Être de mèche, c’est donc partager un travail, un salaire — d’où « être complice » —, le partage concernant aussi bien la responsabilité et la préparation du complot que les bénéfices espérés. La connivence des auteurs d’un mauvais coup est proverbiale : on parle aussi de s’entendre comme larrons* en foire.
« Si l’on tenait la preuve que, depuis le début, le parti militaire allemand est de mèche avec l’état-major autrichien !
Le miroir aux alouettes
La langue française est riche d’expressions usant de noms d’oiseaux. Si le sens de gai comme un pinson ou de fier comme un paon ne fait aucune difficulté, le miroir aux alouettes est moins évident. L’alouette serait-elle un oiseau épris de sa propre image et qui, tel Narcisse, voit son destin basculer en admirant son reflet ?
C’est dans le domaine de la chasse qu’il faut chercher l’explication. Si l’on ne veut pas attendre que les alouettes nous tombent toutes rôties dans le bec, il faut se lever au chant du coq pour aller chasser le volatile, et l’on peut alors utiliser un piège constitué d’une petite planche, souvent en forme de silhouette d’oiseau. Muni de petits miroirs et tournant sur un axe, l’engin scintille au soleil, attirant le pauvre oiseau vers un filet. Ce dispositif est appelé miroir aux alouettes (ou d’alouette), car il est formé de plusieurs petites surfaces réfléchissantes.
L’alouette, petit passereau au chant mélodieux, a connu autrefois divers dénigrements dans la langue populaire. Un crâne d’alouette désignait une petite cervelle, manger comme une alouette se disait avant qu’on ne préfère le moineau, le piaf. Dans les comptines, il est encore question de la plumer tout entière ou de la transformer en pâté avec cette recette qui dénonce les ruses agroalimentaires : pâté d’alouette à 50 % = un cheval, une alouette. Plus généralement, les petits volatiles sont souvent associés à la crédulité ou à la bêtise, comme dans cervelle d’oiseau ou tête de linotte, et l’alouette ne fut pas mieux lotie, malgré son chant.
Au sens figuré, la victime du miroir en question est donc l’individu qui se fait leurrer par de belles promesses. Il se transforme alors en un autre oiseau, le pigeon de l’affaire ou le dindon de la farce, qu’il ne reste plus qu’à plumer : « alouette, gentille alouette, alouette, je te plumerai ! »
« Je suis pour le progrès, […] mais pas pour un progrès en matière plastique… Pas pour le miroir aux alouettes. »
Motus et bouche cousue
Motus et bouche cousue ! invite à ne pas souffler mot, à taire un fait dont on a été témoin ou confident : il ne s’agit pas même d’en parler à demi-mot, mais de garder un silence absolu sur ce point. En interjection, motus ! équivaut à silence ! ou ferme-la !
Bouche cousue ! que l’on trouvait déjà en ce sens dans des farces du XVe siècle, transmet une image claire. Dans cette métaphore, la « couture » de la bouche n’est pas l’indice d’un travail grossier (comme dans cousu de fil blanc) mais un moyen sûr de fermeture : il s’agit, au sens figuré, de se coudre la bouche, pour ne pas risquer d’ébruiter une information confidentielle. On trouve parfois lèvres cousues ou, autre image, bec cousu.
Motus, plus mystérieux, est attesté depuis la même époque. Sa finale latine ne doit pas masquer que c’est un mot de fantaisie, notre simple mot latinisé par plaisanterie. Il faut rappeler que — à la manière de mie, goutte, point ou rien — mot, dans son premier emploi, servait à renforcer la négation des tournures évoquant la parole. On disait ne manger mie, ne boire goutte, ne voir point, et donc ne dire, ne sonner mot, « ne rien dire », ou n’en savoir mot, le mot valant alors pour « idée » et pour « chose ».
Renforcée par l’ajout de motus, l’expression bouche cousue est devenue une injonction familière à ne pas éventer le secret, à se taire. La fierté à être de mèche* et surtout, à être jugé digne de confiance, ne suffit pas toujours à garder pour soi une information devenue d’autant plus lourde que le secret réclamé contribue à lui donner de l’importance. Motus, loin d’aider à tenir sa langue, peut inciter à (trop) parler.
« Tu t’appelleras, et pis c’est écrit. Faudra le lire, c’ livret. Moi, je l’ dirai à personne : pour que ça réussisse, ces coups-là, il faut motus absolu. »
Faire mouche
Avoir les abeilles, la puce à l’oreille, des fourmis dans les jambes, une araignée au plafond… Avec leur valeur symbolique évocatrice, les bestioles, insectes, vers ou arachnides, grouillent dans notre langage.
La mouche est un insecte omniprésent. Un individu inoffensif ne ferait pas de mal à une mouche alors qu’une personne vexée prend la mouche ; on se demande quelle mouche l’a piquée. On entendrait une mouche voler lorsqu’un ange passe : affaire d’ailes. Les pattes de mouche sont difficiles à déchiffrer tandis que cet insecte insaisissable motive la fine mouche, vive et rusée.
On pourrait croire que cette habileté est à l’origine de faire mouche, alors qu’il s’agit d’une allusion à la petitesse et à la couleur de ce diptère. On a appelé mouche le petit morceau de taffetas noir porté autrefois par les femmes pour faire ressortir la blancheur de leur peau ou encore, chez les hommes, la petite touffe de poils au-dessous de la lèvre inférieure. Le centre d’une cible, matérialisé par un point noir, fut donc une mouche. L’excellent tireur qui place une balle ou une flèche dans ce point fait mouche. Il atteint sa cible, met dans le mille s’agissant pourtant d’un point singulier, le centre de la cible.
Un mot qui fait mouche atteint son but en touchant un point sensible. Mot et mouche pourraient même, selon des étymologistes, avoir la même origine : l’onomatopée mu, qui évoque un bourdonnement ou un murmure. Mais si les mots sont comme les mouches, on n’est jamais parvenu à les faire disparaître avec une tapette ou du papier gluant. Pas plus qu’on n’attrape les mouches avec du vinaigre, on ne fait mouche sans viser.