« Des milliers et des milliers d’amoureuses battaient leur coulpe, se ruaient à la pureté et aux bonnes œuvres […] se mettant finalement à carreau et à coi dans une vie de chasteté, de travail, d’abnégation. »
Être sous la coupe de quelqu’un
Être sous la coupe de quelqu’un n’est pas agréable : on se sent écrasé sous le poids d’une autorité parfois abusive, au point de se dire que la coupe est pleine. Si l’on comprend la métaphore du récipient plein pour évoquer le ras-le-bol, le lien entre le mot coupe et l’idée de soumission à une autorité est beaucoup moins évident. C’est que ces deux coupe n’ont aucun rapport.
Il ne s’agit pas d’être mis sous cloche par un supérieur hiérarchique : coupe désigne ici l’action de couper. Mais aucun risque de coupure ou d’amputation. Pas de rapport avec les coups ni les coupures. La coupe, c’est la division d’un jeu de cartes en deux paquets : a la fin du XVIIe siècle, être sous la coupe c’était « être le premier a jouer, après le joueur qui a coupé ». Et venir après pouvait être mal ressenti. Furetière, dans son Dictionnaire universel, nous explique que « Les joueurs ont cette sotte croyance, qu’il y a des gens qui ont une coupe malheureuse, qui ne veulent point être sous leur coupe ».
L’emploi figuré a suivi, et l’origine de l’expression s’est perdue. La confusion avec le récipient, soutenue par des explications fictives, s’est alors imposée. À tel point qu’au XIXe siècle on a parlé d’être sous la coupelle de quelqu’un ! Et Marcel Proust, qui se moquait volontiers des travers langagiers de ses contemporains, fait dire à l’un de ses personnages dans Sodome et Gomorrhe : « je trouve du reste qu’ils ont raison […]. Il nous met trop sous la coupole de l’Allemagne ». Il est vrai que certains écrivains cherchent à être sous la coupole académique !
« Il est tout entier sous ta coupe. À dix-huit ans, il t’obéit comme un garçonnet. »
Coupe sombre
Cette expression se rencontre fréquemment dans le discours économique ou journalistique, pour produire un effet, car il s’agit de couper, de tailler dans le vif. En effet, qui ne frémirait, en contexte de crise, quand une entreprise annonce des coupes sombres parmi ses effectifs ? Qui ne tremble en entendant que des coupes sombres sont à prévoir dans le budget ? Quel auteur, enfin, n’appréhende que son éditeur ne lui impose des coupes sombres dans son manuscrit ? Et pourtant, on fait erreur sur le sens qui n’est pas aussi noir qu’il y paraît.
Comme mettre en coupe réglée, qui signifie « exploiter systématiquement (une personne, une collectivité) » — la coupe réglée étant l’abattage régulier d’une portion de bois — l’expression coupe sombre appartient au langage technique de la sylviculture. C’est l’abattage, au sein d’un massif forestier, de quelques arbres, afin de favoriser le semis naturel de nouveaux plants. Aussi la coupe est-elle dite sombre parce qu’elle est légère et conserve l’ombre du sous-bois. Un jardinier parlerait d’éclaircissage, admirez la logique. La coupe claire, au contraire, est plus sévère puisqu’elle consiste à abattre un assez grand nombre d’arbres pour que la lumière pénètre le massif et favorise le développement des jeunes pousses. Une coupe claire est en toute logique davantage à redouter qu’une coupe sombre.
Mais il se trouve que la nuance de l’adjectif sombre, avec ses connotations funestes, a favorisé le contresens. Coupe sombre a été sentie comme l’expression juste pour désigner une suppression drastique, aux conséquences désastreuses. La métaphore forestière n’est plus comprise mais la menace du couperet inspire toujours la crainte.
2. coupe
[ kup ] nom féminin
ÉTYM. 1283 ♦ de couper […]
I. 2. SYLV. Action d’abattre des arbres, dans une forêt […]
— Coupe sombre ou coupe d’ensemencement : opération qui consiste à n’enlever qu’une partie des arbres pour permettre l’ensemencement de nouveaux arbres. […]
Pendre la crémaillère
Quand on vient de s’installer dans un nouveau logement, on invite ses amis à pendre la crémaillère. C’est un moment convivial et une occasion de faire découvrir son nouveau chez-soi aux invités. L’expression est attestée dans le Dictionnaire de l’Académie (1694), signifiant « qu’on ira se réjouir, et faire bonne chère » chez celui qui change de logis. On a oublié qu’il s’agit d’un acte symbolique d’appropriation, initialement lié au feu, symbole du foyer.
Support garni de crans, la crémaillère permet d’ajuster la hauteur d’un objet en fonction de l’usage souhaité. On l’utilise aujourd’hui pour varier la hauteur des rayonnages d’une bibliothèque. Le mot remonte au grec tardif kremastêr qui signifiait « qui suspend » et désignait certains muscles (le crémaster est le muscle suspenseur du scrotum) et une perche où l’on accrochait des grappes.
À l’époque où l’on faisait mijoter soupes et ragoûts dans l’âtre, la crémaillère était cette tige de fer crantée, ou cette chaîne, accrochée au mur et comportant un bout recourbé auquel on suspendait la marmite. Les crans permettaient d’ajuster la hauteur du récipient et donc la puissance de la flamme. Pendre la crémaillère, l’accrocher dans la cheminée de manière à pouvoir cuisiner dans sa maison, était le signe qu’on y habitait et marquait l’appropriation du lieu comme espace de vie. La dimension symbolique de l’opération a conduit à l’accompagner d’un moment festif. Cette tradition perdure, même si marmites et crémaillères font aujourd’hui le bonheur des brocanteurs.
Cette symbolique du feu se retrouve dans l’équivalent anglais housewarming party, littéralement « fête de chauffage de maison » : au cours de cette party, chaque invité apportait traditionnellement un peu de bois pour allumer le premier feu. Le réchauffement de la maison comme la pendaison de crémaillère ont conservé de leurs origines la chaleur qui caractérise les fêtes réussies.
« Georges Zarnitzine pendait la crémaillère, dans son nouvel appartement de quatre pièces… […] tant d’invités que les quatre pièces les contiennent à peine. »