Quand un bonimenteur jouera du pipeau pour vanter ses remèdes miracles, ceux qui se seront fait plumer pourront s’écrier, une fois détrompés, « Nom d’une pipe, il nous a pipeautés ! »
« C’est l’alcool qui m’a sauvé de l’amour. L’amour, c’est du pipeau, de l’attrape-couillon, une vraie cochonnerie, ça c’est moi qui vous le dis, vrai de vrai ! Avec le pinard, au moins, on sait à quoi s’en tenir, ça ment pas. »
Les dés sont pipées
Vous venez une fois de plus de perdre aux petits chevaux, après que votre neveu de six ans a fait plusieurs double-six à la suite. Une chance si insolente ne peut être le seul fruit du hasard : pris de doute, vous vérifiez son dé et découvrez que la face à un point a disparu, laissant place à une face à six points supplémentaire tandis que le vôtre n’en a aucune. Les dés sont pipés, nom d’une pipe !
Si ce neveu tricheur est déjà en proie au vice du jeu, son rapport avec la pipe ne frappe pas encore. Mais ses braillements peuvent vous rappeler l’origine du verbe piper, qui signifiait autrefois « pousser un petit cri », plutôt d’un oiseau ou d’une souris que d’un enfant, d’ailleurs. Cet emploi a disparu, mais il en a donné un autre : dans le vocabulaire de la chasse, piper un oiseau, c’est en imiter le cri pour l’attirer. C’est ce même piper qu’on retrouve dans l’expression ne pas piper « garder le silence ». D’un personnage placide, Raymond Queneau, dans Le Dimanche de la vie, écrit plaisamment qu’il « ne pipa pas ou pipa peu ».
Piper est passé du langage des chasseurs à celui des joueurs. Tandis que les premiers cherchent à leurrer leur proie, les joueurs peuvent chercher à tromper leur adversaire. Pour ce faire, ils peuvent fausser une partie de cartes en ajoutant un cinquième as ou truquer un jeu de dés par la répartition des poids, afin qu’ils tombent de préférence sur un côté. On dit alors que les dés ont été pipés, il y a tricherie.
L’expression s’emploie surtout au figuré. Quand les dés sont pipés, c’est qu’il y a tromperie, qu’un concurrent est secrètement avantagé. L’issue de l’affaire peut avoir des enjeux plus graves que ceux d’une partie de dés. Ce n’est pas du pipeau* !
« Se prenant pour des malins parce qu’ils pipaient les dés, sans se douter un seul instant que les dés de leur destin personnel avaient été pipés, bien avant leur naissance. »
Être à côté de la plaque
« Nous autres avec nos coups à la Robin des bois, on était complètement à côté de la plaque, même on allait à contre-courant, à contresens, pleins gaz vers le passé, à fond dans les chimères », écrit Olivier Rolin dans son roman Tigre en papier. Autrement dit, passés à côté de la question.
L’expression, où le sens du mot plaque est hermétique, s’avère, curieusement, moderne. Elle apparaît dans les années 1940 — marquées par un immense conflit armé — dans le jargon militaire. Dans certains exercices de tir, on utilise un panneau pour cible. Quand on tire à côté de cette plaque, on manque son but.
Très populaires dans l’ouest de la France, des jeux consistant à lancer un palet métallique en essayant de le poser sur une surface délimitée par une plaque (de plomb, le plus souvent) se pratiquent depuis le Moyen Âge. Là aussi, on est à côté de la plaque si l’on vise mal.
L’expression semble avoir été popularisée par le général de Gaulle, familier du parler militaire. Le 24 mai 1968, il prononça une allocution télévisée et proposa un référendum, afin, espérait-il, de calmer un mouvement étudiant contestataire. Son annonce ne produisit pas l’effet escompté et, contrairement à ses souhaits, la crise redoubla de violence : le général admettra lui-même avoir mis à côté de la plaque.
On comprend pourquoi on a bien vite perdu le sens de notre expression : qui imaginerait l’homme dont le nom figure sur tant de plaques dans les villes françaises, s’avouer lui-même à côté de la plaque ?
« Les uns et les autres pensent que les organisations conservationnistes classiques sont à côté de la plaque. La protection de la nature, selon eux, ne devrait pas rester une affaire de notables.
Battre son plein
Lorsqu’une fête ou un rassemblement bat son plein, c’est que l’événement est à son comble. La formule pourrait passer inaperçue, car les termes qui la composent résonnent aisément avec l’idée de point culminant. Battre suggère une activité intense, éventuellement bruyante, tandis que plein évoque une quantité maximale. Pourtant, son origine est moins claire qu’il n’y paraît, tant et si bien que l’expression a donné lieu à des interprétations divergentes.
On a ainsi supposé que la métaphore renvoyait à la qualité sonore d’un instrument, en particulier celle d’une cloche ou d’un tambour. Un son plein — par opposition à un son creux — est riche en harmoniques. Un instrument battant son plein serait un instrument aux sonorités remarquables. Cette interprétation a été rejetée car, au pluriel, on dit les fêtes battent leur plein et non battent son plein.
L’autre explication, plus inattendue, est la bonne. Cette expression, empruntée à la langue des marins, est composée de son, adjectif possessif, et de plein, substantif qui désigne la marée haute. On dit que la mer bat son plein quand elle est étale, c’est-à-dire qu’elle bat le rivage, avant de redescendre. Elle est alors à son plus haut niveau. L’image n’est pas sonore, mais visuelle.
Lorsqu’un événement bat son plein, il arrive à son apogée, avant un mouvement de redescente aussi inéluctable que celui du reflux de la marée. La langue emprunte à la nature son caractère cyclique pour définir les phénomènes humains.
« Quand Marigny, en répétant ce nom, regardait dans son âme, il était sûr que son amour n’avait pas baissé ; qu’il y battait son plein comme cette mer qu’il voyait à ses pieds battre le sien sur la grève sonore. »
En grande pompe