Выбрать главу
Zoé Oldenbourg, La Joie-Souffrance, 1980.

Avoir des atomes crochus avec quelqu’un

avoir des affinités avec quelqu’un qui font naître la sympathie, l’attirance

Bien que le mot atome se porte à merveille ainsi que la physique atomique et subatomique, on est surpris par le fait que notre langue familière connaisse une expression saugrenue qui prétend que certains atomes sont crochus.

L’atome, si l’on en croit son nom grec atomos « indivisible », est ce qui ne se laisse pas découper. Le premier philosophe adepte du matérialisme fut Démocrite, relayé par un penseur qui était un grand poète, Lucrèce. Toute matière étant faite d’atomes minuscules, invisibles et insécables, il fallait bien que des familles se reconnaissent et s’accrochent les unes aux autres pour former les corps matériels. Démocrite supposa donc que ces ultimes grains de matière étaient crochus.

On s’aperçut beaucoup plus tard, grâce aux découvertes des chimistes et des physiciens, que les atomes étaient en fait très complexes et on les découpa en particules. Mais on conserva en de nombreuses langues ce nom grec, attribuant sa traduction latine in-sectum (de secare « couper ») à des animaux aussi étranges que familiers, les deux mots atome et insecte se mettant à mentir en annonçant leur insécabilité.

Cependant, les amateurs de philosophie n’oublièrent pas Démocrite et Lucrèce. La doctrine des atomes qui s’accrochaient entre eux fut retenue à propos des êtres humains, non plus pour expliquer que les parties de leurs corps formaient un tout, mais pour expliquer que des analogies pouvaient être à l’origine d’attirances réciproques. Nul atome dans la nature ne pouvant être imaginé comme crochu, la formule devint indispensable en matière sentimentale.

Voici pourquoi, lorsqu’on se sent attiré par quelqu’un, on peut dire, sans connaître la philosophie matérialiste des Anciens, qu’on a avec lui ou elle des atomes crochus. On peut même avoir ou pas des atomes crochus avec des idées, des activités ou des attitudes politiques. Ceux qui n’en ont aucun avec les maths se disent allergiques, ce qui est encore une façon de dire que nos tendances sont inscrites dans notre corps.

À titre d’exemple

« Entre elle et moi il n’y a pas de ces atomes crochus qui font les relations suivies. Je crains que mes atomes à moi perdent tout leur pouvoir accrochant. »

Prosper Mérimée, Lettre à Mme de La Rochejaquelein, 1870.

À croquer

très joli

Il est des êtres d’une beauté si exquise qu’on est pris d’une irrépressible envie de s’en saisir sur-le-champ. Après l’avoir dévorée des yeux, avoir bu ses paroles, l’amoureux, pris d’un désir insatiable, tentera de croquer la belle à pleines dents. L’amour est dévorateur.

Ce sens cannibale de croquer est peut-être à l’origine de l’expression, et c’est souvent ainsi qu’on la comprend. Balzac évoquait cependant une hypothèse plus artistique dans Un début dans la vie :

« On appelle, en termes d’atelier, croquer une tête, en prendre une esquisse, dit Mistigris d’un air insinuant, et nous ne demandons à croquer que les belles têtes. De là le mot : Elle est jolie à croquer. »

Par l’intermédiaire du sens de « connaître superficiellement », aujourd’hui disparu, croquer a en effet reçu le sens de « dessiner sur le vif ». D’où le mot croquis pour désigner une esquisse rapide. Dire d’un enfant qu’il est mignon à croquer signifierait qu’il faut se hâter d’en dessiner les traits en quelques coups de crayon ou de pinceau pour en conserver le charme fugace.

Car s’il faut faire vite, c’est que la beauté est éphémère et qu’elle peut s’évanouir comme un bonbon croqué quand ceux qu’elle fait craquer — ne la croquent pas à temps. Les verbes craquer et croquer sont tous deux nés d’une onomatopée qui évoque un bruit sec. Une femme craquante, un beau gosse craquant (puisque existent les croque-monsieur) sont à croquer au plus vite. Mais gare aux croqueuses de diamants, prêtes à dévorer votre fortune !

À titre d’exemple

« Mais convenez que son père a bien raison de ne pas vouloir qu’elle porte cet habit d’amazone ; elle est à croquer comme la voilà ! »

Jean-Baptiste Louvet de Couvray, Amours du Chevalier de Faublas, 1797.

Tailler des croupières à quelqu’un

susciter des difficultés à quelqu’un, faire obstacle à ses projets

Les habitués des maisons de jeu ont déjà rencontré des croupiers et des croupières, ces professionnels des casinos chargés de tenir le jeu, de payer et surtout de ramasser l’argent pour le compte de l’établissement. Mais l’expression n’a pas de rapport avec les jeux d’argent ; plutôt avec l’équitation. La croupière qu’il est question de tailler est en effet une pièce du harnachement.

Dérivé de croupe, qui désigne la partie postérieure des équidés, croupière est le nom d’une longe de cuir que l’on passe sous la queue du cheval (partie joliment nommée culeron) et qui, fixée à la selle (ou au bât), l’empêche de remonter sur le garrot de l’animal. Concrètement, tailler une croupière, c’est couper cette longe de manière à déstabiliser le cavalier. Dans le combat, cela supposait être assez près de l’adversaire pour sectionner la croupière de sa monture d’un coup d’épée. Les guerres ayant changé, l’occasion de cette taillade se perdant, on ne taille plus de croupières qu’au figuré.

Et quant au rapport entre le croupier du casino et le postérieur d’un cheval, il est bien réel. On appelait autrefois cavalier croupier celui qui montait en croupe derrière quelqu’un. Avec cette idée de « personne assise derrière », croupier a pris le sens de « personne qui, à certains jeux, est associée à un autre joueur et se tient derrière lui ». Veillant au bon déroulement du jeu, le croupier, qui peut être une croupière, doit s’assurer qu’aucun joueur ne taille des croupières à ses adversaires !

Le mot du Petit Robert

croupière

[ krupjɛr ] nom féminin

ÉTYM. 1155 crupiere ♦ de croupe

1. Longe de cuir que l’on passe sous la queue d’un cheval, d’un mulet, et qui, fixée au bât, empêche celui-ci de remonter sur le garrot. […]

D

Au (grand) dam de quelqu’un