Toujours est-il que le mot apparaît au XVe siècle, signifiant alors « événement malheureux, accident », mais il pourrait s’agir d’un homonyme, car acabit ne réapparaît qu’en 1650 à propos de la qualité d’une marchandise, d’une denrée. On disait par exemple « des poires de bon acabit » et cet acabit n’avait rien de désastreux.
Progressivement, le jugement que véhicule le mot ne porte plus seulement sur les choses mais aussi sur les êtres. Stendhal écrit dans Le Rouge et le Noir : « mon fils et ses brillants amis de même acabit ont du cœur » et, comme pour les poires, cet acabit n’est nullement péjoratif.
Ce n’est qu’au cours du XXe siècle que son usage se restreint à quelques expressions et que la valeur péjorative s’impose, comme dans de la même farine ou du même tonneau. On compare et on classe, mais pour déprécier. Et à moins que la personne qui nous associe à d’autres en un acabit de mauvais aloi* soit plus que centenaire, c’est à juste titre* que vous pourrez vous vexer !
À l’époque cette expression faisait référence au clergé…
En l’occurrence, « de cet acabit ne fait pas le moine » voulait dire « ne pas se fier aux apparences ». Aujourd’hui, par manque de caractère, typographique s’entend, « aux apparences » n’apparaît plus. Seul subsiste de cet acabit qui signifie en toute logique « ne pas se fier ».
Pierre d’achoppement
Rencontrer sur son parcours une pierre d’achoppement, c’est rencontrer une sérieuse difficulté. Une pierre, en effet, peut faire obstacle à la progression ou faire trébucher. Quant à achoppement, nous butons précisément dessus, ce mot ne se rencontrant guère en dehors de cette expression.
La Fontaine, dans ses Fables, l’utilise encore : « Regarde d’où provient L’achoppement qui te retient […] Prends ton pic, et me romps ce caillou qui te nuit. » Le caillou en question est ce qui fait buter, achopper. Ce verbe est dérivé de chopper, de même sens, utilisé au figuré pour « faillir, faire un écart de conduite » ou « se heurter à une difficulté d’ordre moral ou intellectuel ». Ce sens est sorti de l’usage et l’exemple de Furetière, « Cet Officier s’est brouillé avec son Supérieur, il a choppé lourdement », n’est plus compris. Choper une maladie, l’attraper, c’est un autre mot.
On suppose que ce verbe chopper a été formé à partir d’une onomatopée, tsopp (ou tchop), imitant le bruit caractéristique du pas d’un boiteux, et qui a donné dans d’autres langues latines des mots évoquant des difficultés à se mouvoir : zoppo en italien, zopo en espagnol, zo(u)po en portugais, c’est le boiteux, l’estropié. Cette lourde démarche était rendue en ancien français par le son clop, à l’origine de clopiner et clopin-clopant.
La pierre d’achoppement est donc la pierre sur laquelle on trébuche, mais elle n’a d’existence que métaphorique. De ce qui fait choir à ce qui fait tomber dans le péché, il n’y a qu’un pas, trébuchant. N’oublions pas qu’en latin ecclésiastique cette pierre se disait scandalum…
achoppement
[ aʃɔpmɑ̃ ] nom masculin
ÉTYM. début XIIIe ♦ de achopper
VIEUX ou LITTÉR. Obstacle contre lequel on bute, difficulté qu’on rencontre. […]
Par acquit de conscience
Dans les romans policiers traditionnels, il y a d’un côté les coupables qui n’ont pas la conscience tranquille et de l’autre côté les policiers qui travaillent consciencieusement pour découvrir la vérité. Dire que ces derniers, par acquit de conscience, vérifieront toutes les pistes, c’est dire qu’ils ne laisseront rien au hasard. Mais s’ils veulent avoir leur conscience pour eux, et acquérir la certitude qu’ils sont irréprochables, pourquoi diable écrit-on ici acquit et non acquis ?
C’est tout simplement parce que ce mot, qui ne s’emploie plus que dans quelques expressions, est dérivé non pas comme acquis du verbe acquérir mais du verbe acquitter. L’acquit était autrefois le paiement d’une dette puis la reconnaissance écrite de ce paiement. Dans ce sens, le mot a été évincé par quittance, de même origine, mais il s’emploie encore dans la formule pour acquit. Le sens figuré apparaît dès le Moyen Âge mais l’expression par acquit de conscience ne devient usuelle qu’au XIXe siècle. À cette époque, Littré en donne encore les formes anciennes, qu’il a trouvées dans l’œuvre de Saint-Simon : à l’acquit ou pour l’acquit de sa conscience.
On est donc quitte de toute dette envers sa conscience quand on agit en suivant ses conseils et qu’on ne néglige aucune piste. Quoi qu’il en soit, il n’est pas nécessaire de jouer au détective pour vérifier l’orthographe de ce mot. La méthode est beaucoup plus simple : il suffit d’acquérir un bon dictionnaire et de s’acquitter d’une petite vérification. Élémentaire, mon cher Watson !
C’est à nos amis espagnols que nous devons cette expression. « Por aquí dé conscience » veut dire « par ici la conscience » ou plus simplement « prendre conscience de… » Être lucide en quelque sorte.
Être à l’affût
Le mari jaloux, le paparazzi et la ménagère de moins de cinquante ans sont tous à l’affût : de preuves, de scoops et de bonnes affaires. Rien que de banal, mais l’on se demande ce que peut bien signifier cet affût qu’ils ont en commun : ils guettent, prêts à bondir sur l’occasion dès qu’elle se présentera.
Au Moyen Âge, l’affût était un support en bois sur lequel reposait l’arme du chasseur guettant sa proie. Le mot vient de s’affûter, c’est-à-dire « s’appuyer, se mettre en position », verbe formé de à et de fût. Ce dernier a désigné, après un tronc d’arbre, diverses pièces de bois et en particulier la monture d’une arme. C’est ce même fût, issu du latin fustis « tronc », qui a donné les mots futaie « forêt d’arbres élevés » et futaille « ensemble de tonneaux ».
Mais revenons à nos moutons ou plutôt à notre gibier. À partir du XVIIe siècle, affût ne désigne plus un support mais l’abri dans lequel se dissimule le chasseur qui doit bien souvent attendre de longues heures avant qu’un animal ne montre le bout du museau ou du bec. De là est né à l’affût « en train de guetter sa proie » avant de s’employer au sens figuré.