Выбрать главу

La langue a retenu ce nombre important de soldats. D’abord dans le discours religieux, où il est question des Armées célestes, et où légion est employé à propos des anges et des démons : ce sont les célestes légions et les légions infernales. « Mon nom est Légion », a dit Satan. Légion devient synonyme de multitude et dans être légion, le mot a presque une valeur d’adjectif.

L’histoire a retenu que les puissantes légions de César firent le siège d’Alésia mais on a oublié l’origine de cette expression courante. Elle fait pourtant partie de la série exprimant une grande quantité, aux côtés de armada, armée, cohorte et troupe. Dans notre vocabulaire quotidien, les mots d’origine militaire pour dire la foule sont vraiment légion !

Le mot du Petit Robert

légion

[ leʒjɔ ̃] nom féminin

ÉTYM. 1155 ♦ latin legio, onis, famille de legere « choisir », les légionnaires étant, à Rome, recrutés au choix

1. Dans l’Antiquité romaine, Corps d’armée composé d’infanterie et de cavalerie. […]

À la queue leu leu

l’un derrière l’autre

À la queue, Monsieur Leleu ! Attendez, comme tout le monde ! » Non, ce n’est pas ça du tout. Cette queue exprime bien le fait d’être « à la file », l’un derrière l’autre, mais en même temps, c’est une vraie queue d’animal. C’est ce leu répété qui intrigue. Ce petit mystère n’empêche pas de trépigner en se tenant par la main en chantant à tue-tête : « à la queue leu leu ». On entend le le et on peut se demander ce qui vient après ces articles. Le quoi ? Répondre le leu ne nous éclaire pas.

Cette expression, en fait, nous montre que la langue bouge. La langue tout entière, les mots et la grammaire. Les mots, d’abord. Quand le latin lupus, désignant un animal remarquable et redouté, a été « avalé » par l’ancien français, on le prononçait léw et on l’écrivait leu ou lou, sans se gêner. Au XIIIe siècle, nos ancêtres ont eu des scrupules. Ceux, assez nombreux, qui savaient le latin ont ajouté à lou un p, comme dans lupus : le loup ainsi écrit a fini par faire oublier le vieux leu. La grammaire, ensuite. « À la queue loup loup » fait une étrange phrase où deux articles ont été oubliés. Cette queue loup, c’est la même chose que hôtel-Dieu, qui signifie « la maison de Dieu ». De même, les habitants de Bourg-la-Reine n’ont pas besoin de préciser qu’il s’agit « du bourg de la Reine ».

Donc, leu leu du Moyen Âge, qui serait devenu loup loup, c’est en fait « à la queue du loup, le loup », ou, si l’on préfère l’article indéfini, puisque le loup de l’expression n’est pas précisé, « à la queue d’un loup, un loup ». Et cela exprime parfaitement le sens que nous donnons à une expression dont on ne connaît que le début : « à la suite, à la file ». Il arrive que nous parlions vieux français sans le savoir, comme Jacquouille la Fripouille dans Les Visiteurs.

À titre d’exemple

« Ils cheminent à la queue leu leu, menés par des guides à casquette d’uniforme qui hurlent dans un porte-voix pour dominer le bruit des mécaniques. »

Georges Duhamel, Scènes de la vie future, 1930.

Entrer en lice

s’engager dans une lutte, une compétition ; intervenir dans un débat

Les chasseurs savent que la femelle du chien de chasse s’appellent la lice. Quand on entre en lice pour s’engager dans une lutte, combat véritable ou joute oratoire, nous avons affaire à un homonyme : il ne s’agit pas de lâcher les chiens ni les chiennes. Gardez-vous par ailleurs d’écrire lisse, par confusion avec un homophone.

Le mot lice, d’origine germanique, désigne primitivement une barrière. Au XIIe siècle, c’est la palissade entourant un château, puis le champ clos où s’organisent les tournois et les joutes. À la Renaissance, le mot s’étend à l’espace — délimité par des barrières — réservé aux courses de chevaux et aux compétitions.

On entre en lice, comme on entre dans l’arène, pour affronter un adversaire, pour livrer un combat. Dans Le Cid de Corneille, le roi accorde à Chimène qu’elle choisisse un chevalier qui se battra en duel contre Rodrigue, qui a tué le père de la jeune femme, et formule ainsi sa proposition : « Il suffit qu’une fois il entre dans la lice, Choisis qui tu voudras, Chimène, et choisis bien, Mais après ce combat ne demande plus rien. »

Au XVIIe siècle, la métaphore est transposée dans le domaine de la parole. Les discussions en société sont alors de véritables joutes oratoires, et entrer en lice signifie « intervenir dans un débat ». Il faut du courage pour descendre dans l’arène publique et prendre part à une polémique, mot relevant d’une métaphore semblable puisqu’il vient du grec polemikos, « qui concerne la guerre ». À l’inverse, fuir la lice se disait pour « éviter la dispute ».

Lorsque Mirabeau dit « je rentre dans la lice, armé de mes seuls principes et de la fermeté de ma conscience », il s’apprête à livrer bataille et à porter des coups. Seul le vainqueur restera en lice.

Le mot du Petit Robert

1. lice

[ lis ] nom féminin

ÉTYM. 1155 ♦ francique °listja « barrière »

1. ANCIENNEMENT Palissade.

— PAR EXTENSION Espace circonscrit par cette clôture, réservé aux exercices ou aux compétitions.

— PAR ANALOGIE Champ clos où se déroulaient des joutes, des tournois. […]

Être en liesse

manifester publiquement et bruyamment son allégresse

Quel dommage ! Pourquoi avoir laissé se perdre un mot aussi plaisant ? La triste histoire du mot liesse dénonce l’insensibilité et l’indifférence de nous tous, qui parlons sans trop réfléchir, à nos richesses de langage. Il n’y aura jamais assez de mots pour exprimer la joie débordante, le plaisir, l’allégresse, l’exultation, qui plus est partagée. C’est d’ailleurs à propos de la joie publique manifestée collectivement qu’on emploie encore l’expression une foule, un peuple en liesse, souvent dans la langue littéraire, comme André Gide lorsqu’il écrit dans Si le grain ne meurt « une étrange liesse emplissait la ville ».