L’expression faire le pied de grue apparaît au début du XVIIe siècle, succédant à faire la jambe de grue et faire de la grue. D’après cette forme, certains ont supposé que grue était un dérivé d’un verbe gruer signifiant « attendre ». Mais la jambe et le pied appartiennent certainement au bel échassier, qui se tient fréquemment sur une seule patte.
Notre oiseau avait déjà pondu au XVIe siècle de nombreuses expressions, toutes péjoratives : suivre la multitude comme les grues (« comme des moutons »), s’en aller comme des grues (« sans savoir où l’on va »), être planté comme une grue (« attendre »). De cet homme « longtemps debout en quelque lieu, et particulièrement quand on le fait attendre », on dira qu’il fait le pied de grue parce que, selon Furetière, « les grues ont coutume d’avoir un pied en l’air quand elles font sentinelle ».
Mais d’autres oiselles s’encanaillent dès le XVe siècle, lorsqu’elles attendent au coin des rues. Dès lors, grue désigne une femme faisant commerce de ses charmes. À l’âge classique, la grue s’assagit. C’est alors une sotte, qui rejoint la basse-cour peuplée de ses niaises consœurs ailées, bécasse, buse, dinde et oie. Elle retrouvera au XIXe siècle son caractère libertin. L’expression faire le pied de grue, ne pouvant ignorer l’existence de la volaille de trottoir, a connu un nouvel envol et s’est alors appliquée aux femmes « de mauvaise vie ». Curieusement, lorsque c’est un mâle qui fait le pied de grue, il se contente d’attendre : plus d’allusion sexuelle !
« Faisant le pied de grue à la porte du ministre, j’ai maraudé un rhume et un enrouement qui me fatiguent beaucoup. »
Courir le guilledou
Courir le jupon, le cotillon* ou la prétentaine sont autant de manières imagées d’évoquer la recherche et la multiplication d’aventures galantes. Il en est une autre plaisante et volontiers archaïsante, courir le guilledou.
Parmi les plus anciennes formes, courir le guildron voulait dire « courir l’aventure » et courir le guildrou « fréquenter de mauvais lieux ». Au XVIIe siècle, Furetière qualifie ce terme de burlesque et dit « qu’une femme court le guilledou lorsqu’elle se dérobe à son domestique [à son ménage], et qu’on ne sait où elle va, ce qui fait présumer que c’est en de mauvais lieux ». Une femme qui délaissait les affaires de sa maison ne pouvait que mal tourner ! Quant aux hommes qui courent le guilledou, ils fréquentent les lieux de débauche.
On a pensé que le mot dérivait de l’occitan aguillodo, correspondant au mot aiguillette, dont on connaît les connotations érotiques : c’était le lacet qui fermait la braguette. Il s’agit plutôt d’un composé de guil(l)er, « tromper, ruser », et de l’adjectif doux. Les dérivés régionaux de ce verbe conservent l’idée de séduction par la ruse. Conter guillette à une femme signifie « la séduire », de même que enguilbauder, qui se disait en Normandie et dans le Poitou. Dans la Somme, une guilebeute est une femme de petite vertu.
Le verbe courir, quant à lui, est à prendre au sens de « fréquenter assidûment », comme dans courir les magasins. Mais il est possible que le sens de « poursuivre, chercher à attraper » ne soit pas étranger à son succès, la langue, fort machiste, comparant volontiers la conquête amoureuse à une partie de chasse.
« Moi, je vous croyais des maîtresses à la douzaine, des danseuses, des actrices, des duchesses, rapport à vos absences […] Qu’en vous voyant sortir, je disais toujours à Cibot : Tiens, voilà monsieur Pons qui va courir le guilledou ! »
H
Crier haro sur le baudet
La langue française n’est pas toujours tendre avec les animaux. Quand on crie haro sur le baudet, on identifie un responsable, on désigne à l’indignation collective un âne déguisé en bouc émissaire. Il y a pourtant longtemps que les rues ne résonnent plus du cri de haro, haro !
Ce haro vient de l’ancien français hare, cri d’origine germanique, par lequel on excitait les chiens de chasse. Dans le droit coutumier normand, haro servait à la victime d’un forfait, qui, en poussant ce cri, signalait le coupable d’un flagrant délit et obligeait ceux qui l’entendaient à intervenir et à prêter main-forte à la justice.
Crier haro sur quelqu’un conserve le sens de « dénoncer à l’indignation de tous » : si l’auditeur ne se trouve plus contraint à agir par une règle de droit, il est appelé à s’élever moralement contre la cause du méfait. L’expression évoque moins la solidarité avec la victime qui dénonce que la vindicte populaire, inique lorsqu’elle s’en prend aux faibles et aux innocents.
Le plus souvent, c’est sur le baudet que l’on crie. Mais pourquoi s’en prendre à cette pauvre bête ? La faute en revient à Jean de La Fontaine ! Dans sa fable Les Animaux malades de la peste, les animaux réunis avouent les fautes qu’ils ont commises, dans l’espoir de trouver le coupable qui pourrait justifier le fléau et donc la colère divine qui l’aurait causé. Après les confessions cyniques des puissants, habiles à dégager leur responsabilité, vient le tour de l’âne, qui avoue un forfait minuscule : il a grignoté quelques brins d’herbe dans le pré d’un couvent. « On cria haro sur le baudet », heureux de se défausser sur une victime commode, qui n’a pas les moyens de se défendre.
« Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir » conclut durement La Fontaine, dénonçant une justice à deux vitesses qui s’en prend aux faibles plus volontiers qu’aux grands de ce monde. En désignant ce doux animal à la réprobation générale, La Fontaine a sauvé une clameur séculaire, vouée à l’oubli, et un nom familier de l’âne, qui n’est pas sans charme.
haro
[ ’aʀo ] interjection et nom masculin invariable
ÉTYM. XIIe ♦ de hare → harasser
■ ANC. DR. Cri d’appel à l’aide, poussé par la victime d’un flagrant délit, rendant obligatoire l’intervention des auditeurs. […]