L’expression s’emploie à la forme négative, mais pourrait-on dire, à l’inverse, être en odeur de sainteté ? Ce qui laisserait entendre que la sainteté et donc les saints et les saintes échappent au sort commun en matière olfactive, surtout lorsqu’ils rendent leur âme à Dieu. Et c’est bien de cela qu’il s’agit : des récits relatent que des cadavres saints auraient exhalé une odeur suave. Cette odeur exquise était interprétée comme un signe certain de leur sanctification.
Ces petits miracles sont devenus proverbiaux : on disait d’une personne considérée, pour des raisons canoniques ou par le regard populaire, comme sainte, qu’elle avait vécu et était morte en odeur de sainteté, « en état de perfection spirituelle ». Il a été facile de passer de « être considéré comme un saint » à « être bien vu, apprécié ». Au XVIIe siècle, être en odeur, bonne ou mauvaise, signifiait « avoir telle réputation », et Furetière donne cet exemple imagé : « Une banqueroute met un marchand en mauvaise odeur sur la place. »
Ne pas être en odeur de sainteté est donc une litote qui laisse à chacun le soin de juger à quel point la personne en question est mal perçue. Implicitement, cela revient à comparer la cible de la critique avec un cadavre. En connaissant le sous-entendu de l’expression, vous voilà au parfum !
Ne pas être en odeur de sainteté signifie en d’autres termes ne pas sentir l’encens.
D’ores et déjà
Si l’on décompose cette expression, prononcée à la va-vite dorzêdéjà, on reconnaît de et déjà, mais l’on s’étonne de ce ores qui nous est inconnu. En apparence du moins… Car ores n’est autre que l’ancienne façon d’écrire l’adverbe or. À l’origine, or ou ores, du latin hac hora « à cette heure », c’est « maintenant ». Nous pourrions le reconnaître grâce à l’expression ancienne d’ore en avant, devenue dorénavant, qu’on n’analyse pas plus que maintenant, qui « tient en main » le temps.
La forme ores n’a survécu que dans d’ores et déjà. Ce déjà qui nous est familier contient dès « à partir de (un moment) » et l’ancien français ja, du latin jam, qui a le même sens, « à partir d’un instant présent ou passé ». Encore un pléonasme, un peu à la manière de aujourd’hui où hui signifie « en ce jour ». Ja, oublié, discret, est en réalité vivant, dissimulé dans jadis et dans jamais, autres mots curieux quand on les dévisse, mais assez logiques. En revanche, ores et déjà bégaie un peu, disant « maintenant et déjà maintenant ». Décidément, cet adverbe or ou ores est bien aimé, car on dit aussi dés-or-mais !
D’ores et déjà a remplacé d’ores à ja « de maintenant jusqu’à un autre maintenant », ce qui n’est ni très précis ni très sensé. Ja n’étant plus compris, on l’a remplacé par dès jà, qui marque le commencement d’une période dont on n’évoque pas la durée, et donc la fin. On pense que c’est la langue juridique qui a lancé cette façon longuette et prétentieuse de dire déjà. Les avocats, on le sait depuis belle lurette*, affectionnent les longs discours. Les journalistes, soucieux d’attirer l’intérêt, ont suivi. Quant à condamner l’expression, comme l’ont fait les puristes il y a une centaine d’années, cela reviendrait à condamner une bonne part de nos habitudes de langage !
« Je me donne le plus grand mal pour avoir de bons titres, d’autant plus que je ne peux travailler à un manuscrit que s’il est d’ores et déjà joliment intitulé. »
Pousser des cris d’orfraie
Si jamais, dans une forêt, vous avez entendu ce petit oiseau de proie qu’on appelle l’orfraie, vous aurez du mal à comprendre que ces cris aigus et brefs aient suscité une expression signifiant « hurler, crier et protester très fort ».
Le cri de ce rapace n’est ni très puissant, ni strident. Bref, aigu mais pas plus. Cela ne fait pas peur, ni ne casse les oreilles. Ce que casse l’orfraie, ou plutôt son nom, ce sont des ossements, ce qui présume qu’au moins en latin, cet oiseau était réputé charognard. Il se nommait en effet ossifraga « casseur d’os », et ce mot a donné en vieux français osfraie, puis orfraie. Faute ! Comme notre brave rossignol, qui est un lossignol mal prononcé.
Ainsi les cris de l’orfraie n’effraient personne. Mais son nom ressemblait beaucoup à celui d’un autre oiseau, nocturne, l’effraie, sorte de chouette au plumage clair, dont le nom traduit le fait que son cri nocturne est « moult effrayant ».
On a ainsi confondu les noms de deux oiseaux très différents et attribué à l’orfraie, injustement, le frisson d’effroi provoqué par le hululement de l’effraye.
Le romancier Hervé Bazin a écrit dans L’Huile sur le feu que l’effraie poussait « des cris perçants d’écorché vif ». De quoi changer d’oiseau dans cette expression qui assimile des cris humains, souvent de colère, de récriminations, à ceux d’un oiseau de nuit. Les cris d’orfraie que poussent nos semblables ne nous effraient plus. Ils se contentent d’être insupportables, et les deux oiseaux qui s’y rencontrent ne s’y reconnaissent pas.
orfraie
[ ɔʀfʀɛ ] nom féminin
ÉTYM. 1491 ; orfres 1200 ♦ latin ossifraga, proprement « qui brise les os »
■ Rapace diurne, souvent confondu avec l’effraie. […]
P
Être dans la panade
Si vous n’arrivez pas à vous sortir du « pétrin », certains, qui n’envient pas votre sort, diront que vous êtes dans la panade, c’est-à-dire dans la misère.
Il est vrai que panade, mot emprunté au provençal panado, dérivé de pan, équivalent occitan de pain, désigne dès son apparition, au XVIe siècle, une soupe bien modeste, faite de pain, d’eau et, quand on en avait, de beurre, auxquels on ajoute, en guise de liant, un jaune d’œuf (voire du lait ou de la crème). La panade est signalée comme un plat destiné aux malades par Montaigne, qui décrit dans ses Essais, non sans ironie, les médecins mangeant « le melon et [buvant] le vin frais, cependant qu’ils tiennent leur patient obligé au sirop et à la panade ».