Hélas, ces richesses stylistiques sont perdues depuis que appareil est devenu un modeste mot technique.
« À mon arrivée, Laure et Mme Adrien qui étaient encore dans le plus simple appareil du matin se sont enfuies dans leurs chambres pour procéder à leur toilette. »
Être plein aux as
Si les Romains représentaient l’inconstance du sort sous les traits de la déesse Fortuna, dont l’attribut est une roue (d’où le motif de la Roue de Fortune, dixième carte du tarot de Marseille, ou encore l’expression la roue tourne évoquant les vicissitudes de la vie), les incertitudes de l’existence sont liées au jeu. L’étymologie est instructive : le latin alea désigne les dés à jouer tandis que le hasard est emprunté à l’arabe az-zahr, « jeu de dés ».
C’est d’ailleurs au jeu de dés que le mot as apparaît en français médiéval, pour désigner la face comportant un point unique, avant d’être utilisé au XVIe siècle à propos de la carte à jouer marquée d’un seul signe dans chacune des couleurs. L’as est d’abord, dans les jeux, la plus petite valeur, conformément à l’origine du mot, puisque, en latin, as est une pièce de menue monnaie, en cuivre, désignant ensuite une petite unité dans diverses mesures (poids, surface, etc.). Certaines expressions ont enregistré cette modestie : on dit encore passer quelque chose à l’as, « le passer sous silence, l’escamoter ».
Pour des raisons mystérieuses, dans certains jeux de cartes, l’as a pris l’ascendant, devenant la carte supérieure à toutes les autres, têtes couronnées (rois et reines) comprises. L’argot des joueurs connaît ainsi à la fin du XIXe siècle l’expression être aux as, « avoir de la chance, avoir un jeu avec des as », bientôt remplacée par être plein aux as, sans doute sous l’influence d’expressions comme avoir de l’argent plein les poches et du succès du poker, jeu apparu aux États-Unis dans les années 1820. Au poker, on parle en effet d’un full aux as a propos d’un brelan d’as et d’une paire, combinaison qui permet souvent de rafler une forte somme.
Mais, rappelons-le aux joueurs qui ne seraient pas en veine, si être plein aux as facilite assurément l’existence, ce n’est pas forcément le meilleur atout dans la vie.
« Shannon, très Irlandais, assez gueux, a cependant l’air si “plein aux as” qu’on l’appelle Milord. »
Ne pas être dans son assiette
Une personne indisposée manque souvent d’appétit. Mais, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas ce chemin métaphorique que la langue a emprunté pour parvenir à ne pas être dans son assiette.
Assiette vient du latin assedita, de adsedere « asseoir ». L’idée d’assurer quelque chose en son séant induit au XIIIe siècle un sens figuré fiscal, la base de répartition des impôts. On est loin des considérations alimentaires ! Aujourd’hui encore, quand on détermine notre assiette fiscale, on évalue le montant qui servira de base au calcul de notre impôt.
Parallèlement, le mot assiette adopte d’autres significations. Il renvoie à la position géographique d’une ville et, de là, à l’installation ferme de quelque chose. S’agissant de personnes, assiette désigne depuis le XVIe siècle « la manière de se trouver assis », notamment sur le dos d’un cheval. On parle aujourd’hui encore de l’assiette d’un cavalier.
Sortir de son assiette, manquer d’assiette passent alors au figuré : assiette exprime l’équilibre physique et moral d’une personne, son état d’esprit considéré comme normal. Du temps de Molière, on parle ainsi de l’assiette naturelle ou ordinaire de quelqu’un. Qui n’est pas dans son assiette se trouve en dehors de ce degré zéro de l’humeur.
Si l’on comprend sans équivoque l’expression en ce sens jusqu’au XIXe siècle, le français moderne l’a oublié et tend à rapporter l’assiette à une autre de ses destinées. L’assiette désignait la place d’un convive avant que, du plan de table, on glisse vers le contenant du repas. Le sens relatif à l’état d’esprit a disparu et l’expression ne pas être dans son assiette demeure la seule survivance de cet usage. N’en faisons pas un plat !
Ne pas être dans son assiette veut dire que l’on est dans celle de son voisin. Il s’agit là d’une attitude un peu cavalière et, même si l’on ne monte pas à cheval, elle veut dire en d’autres termes « ne pas être poli ». Dans un même genre d’expression liée aux arts de la table, ne pas avoir de bol veut dire que votre couvert n’a pas été dressé. Il faut comprendre par là, ou par là-bas si vous venez d’en face, que vous n’êtes pas attendu.
Être de bon, de mauvais augure
Quand on dit d’un signe favorable ou défavorable qu’il est de bon ou de mauvais augure, on comprend que augure est synonyme de présage. Mais on ignore souvent que, comme beaucoup d’autres mots, il a d’abord eu un sens concret.
La prédiction, le présage, a ici remplacé l’auteur de la prédiction. En latin, on nommait augur un prêtre spécialisé dans la divination et chargé d’observer certains signes. Tandis qu’un autre prêtre, l’aruspice, lisait l’avenir dans les entrailles des animaux ou des ennemis morts au combat, l’augure se contentait généralement de lire les signes dans le vol des oiseaux, interprété comme une manifestation de la volonté des dieux. C’est de là que vient l’expression un oiseau de mauvais augure.
À partir de ces signes, le devin pouvait dire si une affaire avait une chance de voir augmenter ses chances d’aboutir : augure a la même racine que augmenter ; le verbe latin augere qui nous a également transmis auguste, nom d’empereur « favorisé des dieux ». Le verbe augurer, « inférer un événement futur d’une observation, d’un signe annonciateur » a la même origine. Il signifiait autrefois « observer les signes et en tirer des présages ». Un autre mot nous a été transmis par la divination antique : sinistre, du latin sinister « qui vient de la gauche », donc « de mauvais augure ».