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Les demeures en péril, qui mériteraient entretien ou restauration, n’ont cependant rien à voir avec cette mise en garde. La cause de cette étrangeté réside dans le mot demeure lui-même, qui a tout pour tromper son monde. Lorsqu’on est mis en demeure de régler une dette, on n’est nullement logé dans une grande et belle maison. Mettre en demeure, c’est être placé juridiquement dans la situation du retardataire, car demeurer, en son sens premier et latin (demorari), c’est rester sans rien faire. Demeure étant à demeurer ce que chasse est à chasser, bouffe à bouffer, un substantif exprimant l’action du verbe.

Or, nous savons bien que demeurer est « rester longtemps en un lieu ». La demeure peut être repos, durée, perpétuation mais aussi refus de bouger, de changer. À certains moments, des menaces interviennent : rester immobile et inactif peut présenter un réel danger. C’est ce que dit cet étrange péril en une demeure qui n’est pas une imposante architecture, ni un logis douillet, mais une inaction devant le danger. Qui demeure sans réagir quand l’orage menace, risque au mieux la grosse pluie, au pire la foudre. Sauve qui peut, péril en la demeure !

Ne rêvons pas. On continuera à employer cette expression sans en comprendre le sens, et en lui donnant un sens différent — et imparfait. En la demeure nous semble être une façon de s’exprimer assez chic, accordée au terme péril, pour ça craint un max, bougez-vous. Pour être rationnel, « sortez de chez vous ! »

À titre d’exemple

« L’auscultation met les nerfs à l’épreuve. Pendant tout le temps qu’elle dure, on scrute du regard la physionomie du médecin. Quand on le connaît, on apprend à interpréter ses airs soucieux qui ne signifient pas forcément qu’il y ait péril en la demeure. »

Jacques Laurent, Les Bêtises, 1971.

Être au trente-sixième dessous

être dans une très mauvaise situation ; être très déprimé

Qui se sent au trente-sixième dessous se trouve en mauvaise posture. Le moral est au plus bas. Mais de quoi parle-t-on ? Avec cette expression, l’on n’est pas au-dessous de quelque chose mais à tel niveau des dessous. S’agit-il de lieues sous les mers ? De pieds sous terre ? De profondeurs de l’enfer ?

Il existe un monde où parcourir le troisième, quatrième ou sixième dessous n’a rien d’accablant : c’est celui du théâtre. Car ces dessous sont les étages situés sous la scène, où s’activent les machinistes et se manipulent les décors. Dans son ouvrage consacré à la vie parisienne, Maxime Du Camp les décrit :

« Sous la scène où s’agitent les acteurs, voici les trois dessous superposés, séparés les uns des autres par une forêt d’étançons qui supportent les planchers. Dans les féeries, dans les grands ballets, les dessous ont une extrême importance : c’est de là que s’élèvent subitement les bosquets improvisés sous la baguette du bon génie, que sortent tout à coup les tables chargées de mets ; c’est là que s’enfonce le diable lorsqu’il retourne aux enfers, et que disparaissent les navires brisés par la tempête. »

Quand une pièce était sifflée et les acteurs hués, on pouvait dire qu’ils étaient tombés dans le troisième dessous, refuge ultime. Ces dessous en sont venus à symboliser l’échec cuisant. Ainsi, descendre au dernier dessous, c’est s’abîmer en un gouffre qui s’ouvre sous les pieds des artistes pour y faire plonger des univers éphémères, c’est tomber plus bas que terre, toucher le fond.

Trente-six étant devenu un extrême — comme dans voir trente-six chandelles —, être au trente-sixième dessous fait sortir l’expression du théâtre pour en faire la métaphore de la dégringolade. Qu’on se rassure : le trente-sixième dessous théâtral n’existe nulle part. À l’Opéra-Bastille, à Paris, on peut sombrer à vingt-cinq mètres sous la scène et au sixième dessous, mais pas plus.

À titre d’exemple

« Hier matin la boulangère était en miettes et le voisin du dessus au trente-sixième dessous. Vous vous rendez compte, dit-il, voilà que je suis endetté de 30 000 euros. »

L’Humanité, 2014.

Un joyeux drille

un joyeux compagnon, un homme jovial

Lorsque l’ambiance est à la fête ou qu’on évoque de bons et gais camarades, on peut célébrer les joyeux drilles. Mais quand on ignore le sens du mot drille, un constat nous intrigue : pourquoi cette expression ne concerne-t-elle que les hommes ? Tout simplement parce que le terme drille renvoie à une profession masculine.

À la fin du XVIIe siècle, le premier Dictionnaire de l’Académie nous apprend qu’un drille est un fantassin, un soldat à pied et qu’il s’agit d’un « terme de raillerie », disant le mépris pour la piétaille. Drille désignait en ancien français un chiffon, une guenille. Le mot venait d’un verbe allemand signifiant « déchirer ». Une autre hypothèse propose comme origine le verbe driller, « courir çà et là », d’origine néerlandaise celui-là. Les drilles seraient soit des soldats allemands vêtus de guenilles, soit des mercenaires hollandais errants… Ces vagabonds débandés pillaient et volaient sans vergogne et on les imagine ripaillant de leur butin. C’est à cette figure haute en couleur que sont comparés les joyeux drilles.

Les soldats sont-ils toujours joyeux et contents ? Certes non, et du XVIIIe siècle jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, on parlait aussi de pauvre drille, équivalent militaire du pauvre diable. De nos jours, un drille est forcément joyeux. L’image du soudard ivre et débauché a pris le dessus sur d’autres réalités moins réjouissantes de la vie de combattant. L’expression un vieux drille était également utilisée pour désigner un libertin âgé. Image croquée par ces vers du Faust de Goethe, traduit par Nerval : « Au signal du plaisir, Dans la chambre du drille Tu peux bien entrer fille, Mais non fille en sortir. »

Joyeux drille ou boute*-en-train, on peut toujours compter sur eux pour mettre l’ambiance à la fête. Faire le zouave, pour évoquer des militaires plus récents.

Le mot du Petit Robert

1. drille

[ drij ] nom masculin

ÉTYM. 1628 mot d’argot ♦ mot d’origine controversée

1. VIEUX Soldat vagabond, soudard. […]

E

Payer son écot

payer sa quote-part pour un repas à frais communs

À l’issue d’un dîner entre amis, au moment de réclamer celle que l’on nomme familièrement la douloureuse, chacun des commensaux sort son porte-monnaie pour payer son écot afin de participer aux frais. À moins d’être réglée entièrement par l’un des convives, l’addition peut donner lieu à de complexes divisions pour déterminer cet écot, la somme exacte qu’il revient à chacun de payer.