Le mot francique skot, à l’origine de écot, signifie « impôt, contribution ». Littéralement, payer son écot, c’est s’acquitter de son dû, de sa quote-part. Si les poches d’un convive sont vides, on disait dans un langage argotique qu’il était à l’écot de quelqu’un, qu’il dînait aux frais d’un autre. Inversement, lorsque le montant qui échoit excède ce que l’on a réellement consommé, on parlait de subrécot (du provençal sobre, « sur ») : ce que l’on payait en plus de sa part.
L’expression ne se cantonne pas au domaine des dîners partagés. Au figuré, elle a signifié « prendre sa part dans un divertissement en commun » ou, dans des contextes moins festifs, « supporter la peine, les inconvénients », « prendre sa part de travail ». De manière abstraite, écot se disait de ce qui revient à quelqu’un. Avoir un mauvais escot se disait pour « être maltraité ».
Encore aujourd’hui, apporter son écot s’emploie au sujet d’une contribution à une œuvre collective, l’écot étant la participation de chacun. Dans une situation pénible, chacun son écot fut utilisée pour dire que chaque membre d’un groupe doit assumer sa part d’ennuis. Autrement dit, chacun sa croix ou, vulgairement, chacun sa merde !
« Stephen dînait avec eux en payant son écot pour ne pas être à charge à ces bonnes gens. »
Sous l’égide de
Des manifestations prestigieuses se déroulent sous l’égide de grandes organisations ou institutions. Mais savent-elles qu’elles se placent sous la protection d’une peau de bique ? Il est vrai que le dieu suprême de l’Olympe en faisait autant.
C’est en effet dans la mythologie qu’il faut chercher l’origine de l’expression. Du mot grec signifiant « chèvre » est dérivé aigis, aigidos « peau de chèvre », désignant aussi le bouclier de Zeus recouvert de cette peau. Rhéa, la mère de Zeus, ayant dû soustraire son dernier-né à l’appétit féroce de son époux Cronos, le confia à une nourrice animale : ce fut la chèvre Amalthée qui, a sa disparition, fournit sa dépouille. Zeus, surnommé le « porte-égide », armé de ce bouclier et de la foudre, triompha des Titans. Il confia son arme défensive à sa fille préférée, Athéna, déesse de la guerre et de la sagesse, qui l’orna de la tête de Méduse, l’une des Gorgones, au regard pétrifiant, lui conférant un aspect effrayant et accroissant encore son pouvoir protecteur. Avec le casque et la lance, c’est un attribut caractéristique des représentations antiques de la divinité.
Ce bouclier merveilleux, l’égide, symbolise la puissance souveraine du dieu et l’invulnérabilité qu’elle procure. Son nom est devenu un synonyme littéraire de protection. « Ma fierté est une trompeuse égide, je suis sans défense contre la douleur » écrit Balzac dans un roman trop oublié, Béatrix. Aujourd’hui, l’allusion mythologique n’est plus sentie et, en cas de conflit, on sollicite l’armement des Casques bleus de l’ONU plutôt que celui d’Athéna.
« Dacosta était à sa casse, il composait un carton de publicité et boudait un peu, parce qu’il s’agissait d’une manifestation, au profit des prisonniers, sous l’égide du Maréchal. »
Bouché à l’émeri
Pour dire qu’une personne manque d’ouverture d’esprit ou fait preuve d’une intelligence assez limitée, on emploie l’adjectif borné et la métaphore est parlante : contenu dans des limites trop étroites, l’esprit dépourvu d’horizon est privé de compréhension. Depuis la fin du XIXe siècle, une autre expression permet d’exprimer la même idée de limitation : être bouché à l’émeri, autrement dit être incapable de comprendre, voire être complètement idiot.
Dès le siècle de Louis XIV, bouché servait à désigner un esprit étroit. Au bouchage, est venu s’ajouter un procédé technique. L’émeri est une variété impure de corindon, composée d’alumine cristallisée. Dans sa version noble et colorée, le corindon, minéral dense et très dur, compose une famille de pierres précieuses utilisées en joaillerie sous le nom de rubis ou saphir. Sous une forme plus commune, ce matériau sert depuis l’Antiquité comme abrasif pour polir les pierres, le verre, le cristal et les métaux. Réduit en poudre, il se présente souvent sous forme de papier ou de toile et sert notamment à polir le goulot et le bouchon des flacons en verre, de manière à ce qu’ils s’emboîtent parfaitement. Hermétiquement clos, le flacon bouché à l’émeri ne laisse rien sortir ni entrer.
Empruntée à l’univers technique, l’expression a su endosser un sens figuré reposant sur une image familière. Toutefois, quand ce procédé technique disparut, la langue oublia l’émeri mais conserva l’expression : la poudre s’est volatilisée, mais l’individu aux vues courtes et à l’esprit étriqué n’en demeure pas moins bouché !
« Je suis peut-être bouché à l’émeri, mais je ne puis comprendre qu’un monsieur puisse employer trente pages à décrire comment il se tourne et se retourne dans son lit avant de trouver le sommeil ! »
Être frais émoulu (d’une école)
En ces temps de méfiance à l’égard des élites dirigeantes, une expression dont on ne sait plus si elle est élogieuse ou péjorative s’entend souvent : être frais émoulu. Elle s’emploie à propos d’une personne récemment diplômée d’une école, souvent réputée : il est frais émoulu de l’ENA, elle est frais (ou fraîche) émoulue de Polytechnique…
Cet émoulu gêne notre œil orthographique, et nous sommes tentés d’écrire frais et moulu, ce qui serait pertinent pour un diplôme en meunerie. On pense au moulin, à la meule et à la farine — peut-être celle dans laquelle les élèves pensent être roulés. Cette version fantaisiste n’a rien d’absurde, car les deux adjectifs ont la même racine. Le verbe latin molere « moudre » a servi à former un autre verbe, emolere « moudre entièrement », qui a donné émoudre, « aiguiser » en français perdu, dont le participe passé émoulu a été sauvé (avec le rémouleur).