À cor et à cri, c’est donc littéralement « avec le cor et les chiens » : Maurice Genevoix évoque dans Forêt voisine « la belle chasse traditionnelle, des chevauchées à cor et à cris ». L’expression s’est étendue au droit et poursuivre un procès à cor et à cri, ce fut le mener avec énergie, faisant autant de bruit qu’une meute de chiens et des sonneurs lancés à la poursuite d’une bête. Attirer l’attention, afin que tout le monde entende ce que l’on est en droit de réclamer. À croire que pour avoir gain de cause, il suffit de se faire entendre.
« Je sais que le parti socialiste réclame sa tête à cor et à cri, ainsi que l’élargissement immédiat du prisonnier [Dreyfus] de l’île du Diable. »
Courir le cotillon
Bien des dons juans vous le diront : nul besoin de recourir aux confettis pour courir le cotillon. La formule contient pourtant un mot qui désigne aujourd’hui les accessoires de fête.
Pour éclairer cette expression, il suffit de la comparer à une autre de sens proche : on dit aussi d’un homme qui cherche à séduire les femmes qu’il est un coureur de jupons. Le cotillon, précisément, est un jupon. Dérivé de cotte « tunique » qui apparaît dans cotte de maille, cotillon est un mot de la Renaissance qui désignait traditionnellement une jupe de dessous portée par les femmes du peuple. Ainsi, Perrette, celle du pot au lait, portait dans la fable de La Fontaine « cotillon simple et souliers plats ». Par une figure de style fréquente, et comme pour jupon, le nom du vêtement a servi ensuite à désigner la gent féminine.
Comment diable le mot cotillon est-il passé de ce sens vestimentaire à celui que nous connaissons aujourd’hui, attaché à des réjouissances collectives ? Peu après 1700, le cotillon est devenu le nom d’une danse qui faisait virevolter les robes. Par la suite, cotillon a simplement désigné le moment où l’on danse dans une réunion mondaine, puis le divertissement, les jeux et les accessoires à la fin du bal. C’est enfin à l’ensemble de ces accessoires — serpentins, confettis et autres langues de belle-mère — que renvoie le mot aujourd’hui.
L’expression a vieilli mais l’on aurait tort de la laisser disparaître, ne serait-ce que pour conserver aux opérations de séduction des allures de fête.
cotillon
[ kɔtijɔ̃ ] nom masculin
ÉTYM. 1461 ♦ de cotte
1. ANCIENNEMENT Jupon. […]
Avoir les coudées franches
Lorsque l’on se lance dans une entreprise, on aime bien avoir les coudées franches, ne pas rencontrer d’entraves ou de contraintes, se sentir toute liberté pour agir. Dans cette expression bien connue, on reconnaît le mot coude, mais on ne voit pas le rapport entre le coude et la franchise ou un sentiment de liberté.
La coudée est une unité de mesure « dont usaient les Anciens » nous dit Furetière, et qui correspondait à « la longueur ordinaire du bras de l’homme depuis le coude jusqu’au bout de la main ». Sur le même modèle existaient, et existent encore en Grande-Bretagne, des unités comme le pouce ou le pied. La coudée valait en moyenne un pied et demi, avoisinant cinquante centimètres.
Pris dans un sens plus large, coudée désigne l’espace nécessaire pour se mouvoir sans être gêné. Avoir les coudées franches, c’est, littéralement, pouvoir bouger les coudes sans rencontrer d’obstacle. Au XVIIe siècle, « On le dit surtout des libertés qu’on prend à table, quand on a les coudes sur la table, et qu’on est assis au large. » Qu’il est agréable de prendre ses aises et de lever le coude sans heurter son voisin de table ! On peut aussi penser au geste spontané qui consiste à remuer les épaules et plier les coudes lorsque l’on essaye un vêtement, pour vérifier son aisance.
Avoir les coudées franches, c’est ne pas avoir à composer avec une restriction ou une limite. Oubliant son origine concrète, l’expression ne s’emploie plus qu’abstraitement. Montaigne l’utilisait déjà dans son éloge de la solitude, dont il écrit : « que cherche-t-elle tant que ses coudées franches ? ». Les plus chanceux se trouveront sans effort dans des situations où ils auront toute latitude. En revanche, la plupart d’entre nous devront jouer des coudes pour se frayer une place au soleil.
coudée
[ kude ] nom féminin
ÉTYM. 1850 ; couldée 1530 ; codee XIIIe ♦ de coude
1. ANCIENNEMENT Mesure de longueur de 50 cm. […]
Battre sa coulpe
On dit souvent de quelqu’un qui reconnaît ses fautes qu’il bat sa coulpe. Pourtant, dans les manuels d’anatomie, on ne trouve nulle trace de cette partie du corps que l’on frapperait en signe de repentir.
En réalité, le mot coulpe n’a jamais rien désigné de concret. Il vient du latin culpa, « faute », qui est à l’origine d’un vocabulaire qui nous est plus familier : culpabilité, inculper, disculper ou encore coupable (où le l a disparu). Dans le vocabulaire religieux, culpa et son équivalent français coulpe sont des mots importants qui désignent le péché volontaire, celui qui prive le pécheur de la grâce divine. Au Moyen Age, la coulpe charnelle renvoyait au péché de chair. Dire sa coulpe et faire sa coulpe, c’était confesser sa faute. Du péché, on est passé à l’aveu du péché.
Dans la prière appelée Confiteor (« je confesse »), le chrétien fait son acte de contrition et se reconnaît pécheur devant Dieu en disant mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa, « c’est ma faute, c’est ma faute, ma très grande faute ». Quand le prêtre prononçait à haute voix ces paroles au cours de la messe, il alliait le geste à la parole en se frappant la poitrine. La gestuelle met en scène la confession publique : se frapper permet de manifester l’aveu, de reconnaître sa culpabilité. D’où l’emploi de battre.
On peut désormais battre sa coulpe sans se donner des coups. L’expression est abstraite et veut simplement dire « avouer et regretter sa faute ». Chose rare, l’équivalent latin s’est maintenu dans l’usage moderne, puisque l’on dit encore fréquemment faire son mea-culpa en dehors de tout contexte religieux. Et sans forcément joindre le geste à la parole.