En latin déjà, le mot avait le sens figuré de « demeure ». Seul cet emploi s’est maintenu avec notre expression. On ne sait plus trop bien ce qu’étaient les pénates latins, mais la valeur du foyer n’a pas changé : aujourd’hui comme hier, on cherche à faire de son domicile un endroit accueillant et protecteur.
« Une ombre flottante anima, à moins de vingt pas en avant d’eux, la solitude morne d’une ruelle […] ; une silhouette de pochard attardé et regagnant péniblement ses pénates. »
On n’est pas aux pièces
On n’est pas aux pièces est l’une des formules préférées des partisans de la procrastination, en réponse à ceux qui les poussent à se hâter. Il ne s’agit pas de pièces de théâtre, ni même de pièces de monnaie, bien que l’expression tire son origine de préoccupations économiques.
Les pièces dont il est ici question sont les parties de machines complexes produites par l’industrie. Parler des pièces plutôt que du produit fini renvoie à la réalité d’un travail parcellisé : les pièces sont ce que produit un ouvrier spécialisé dans le cadre d’une organisation industrielle rationnelle, préconisée par Charles Taylor et mise en œuvre dans les usines Ford. Cette méthode fragmente le travail jusqu’à en faire un « travail en miettes », selon l’expression du sociologue Georges Friedmann.
Une technique destinée à accroître la productivité du travailleur et donc le profit de l’entreprise, consiste à rémunérer l’ouvrier non pas au temps passé à sa machine mais à la pièce ou aux pièces, c’est-à-dire en fonction du nombre de pièces qu’il produit. Un rendement accru augmente le salaire. Censé motiver les équipes, ce principe induit une pression croissante, avec des cadences pouvant devenir infernales, parfois au détriment de la qualité du travail, voire de la santé du travailleur, qui perd aussi le sens de ce qu’il fait, comme Chariot dans Les Temps modernes.
La flânerie est un luxe inaccessible à qui est aux pièces. Ne pas être aux pièces, c’est littéralement être rémunéré au temps passé, indépendamment de la quantité produite. Et, dans le langage quotidien, le refus du travail accéléré.
pièce
[ pjɛs ] nom féminin
ÉTYM. fin XIe ♦ du latin du IXe petia « petit morceau d’or battu », du gaulois pettia […]
II. 1. (début XIIIe) Objet faisant partie d’un ensemble. […]
— (1840) Travail à la pièce, aux pièces, rémunéré selon le nombre des pièces exécutées par l’ouvrier, et non selon le temps passé. […]
Prendre son pied
Des images viennent à l’esprit lorsque l’on entend ces mots. Prendre son pied et c’est le pied sont sans doute parmi les expressions familières les mieux connues : tout le monde croit les comprendre. Pourtant, même au comble de l’extase, on attrape rarement son pied à pleines mains, comme le font les bébés curieux de leur propre corps.
Un pied, outre une partie du corps, est aussi une unité de mesure équivalant grosso modo à la taille d’un pied, soit 33 centimètres. À partir de cette mesure, pied a pris le sens de portion ou de part. En 1872, dans son Dictionnaire historique des argots français, Gaston Esnault cite cette phrase d’un voleur : « mon pied, ou je casse ». Avoir son pied, chez les casseurs, c’est obtenir sa part. Quand on dit de quelque chose que c’est, ou ce n’est pas, le pied, c’est qu’on a été satisfait, ou pas, de la part reçue. Du langage des voleurs, l’expression passe dans celui des prostituées. L’enjeu n’est plus le même : prendre son pied, c’est alors prendre sa part… de plaisir. La sagesse populaire soulignait ainsi que, dans l’amour, la femme aussi doit recevoir son dû.
L’expression a évolué vers un sens sexuel d’autant plus facilement que le pied est un symbole phallique notoire. Aristophane, dans Lysistrata, met en scène le serment de ces dames qui décident une grève de l’amour ; l’un des points en est « Je n’élèverai pas mes pieds au plafond ». Il ne s’agit pas de saisir son pied, mais on peut supposer que certaines postures aient inspiré cette confusion : on parle bien de partie de jambes en l’air et de grimper aux rideaux !
« Derrière lui il entendait Rosita qui commençait à prendre son pied. Il savait pas qu’une pute ça peut aller au bonheur. »
Avoir pignon sur rue
D’où peut bien venir cette expression ? Les cyclistes ont droit à une hypothèse : le pignon désignant l’axe denté de la roue arrière d’un vélo, celui qui avait pignon sur route s’était peut-être fait connaître en remportant une course. De même que les cyclistes font fausse route, les Provençaux amateurs de pignons — la graine comestible du pin — s’égareraient tout autant.
Le pignon en cause est un terme technique qui désigne la partie supérieure d’un mur, et surtout le sommet triangulaire des murs d’une maison, supportant l’extrémité de la poutre principale de la charpente. Dans les maisons anciennes, les pignons étaient placés sur les façades, celles qui font la fierté des grand-places des villes du nord de la vieille Europe.
Au sens propre, avoir pignon sur rue, expression apparue au XVIIe siècle, signifiait « être propriétaire d’une maison de ville ou d’un fonds de commerce dont la façade donnait sur la rue ». Ces façades étaient la partie la plus visible des maisons, et furent rapidement perçues, selon leur degré d’ornementation, comme un signe extérieur de richesse.
De ce fait, l’expression fut associée à la possession de biens, et, plus généralement, dénota l’appartenance à la classe possédante, qui se croit de ce fait socialement supérieure. Les commerçants ayant pignon sur rue inspirèrent confiance aux chalands par leur magasin reconnaissable et bien situé. Tout cela sent la situation financière solide et la bonne réputation.
Les boutiques tirent leur prestige de l’artère où se trouvent leurs vitrines. Pour une résidence particulière, un bon emplacement est précieux, ce qui fit écrire à Maurice Genevoix : « Avoir pignon sur le coteau, c’était dans cette petite ville, comme un brevet de distinction et de bon goût ». Tant pis pour ceux qui n’ont que pignon sur cour, ou pas pignon du tout.