul le mariage en bonne et due forme pouvait sanctionner les amours légitimes. La formule, aujourd’hui désuète ou comique, signifie donc au sens propre « donner forme légale à un amour par le mariage ».

De nos jours où le mariage — bien qu’il soit « pour tous » — n’est plus l’unique norme, l’expression est le plus souvent ironique, et toujours figée : pas d’injustes noces, ni de juste pacs !

À titre d’exemple

« Le père présumé n’a jamais voulu reconnaître l’enfant, ni convoler en justes noces avec la jeune mère, sa maîtresse officielle depuis déjà deux mois au moment de la conception. »

Alain Robbe-Grillet, La Reprise, 2001.

S’en tamponner le coquillard

s’en moquer

Dire je m’en tamponne le coquillard est plus familier que je m’en moque et plus expressif que je m’en fous. Mais aussi plus mystérieux : quel est donc ce coquillard qui exprime l’indifférence ou le mépris ?

Au Moyen Âge, on nommait coquillards les mendiants qui se faisaient passer pour des pèlerins de Saint-Jacques en fixant une coquille à leur vêtement. Nous n’avons heureusement pas oublié les coquilles Saint-Jacques. Les coquillards fut aussi le nom d’une bande de voleurs, ce qui donna au mot le sens de « malfaiteur ». Mais le coquillard qui nous intéresse n’a rien à voir avec eux. Pas plus qu’avec le coquillart, ce calcaire renfermant des coquilles fossiles et dont le nom se termine par un t.

Venu de la coquille de pieux pèlerins, coquillard a été pourtant affublé de sens érotiques et argotiques. Il a désigné le membre viril puis le sexe féminin. Et c’est en tant que synonyme du mot œil qu’il figure dans notre expression car ce mot est glosé dans les dictionnaires anciens par « trou du fondement ». On trouve encore ce sens dans se fourrer le doigt dans l’œil « se tromper grossièrement » et dans une autre expression synonyme de s’en moquer : s’en battre l’œil. De même, mon œil ! est un euphémisme pour mon cul !

Littéralement, s’en tamponner le coquillard est donc un équivalent de s’en torcher. Tamponner a ici le sens de « essuyer, nettoyer avec un tampon » mais il est lui-même assez expressif pour qu’on l’emploie parfois sans complément pour dire que l’on s’en moque. On s’en tamponne, de l’étymologie !

À titre d’exemple

« Bien sûr qu’on s’en tamponne le coquillard que ce pigeon de corbac se fasse chourer son calendos par ce faux derche de goupil. »

Daniel Picouly, Fort-de-l’Eau, 1997.

À cor et à cri

en insistant bruyamment

Demander quelque chose à cor et à cri c’est, on le sait, le revendiquer avec insistance. L’expression, qui doit sa longévité à sa sonorité, était à l’origine à cry et à cor et l’inversion des deux termes demeure inexpliquée. Mais quel est donc ce cor qui depuis le XVIe siècle s’accompagne de cris pour réclamer ? Bien que la confusion avec corps soit fréquente, nul besoin de soumettre un corps à des sévices pour protester. La douleur d’un cor au pied peut sans doute faire pousser des cris, mais l’expression n’est pas liée non plus à des problèmes podologiques.

C’est de l’instrument à vent qu’il est question. Dans sa version rudimentaire, le cor était une corne évidée permettant aux montagnards d’appeler leur troupeau et à Roland de prévenir Charlemagne de l’invasion des Sarrasins. Devenu un instrument en métal, contourné en spirale et terminé par une partie évasée, il a engendré plus tard le cor d’harmonie. Mais c’est dans l’art de la vénerie (ou chasse à courre) que les cris des chasseurs et de la meute répondent au son du cor, d’ailleurs toujours appelé trompe de chasse.